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Épître aux Hébreux 11 / 1-2 ; 12 / 1-3
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texte : Épître aux Hébreux 11 / 1-2 ; 12 / 1-3
premières lectures : Ésaïe 50 / 4-9 ; épître aux Philippiens 2 / 5-11 ; Évangile selon Jean 12 / 12-19
chants : 33-33 et 47-04
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« Par la foi. » C’est ainsi que commencent pratiquement tous les exemples donnés au chapitre 11 dans le long passage que je ne vous ai pas lu, et le mot « foi » s’y trouve 22 fois, autant que de lettres de l’alphabet hébreu. En comptant aussi les deux extraits qui ont été lus, cela fait 24 emplois du mot, autant que les livres de la Bible juive ! C’est donc peu dire que ce mot est important dans ce passage ! Retenez donc ceci : c’est la foi, ici, qui compte, et non pas ce qu’on en fait ou pas. Mais tous les exemples cités, que vous irez relire après la fin de ce culte, sont précisément des exemples de croyants qui en ont fait quelque chose : ils sont appelés « témoins ».
Mais à quoi tous ces gens, ces « anciens » morts depuis longtemps, nous servent-ils ? C’est une question bien moderne ! J’avais à peine 10 ans quand l’enseignement de l’histoire a commencé à être déstructuré en France, y compris dans les facultés de théologie protestante ! Et vous savez dans quel état il est aujourd’hui, où les grands musées nationaux se croient obligés de se passer des chiffres romains qui ne seraient, paraît-il, plus lisibles… Alors, avec l’épître aux Hébreux, il faut l’affirmer bien haut : l’histoire sert à quelque chose, l’histoire sert à quelqu’un, l’histoire nous sert, à nous, à nous situer ailleurs que dans le vide. On sait bien, malheureusement, comment finissent par réagir les jeunes qu’on a privés d’histoire, qu’on a « laissé choisir », mais le seul choix qu’on leur a laissé, c’est entre la violence contre le monde ou celle contre eux-mêmes ! Nous, nous avons cette chance, aujourd’hui inouïe : « nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins ».
C’est une vraie chance, et plus que cela : ça concourt à notre identité. Oh ! cela ne la définit pas : nous ne sommes pas déterminés ! Mais « environnés ». Ça signifie d’abord que nous sommes des héritiers. Dans ce sens, les Écritures ne sont pas closes : si elles commencent avec la Création, Abel, Hénoch, Noé, etc., elles se poursuivent avec nous, en passant par Jésus. Nous sommes les héritiers des précédents « témoins », nous sommes de plusieurs manières les héritiers et les bénéficiaires de leur témoignage. Par la famille, pour ceux d’entre nous qui ont eu l’heur de naître dans un foyer chrétien – peu importe de quelle confession. Par la Bible, bien sûr, qui nous raconte ces histoires non pas pour savoir ce qui s’est passé, mais pour nous en donner enseignement et témoignage, comme l’auteur de la première finale de l’évangile de Jean l’a énoncé clairement : « ceci est écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » (Jean 20 / 31) Et chacun dans sa propre vie sait aussi à qui il doit d’être ici, chrétien, aujourd’hui : amis, rencontres, prières, paroisses, comptoirs ou autres encore…
Pour ce qui est des témoins bibliques en tout cas – pas forcément de chacun des autres, mais qui le dira ? – c’est par la foi, dans la foi, à cause de la foi, que ce témoignage a été reçu et nous est parvenu, à nous lecteurs actuels, en bout de chaîne. Et c’est donc aussi dans la foi, par la foi, à cause de la foi, que la chaîne peut ne pas s’arrêter à nous, c’est bien ce que tout notre texte nous suggère… Ce qui nous a été transmis reste à transmettre, dès lors que ces témoignages qui nous « environnent » sont reçus dans la foi et la suscitent, ou bien la suscitent et sont reçus en elle… Tout comme – je vous l’ai souvent fait remarquer – le mot « évangile » signifie non pas « bonne nouvelle », mais « bonne annonce », et désigne à la fois le contenant et le contenu. On ne peut recevoir le contenu sans le contenant, et le contenant est un mouvement, une annonce. On ne peut être « évangélisé » sans « évangéliser » à notre tour. Tel le vent, l’Évangile nous soulève et nous emmène vers ailleurs, feuilles sinon mortes, mais devenant témoins de ce vent qui nous porte (cf. Jean 3 / 8).
