Épître aux Hébreux 10 / 5-10

 

texte :  Épître aux Hébreux 10 / 5-10

premières lectures :  Ésaïe 62 / 1-5 ; Évangile selon Luc 1 / 26-38

chants :  31-01 et 41-05

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Ah ! que la promesse faite à Jérusalem était belle dans la prophétie d’Ésaïe : une Jérusalem nouvelle, c’est-à-dire l’ancienne transfigurée et pourtant d’une nouveauté inouïe. L’Église chrétienne a repris pour elle cette prophétie, dans l’Apocalypse de Jean, mais ses formes historiques, contingentes, ressemblent bien peu à cela… Notre Église comme les autres ! C’est qu’il y avait besoin d’une prophétie plus fondamentale, d’une annonce plus lourde encore de sens. Celle bien sûr qui est faite à Marie par l’ange Gabriel, qui est une parole performative, qui réalise ce qu’elle annonce, comme toute vraie parole de Dieu. Mais celui dont nous fêtons la venue à Noël, qui s’est manifesté au monde dans la personne de Jésus de Nazareth, Messie d’Israël et Sauveur du monde, ne s’est pas contenté de naître ! Vous le savez bien, sinon vous ne seriez pas ici ce matin. Il a lui aussi, lui d’abord, réalisé une nouveauté inouï qui a renouvelé toutes choses. C’est ce que montre l’épître aux Hébreux.

 

Beaucoup de gens, Baptistes, Esséniens ou autres, attendaient la venue d’un grand-prêtre enfin légitime, suscité par Dieu et non par les Romains, restaurant le vrai sacrifice, et notamment le sacrifice pour le péché, celui de Kippour. Car si le sacrifice est administré par des prêtres impies, il n’est pas valide, et le péché du monde demeure, Israël ne reçoit pas le pardon auquel il pouvait prétendre de par son sacrifice selon la Loi de Dieu. Et si le peuple choisi par Dieu ne peut plus se sanctifier, comment pourrait-il sanctifier le reste du monde ? C’est tout le projet de Dieu qui est alors rendu impossible… Bon. Vous entendez combien ce raisonnement est logique, trop logique jusqu’à en être faux. Les prophètes d’Israël n’avaient-ils pas proclamé que Dieu n’en a rien à faire, des sacrifices ? Ainsi Ésaïe, Jérémie, et aussi Amos : « Je hais, je méprise vos fêtes, Je ne puis sentir vos cérémonies. Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, Je n’y prends aucun plaisir ; Vos sacrifices de communion et les veaux gras, Je ne les regarde pas. Éloigne de moi le bruit de tes cantiques. Je n’écoute pas le son de tes luths, Mais que le droit coule comme de l’eau, Et la justice comme un torrent intarissable. M’avez-vous fait des sacrifices et des offrandes Pendant les quarante années du désert, maison d’Israël ? » (Amos 5 / 21-25)

 

Ainsi Dieu affirmait bien fort, et même violemment devant les injustices commises par les puissants et les riches de son peuple, qu’il n’avait pas besoin qu’on fasse pour lui quoi que ce soit, qu’il s’en passait très bien, et même qu’il le refusait si cela devait servir de prétexte à ne pas faire sa volonté et à mépriser le droit des pauvres et des petites gens. Mais les Juifs y tenaient, notamment les Sadducéens, quand ils avaient un Temple. Et depuis qu’ils n’en ont plus, selon les Pharisiens c’est toute leur existence quotidienne qui est devenue un sacrifice perpétuel – en tout cas pour les plus pieux. Ceci dit, nous ne sommes peut-être pas si loin d’eux que ça… Nous dont la religion se veut épurée, non sacrificielle – et parfois même non religieuse ! – nous n’en concevons pas moins souvent notre propre existence comme le lieu du sacrifice. Entendez donc en vous-mêmes la voix qui vous souffle que, « quand même, avec tout ce que j’ai fait », etc. Cette voix pense-t-elle que vos mérites obligeraient Dieu à votre égard ? Votre vie chrétienne cherche-t-elle une récompense ? une justification ? une raison d’être, même… ? Est-elle conditionnelle ?!

