Épître aux Hébreux 13 / 12-14

 

texte :  Épître aux Hébreux 13 / 12-14

premières lectures :  Genèse 22 / 1-19 ; Évangile selon Marc 10 / 35-45

chants :  45-24 (Alléluia) et 794  (J’aime l’Éternel)

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Étrange petite phrase de l’épître aux Hébreux… mais qui nous remet bien à notre place : dans la suivance de Jésus jusqu’à la croix (y compris), en-dehors des chemins du monde, en-dehors de la manière de vivre et de mourir du monde. Pourtant, dans ce monde nous y sommes bien, malgré tout : malgré l’épidémie et le confinement ; malgré les guerres qui, quoi qu’on en dise sur les réseaux sociaux, se continuent un peu partout ; malgré l’effondrement encore relatif de l’économie ; malgré notre soif inextinguible qui va déborder dès la fin du confinement et qui fera sans doute que le changement d’attitude attendu après la crise sera non pas pour le mieux mais pour le pire…

 

Il va donc falloir sortir de ça. Tout au long de l’histoire, des chrétiens ont compris cette nécessité comme signifiant un repli sectaire, seul au désert, ou bien seuls ensemble en monastère, ou bien communautairement dans une version nihilo-illuministe de cette fuite. En font-ils partie, ceux qui pensent pouvoir s’affranchir des mesures de confinement édictées par notre gouvernement, sous prétexte qu’ils ne sont pas citoyens de ce pays, mais du Royaume céleste ? Les Églises ont presque toujours été méfiantes à l’égard d’une telle compréhension, y compris la Réforme protestante. C’est que, si Dieu nous a placés là où nous sommes, au cœur du monde, au milieu des autres gens, ce n’est pas pour que nous partions en courant. Pour Luther, l’idéal monastique de son temps ne devait pas être réservé à certains, mais tous les chrétiens avaient vocation à vivre l’Évangile !

 

D’ailleurs, Jésus n’a-t-il pas marché sur nos routes humaines ? Lorsqu’il se mettait à l’écart, c’était pour être tranquille pour prier, puis il revenait vers ses disciples et vers les foules, à moins que ce ne fût elles qui le rejoignaient avant l’heure ! Ah si : après la multiplication des pains, selon Jean, il s’enfuit lorsque les foules voulurent le faire roi (Jean 6 / 15), prétendant ainsi l’emprisonner dans le monde au lieu de l’y laisser libre… Nous avons là l’exemple concret de ce qu’il a dit à son Père à propos de nous : « Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin. » (Jean 17 / 14-15) Car tout ce qui, dans le monde, a intérêt à étouffer l’Évangile, cherche à nous assimiler au monde, à faire de notre foi, de notre confiance en Dieu, une simple religion, voire une simple philosophie, un système de valeurs humanistes comme les autres… et de nous des gens comme les autres, censément désintéressés mais au fond d’eux-mêmes avides de pouvoir, tels « les deux fils de Zébédée » !

 

Jésus a finalement été rejeté, mis hors du monde par sa mort, mis hors de Jérusalem par sa crucifixion. Les évangélistes l’ont bien compris qui nous racontent aussi sa naissance non pas à Jérusalem mais à Bethléhem. Vraiment homme, non pas descendu d’un nuage, et pourtant à côté, toujours à côté… On n’exécutait pas les gens en pleine ville, comme à Paris, au Moyen-Âge et jusqu’en 1830, en place de Grève ! Ça se passait en-dehors de Jérusalem. D’ailleurs, au Temple de Jérusalem, les sacrifices et holocaustes n’avaient pas lieu dans le sanctuaire mais à l’extérieur. C’est cette image qu’a retenue l’auteur de l’épître aux Hébreux, pour nous inviter à suivre celui dont nous confessons qu’il est notre Seigneur et Sauveur.