Où donc nous emporte-t-il ? La première réponse qui nous vient, si nous avons bien été catéchisés par toute notre vie d’Église, c’est : vers les autres ! Mais le texte de ce matin nous propose une autre réponse, qui certes n’est pas contradictoire. Il nous dit que nous avons été emmenés vers la liberté ! Car dans ce monde-ci, il y a tant de « fardeaux », et « le péché qui nous assiège » est si puissant… ! Chacun de nous a pu l’éprouver, et l’éprouve sans doute encore, dans sa propre existence, fût-elle longue, fût-elle récente… Inutile donc de faire la liste de ces fardeaux, bien que la pandémie actuelle n’en soit pas avare, que ce soit par maladie, angoisse, solitude, enfermement, etc. Et inutile de décrire le péché, cette espèce d’abîme creusé à la fois depuis toujours et chaque jour entre Dieu et nous, qui nous prive de son amour paternel, qui nous prive de grandir. Or la foi est précisément le remède qui nous est fourni ! « La foi, c’est l’assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas. »
Face à ce monde désespérant, un autre monde nous est ouvert dans la foi, celui que les évangiles appellent le Royaume de Dieu. Mais cette traduction est trompeuse, on devrait traduire non pas le royaume, mais le règne, le règne ici-bas de Dieu malgré le pouvoir du « prince de ce monde » (Jean 12 / 31) et malgré lui, par-dessus lui. La foi est ce qui révoque ce pouvoir, elle est ce qui nous fait croire la réalité invisible de ce règne. Y a-t-il des preuves de ce règne de Dieu en ce monde ? Non. Y a-t-il d’ailleurs des preuves de Dieu ? Non. Mais il y a les témoignages de la foi, des témoignages non pas en discours, mais en gestes, en victoires là où seule la défaite était réaliste, en passages là où un mur infranchissable fermait la route. Or le mur a sauté, la défaite a été défaite, la mort est morte. N’est-ce pas ce que nous proclamons à Pâques et chaque dimanche et chaque jour de notre vie de foi ? Car notre foi est une foi pascale, ou bien elle n’est pas. Que nous importerait que Jésus ait dit et fait des choses excellentes, si ça mort ne nous avait pas libérés, si sa résurrection n’était qu’un mythe pour nous consoler de sa mort et de la nôtre ?
Notre texte le confesse : Jésus est « l’initiateur et le consommateur de la foi », ou pour le dire en français plus compréhensible – quoique –, il est le début et la fin, l’origine et le but, de la foi ; ma traduction disait : « l’auteur de la foi et [celui] qui la mène à la perfection. » Toute foi est par lui et pour lui – c’est encore une autre manière de dire la même chose. C’est donc à lui qu’il faut regarder pour comprendre, connaître et contempler le règne de Dieu, c’est à sa croix qu’il faut regarder. Les gens qui l’ont acclamé alors qu’il se rendait à Jérusalem pour y mourir à l’occasion de la Pâque le savaient-ils, ou bien se sont-ils trompés de Dieu ? Ont-ils acclamé un Dieu puissant, un libérateur politique et social, un fils de prophètes et de rois ? Si c’est le cas, ils avaient raison, mais ils avaient tort… Lorsqu’on regarde à Jésus, c’est bien à la croix qu’il faut le contempler, pas ailleurs. Comme écrivait l’apôtre Paul : « Je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » (1 Cor. 2 / 2)
Ce qui pourrait être l’effondrement de toute foi, de toute espérance, de tout amour, est pour nous une indicible victoire, qui instaure en nous « la glorieuse liberté d’enfants de Dieu » (Rom. 8 / 21). Mais c’est là une épreuve sportive, nous dit le texte, un combat public. Il y a comme un lien profond entre la foi et l’espérance. Comme l’écrivait Péguy : « La Foi voit ce qui est. Dans le Temps et dans l’Éternité. L’Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et dans l’éternité. » (Charles Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu) C’est dans cette tension entre présent et avenir, entre foi et espérance, que se vit la vie chrétienne. Mais pour la foi, contrairement au texte de Péguy, le futur est déjà là, la résurrection nous est déjà acquise, le péché est déjà vaincu, et la foi voit cette victoire dans le monde tel qu’il est, malgré les yeux et la raison. La foi voit le Christ ressuscité, l’Homme-Dieu vivant à jamais, dans l’homme crucifié et dans le tombeau vide. La foi, celle des Rameaux, acclame Jésus-Christ s’avançant vers la victoire, que ce soit sur la croix ou dans nos vies, dans nos vies à cause de la croix.