 

C’est donc y compris par rapport à notre propre vie que le reproche des prophètes résonne contre nous. Si notre vie est un sacrifice, pensant peser dans une balance quelconque, alors elle ne peut que faire pencher le mauvais côté de la balance ! Je vais vous donner un exemple ecclésiastique ! Dans notre Union, nous disons toujours que chaque paroisse verse une participation financière qui correspond à ses moyens, que son poste pastoral soit pourvu ou pas, afin de contribuer aux frais communs, qui sont essentiellement les traitements des pasteurs. Aucun mérite donc à verser ce qu’on doit, puisqu’on le peut… Mais parfois, certaines paroisses sans pasteur récriminent en disant qu’avec tout ce qu’elles ont versé – et que ce soit beaucoup ou peu – elles ont bien le droit qu’on leur envoie un pasteur… Comme si c’était l’Union et non pas le Seigneur qui trouvait et envoyait les pasteurs ! « J’ai bien le droit… » voilà à quoi mène une compréhension de la foi ou de l’engagement d’Église sur le mode du sacrifice. C’est là que se niche le péché, c’est là que nous cédons à la voix du Tentateur, non seulement sur cette question mais sur toutes, et non seulement les paroisses, mais aussi les paroissiens et même les pasteurs !

 

Jésus nous demande-t-il de nous sacrifier pour lui, à sa suite ? Nous demande-t-il de lui sacrifier notre temps, notre énergie, notre argent, et parfois notre famille ? Je ne parle pas ici des vocations particulières qu’il donne – pas qu’il demande, mais qu’il donne ! – à quelques-uns. Qu’on se le dise : Jésus ne demande aucun sacrifice, non plus que Dieu. Et la prière que l’épître aux Hébreux, citant le psaume 40, met dans la bouche du Christ, l’exprime clairement. Elle confirme que Dieu non seulement ne veut pas, mais n’agrée pas, de sacrifice ni d’offrande qui puisse acheter son pardon. La foi chrétienne parlera donc de pardon gratuit et non de sacrifice, elle parlera de communion fraternelle et non plus d’offrande, en principe ! Mais qu’est-ce qui l’y autorise ? Sûrement pas l’humanisme moderne, qui est pétri de pensée sacrificielle ! Non. Une seule réalité peut nous extraire du sacrifice, de la dette contractée depuis Adam par tout homme, toute femme, et qui lui colle à la peau jusqu’à sa mort.

 

Cette unique réalité salvatrice, c’est la personne de Jésus-Christ. C’est sa « venue dans le monde », nous dit notre texte, qui révoque définitivement cette soi-disant demande de Dieu voulant des sacrifices, pensée païenne s’il en est. Et cette venue ne s’est pas faite à la manière des anges – encore que je n’aie pas conscience d’en avoir jamais vu – mais dans « un corps » comme vous et moi, afin que la volonté de Dieu puisse se réaliser concrètement, dans une vie humaine, pour Jésus comme pour vous et moi. C’est à la fois nécessaire et contingent. Nécessaire parce que faisant partie du plan de l’amour de Dieu pour nous depuis toujours : c’est ainsi que dans la Bible « il est écrit au sujet » de Jésus, et non seulement dans le Nouveau Testament, pas concerné ici, non seulement dans le Psaume 40 cité par notre texte, non seulement dans les Psaumes et les Prophètes, mais dans tout le Livre, toute la Bible. Et contingent parce que ce n’est pas un mythe intemporel, mais un homme particulier, Jésus, qui réalise, accomplit, achève, ce plan de Dieu par lequel nous avons la vie.

 

Car la volonté de Dieu n’est pas que nous obéissions aux commandements, que ce soient les commandements rituels ou les commandements moraux, s’il faut faire une distinction entre deux sortes. L’auteur de notre texte souligne lourdement et explicitement l’opposition entre la Torah, fondatrice de la religion sacrificielle, et le Livre de cette Torah, qui annonce le Christ, qui annonce l’accomplissement par le Christ de la volonté de Dieu, une volonté qui ne consiste donc pas à recevoir des sacrifices, mais à nous sauver. L’apôtre Paul reprendra avec d’autres mots cette opposition entre la parole divine de la Loi et la parole divine de l’Évangile, ou aussi entre la Loi comme commandements à observer et la Loi comme livre prophétisant le Christ et le manifestant clairement à celui qui lit avec la lumière du Saint-Esprit. L’épître aux Hébreux le dit avec le langage du Temple, du sacerdoce et du sacrifice. Mais elle dit la même chose : l’absolue nouveauté de la venue du Christ dans le monde, son irruption pour casser toute logique de péchés et de sacrifices et la remplacer par lui-même.