 

Comment alors le suivre, si ce n’est pas en sortant du monde de manière fantasmatique ? Serait-ce en courant au martyre ? Là encore l’Église a toujours refusé cette solution. Car l’Évangile, le Royaume de Dieu, n’est pas synonyme de mort, mais de vie ! Et l’on a vu aussi Jésus s’échapper de Nazareth lorsque les gens ont voulu le tuer à cause de ce qu’il venait de leur dire (Luc 4 / 29-30). Aucune solution de fuite, que ce soit dans l’isolement, dans la secte ou dans la mort, ne convient aux chrétiens. Car aucune de ces pratiques n’a été celle de Jésus. Et s’il est mort, ce n’est pas par suicide, mais par meurtre, et de ce meurtre les humains sont coupables, pas Dieu. Ésaïe déjà prophétisait : « Ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; et nous, nous l’avons considéré comme atteint d’une plaie, comme frappé par Dieu et humilié. Mais il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. » (És. 53 / 4-5)

 

Ces crimes, ces fautes, notre propre péché quand même nous serions bons et généreux, tout ceci est mort avec Jésus sur la croix. Et nous voici nous aussi transportés avec Jésus en-dehors de la cité. L’apôtre Pierre nous dira « étrangers et voyageurs » (1 Pi. 2 / 11), et vous savez bien que c’est le mot « voyageurs », en grec /*paroïkous/, qui a donné le mot « paroissiens » ! Nous, depuis de nombreux siècles, nous pensons que la paroisse, c’est la ville ou le village… Non, la paroisse, c’est la cité de transit ! Nous sommes dans ce monde comme en transit vers la Cité céleste. Ceci n’est pas une posture : c’est une autre identité, un autre regard, un autre comportement. Parce que ce n’est ni en nous-mêmes ni dans le monde que nous mettons notre confiance, mais en Dieu. Quand bien même nous épousons certains des combats du monde où nous sommes – et ce peut être tout-à-fait légitime – nous n’y jouons pas notre identité. Comme le chantait le psalmiste : « En Dieu je me confie, je ne crains rien ; que peut me faire un être humain ? » (Ps. 56 / 12)

 

C’est bien de cette manière, face à l’épidémie actuelle, que nous pouvons suivre le Christ : non pas en oubliant les autres par une sorte d’égoïsme spirituel ; non pas en négligeant la maladie par une sorte de suicide tout autant méprisant des autres, les gens à qui nous pouvons la communiquer ; mais en sachant que même au cœur de l’épidémie, même confinés chez nous, même atteints par l’épidémie ne serait-ce que dans notre vie sociale et ecclésiale – ce qui est bien le cas – nous regardons vers ailleurs, un ailleurs dans lequel nous mettons notre confiance, un ailleurs qui nous fait regarder les autres comme des frères et sœurs possibles. Alors oui, depuis cet ailleurs qui nous prend là où nous sommes, chez nous, malades ou bien-portants, réquisitionnés par l’urgence ou obligés d’être cloîtrés, c’est notre prière qui nous caractérise comme chrétiens. Une prière à l’image de celle du Christ à Gethsémané : « non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » (Marc 14 / 36)

 

Comment sinon savoir ce que Dieu veut ? Et je ne parle pas que de la maladie elle-même : la prière n’a pas de fonctionnement magique, comme chez les païens ; elle n’obtient pas de guérison miraculeuse ! Si Dieu veut faire, il fait… Non : je parle de la manière dont notre confiance en Dieu, dans la méditation biblique et la prière, va transformer notre regard et notre comportement à nous au sein de la période actuelle, chaque jour. Qu’est-ce que Dieu veut que je fasse ? Comment Dieu veut-il que je le fasse ? Quels moyens que je ne discerne pas a-t-il pourtant mis à ma disposition ? Comment me reposer en Dieu peut-il me mettre debout et me faire avancer ? Comment le prier vraiment pour les autres sans que ce soit les mêmes bons sentiments gratuits que tout le monde, avec seulement un « amen » à la fin ? Comment concrètement être chrétien « dans le monde » en n’étant pas « du monde » ?

 

Puisse alors cette prière à Dieu nous libérer de toute peur, de toute envie, de  toute récrimination envers lui comme envers nos proches. Dans leur prison macédonienne, « vers le milieu de la nuit, Paul et Silas priaient et chantaient les louanges de Dieu, et les prisonniers les écoutaient. Tout à coup il se produisit un grand tremblement de terre, au point que les fondements de la prison furent ébranlés ; au même instant, toutes les portes s’ouvrirent, et les chaînes de tous se détachèrent. » (Actes 16 / 25-26) Ce sera notre témoignage : louange et prière. Alors, peut-être des chaînes céderont-elles dans notre prison dont « les fondements en seront ébranlés » … Amen !

 

(Saint-Dié) en confinement –  David Mitrani  –  29 mars 2020

 

 

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