À cause de lui, le fardeau ne pèse plus, le péché n’a plus le dernier mot. Il n’y a donc, dans la foi, plus aucune raison de se décourager, quand même il y aurait une infinité de raisons de le faire sans la foi. La mort elle-même n’est pas une raison de se décourager. L’épreuve continue à se courir tandis même que « la figure de ce monde passe » (1 Cor. 7 / 31). Les gens d’aujourd’hui dans notre société ont peur, on pourrait même dire plus vulgairement qu’ils « crèvent de trouille », au point de vouloir être rois et dieux de leur propre vie éphémère, rêvant d’immortalité, par le pouvoir ou par le numérique, se projetant dans un futur inatteignable en se fabriquant ou achetant une « descendance » sans qu’elle soit le fruit d’une relation, niant la différence sexuelle parce que celle-ci pose une limite, niant la mort ou demandant à la choisir – ce qui revient au même –, etc. Nous autres, nous sommes libérés de ça. Dans la foi, nous pouvons en même temps regarder le monde tel qu’il est, et y voir le règne de Dieu tel qu’il est lui aussi, nous pouvons être dans ce monde les sujets du Grand Roi, comme Jésus l’a prié avant sa Passion : « Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin. Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Sanctifie-les par la vérité : ta parole est la vérité. Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. » (Jean 17 / 15-18)
Alors, mes frères et sœurs, pas de découragement, dit le texte de ce jour. En regardant à Jésus « livré pour nos offenses, et ressuscité pour notre justification » (Rom. 4 / 25), l’Esprit de Jésus nous rend capable d’affronter avec foi tant cette existence que le témoignage que nous rendons ainsi à celui « en [qui] nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17 / 28). Ne vous épuisez pas au combat, le Christ l’a gagné pour vous sur la croix. Mais combattez vaillamment en sachant votre victoire certaine : « la foi est l’assurance des choses qu’on espère » ! Ne vous relâchez pas non plus, la lutte n’est pas finie. Que ce soit par fatigue de combattre seul ou par confiance qu’un autre lutte pour vous, ne vous relâchez pas. Car votre témoignage, c’est votre combat, c’est la manifestation que dans votre vie ici-bas vous avez tellement confiance en Jésus que vous n’avez peur de rien. C’est d’ailleurs le seul moyen pour pardonner et aimer en vérité. Au chapitre suivant, la même épître, citant les Psaumes, nous dira : « C’est pourquoi nous pouvons dire avec courage : “Le Seigneur est mon secours ; je n’aurai pas de crainte. Que peut me faire un homme ?” » (Hébr. 13 / 6).
Alors courage, puisque, par la foi, vous ne craignez plus rien, et que vous n’avez plus de raison d’avoir peur ni de Dieu, ni du monde, ni des autres, ni de vous-mêmes. Soyez de ces « anciens » dont, dans les générations futures, on rendra « un bon témoignage à cause de [votre foi] ». Marchez par la foi, confiez votre vie au Christ ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 28 mars 2021