 

Ainsi notre religion ne consiste-t-elle pas en observance, en morale, en piété, en « religion », mais en Jésus-Christ seul. Y a-t-il quelque chose à croire ? Jésus-Christ ! Y a-t-il quelque chose à faire ? Jésus-Christ ! Il est à la fois le sujet et l’objet de la foi, il est le seul artisan du salut, et si nous sommes saints, mis à part pour Dieu, ce n’est pas par nos œuvres, mais par la sienne. Et si comme l’épître aux Hébreux on souhaite garder le langage sacrificiel, alors nous dirons, comme elle, que c’est « par l’offrande du corps de Jésus-Christ un fois pour toutes ». Non pas que ce soit nous qui offrions ce corps – comme on le dit dans une autre confession chrétienne… C’est lui qui l’a fait, ou plutôt c’est lui qui l’a été : il est, dans son corps, dans sa personne, dans sa « venue dans le monde », le geste par lequel Dieu nous a réconciliés avec lui, nous a sanctifiés afin que non plus par obligation, par devoir, mais par notre nouvelle identité d’enfants de Dieu, nous accomplissions sa volonté, et qu’ainsi nous témoignions du « Christ qui vit en [nous] » (Gal. 2 / 20).

 

Nous ne pouvons pas courir les deux lièvres en même temps ! Nous ne pouvons pas d’une part nous savoir sauvés gratuitement, par amour, par pure bonté paternelle réalisée en Jésus-Christ pour chacun de nous, et en même temps vouloir mériter ce cadeau par nos œuvres, notre propre justice. Nous ne pouvons pas en même temps être les enfants du Père céleste, et des quémandeurs de services plus ou moins égoïstes. L’apôtre Paul sera furieux contre les chrétiens de Galatie à qui on aura fait croire que c’est ça qu’il fallait, à la fois croire en Jésus et se faire circoncire (Gal. 3 / 1-5). Jésus n’est pas venu pour nous faire Juifs, mais pour nous libérer du péché et de la mort « une fois pour toutes », comme dit notre épître. Et c’est bien ce que Dieu voulait dès le départ, dès le début du Livre ! Il a créé le monde et l’humanité, il a scellé cette alliance dans le Déluge comme en un baptême, il a choisi Abraham, Isaac, Jacob et ses fils, tout ceci avant Moïse, avant qu’il y ait une Loi à observer. Avec la promesse de bénédiction universelle à travers la descendance d’Abraham, à travers Israël, à travers et grâce à Jésus.

 

Tel est donc le bouleversement qui a pris corps en Jésus : la volonté bonne de Dieu, qui est telle depuis toujours, remplace désormais les efforts infructueux des humains pour obtenir un salut qu’ils ne méritent pas, qu’ils ne méritent toujours pas. Mais demande-t-on à un enfant de mériter l’amour de ses parents ? Ce serait un non-sens absolu. On peut, pour son bien, lui demander d’obéir à certaines règles, certes. Mais s’il les transgresse, il n’en reste pas moins l’enfant chéri de ses parents. Ainsi en est-il de nous autres, qui connaissons maintenant Dieu comme notre Père, et non pas comme notre Juge ni comme un Destin. Jésus n’a pas changé Dieu ! Il nous a changés. Il a fait de nous, dans son corps, les fils et les filles de Dieu plutôt que ses serviteurs et ses servantes bien indignes. C’est ce corps que nous célébrons à Noël, corps déjà rejeté dès sa naissance par les descendants de ceux qui rejetaient autrefois les prophètes ; le même corps qui sera meurtri, torturé, nié sur la croix, afin qu’en lui notre indignité-même soit elle aussi niée, détruite. En lui est notre salut « une fois pour toutes », c’est-à-dire au jour le jour et pour toujours.  Nous pouvons abandonner enfin toute velléité de le mériter, de faire des choses pour lui : c’est lui qui a tout fait. Il ne nous reste qu’à dire merci et à en vivre, chacun et en Église. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  19 décembre 2021

 

 

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