Épître aux Éphésiens 5 / 15-21

texte :

Regardez donc soigneusement comment vous marchez, pas comme des fous, mais comme des sages, rachetant le moment, car les jours sont mauvais. C’est pourquoi ne soyez pas sans intelligence, mais comprenez quelle est la volonté du Seigneur. Ne vous enivrez pas de vin, par lequel est la débauche, mais soyez remplis par (l’) Esprit, vous parlant (en) psaumes, hym­nes et odes spirituels, chantant et psalmodiant au Seigneur (en) votre cœur, rendant toujours grâces pour tout au nom de notre Seigneur Jésus-Christ au Dieu et Père, vous soumettant les uns aux autres dans la crainte de Christ…

 

 

premières lectures :  Exode 20 / 1-17 ; Évangile selon Marc 10 / 17-27

chants :  22-04 et 116

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prédication :

 

Nous avons tous retenu que les « Dix Paroles », comme disent les Juifs, « les Dix commandements », comme nous disons, ont été gravés par Dieu sur deux tables de pierre (Ex. 31 / 18). J’ai encore le souvenir de certains temples (ce n’est pas le cas dans les nôtres ici) sur le mur desquels prennent place deux gigantesques tables, gravées ou peintes, portant le texte des commandements que nous avons réentendu tout à l’heure, ainsi d’ailleurs que le double commandement d’amour rapporté dans le Nouveau Testament (Marc 12 / 29-31). Traditionnellement, la première « table » va jusqu’au commandement sur le shabbat, la seconde concerne nos relations avec les autres. Les 6 derniers commandements sont beaucoup moins développés – 2 mots pour les plus brefs – que les 4 premiers qui, eux, concernent nos relations avec Dieu. Tout le monde sait ça, en tout cas dans une Église ! Je crains que nos enfants n’en entendent plus beaucoup parler dans l’école de la République qui, pourtant, se doit de présenter et respecter toutes les religions sans en choisir aucune.

 

Étonnamment, lorsque Jésus rappelle « les commandements » à celui qu’on nomme improprement « le jeune homme riche », il ne lui résume que la « seconde table » ! Mais c’est sans doute qu’entre l’adresse « bon maître » – « Dieu seul est bon » – et l’invitation à suivre Jésus, la « première table » est abondamment représentée… par Jésus lui-même, par la confiance qu’on lui porte et qui s’appelle la foi ! Qu’un fidèle croyant ait pu rejeter la première table alors qu’il a pratiqué la seconde depuis toujours est certes étonnant, au point que les disciples présents n’ont pas réalisé l’enjeu de ce dialogue. Mais combien de chrétiens ne croient-ils pas qu’en s’abstenant de commettre « meurtre, adultère, vol, faux témoignage, tort » et en « honorant » leurs parents, ils observent toute la Loi et accomplissent ainsi la volonté de Dieu ? Ils confondent être bon et être chrétien. Heureusement que d’autres gens que les chrétiens sont bons eux aussi, et parfois plus que nous ! Car il y a aussi des chrétiens qui pensent qu’au nom de la première table, à cause de leur foi, ils peuvent commettre quelques accrocs aux commandements de la seconde table, et se passer d’aimer leur prochain comme eux-mêmes. « La grâce à bon marché » …

 

Toutes ces question sont reprises par l’apôtre Paul dans le texte de ce matin. Mais bien sûr, ce n’est plus sur le mode de la Loi qu’il en parle : la Loi menait à la connaissance de notre péché afin que nous puissions accepter le pardon de Dieu et sa grâce en Jésus-Christ, ce que le « jeune homme riche » n’avait pas fait… Ce que fait Paul tout au long de ses lettres, c’est, comme il est écrit dans la lettre à Timothée, « enseigner, convaincre, redresser, éduquer dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit adapté et préparé à toute bonne œuvre. » (2 Tim. 3 / 16-17) C’est aussi ce que vous, vous cherchez en lisant la Bible, en écoutant la prédication, en posant des questions ou en dialoguant autour de ces questions. Comme les destinataires de l’épître, nous prendrons donc ce qu’écrivait l’Apôtre pour des exhortations à la vie chrétienne qui nous sont adressées non pour que nous soyons sauvés, non pour que nous obtenions quoi que ce soit de Dieu – il nous a déjà donné son Fils, cela devrait nous suffire ! – mais pour que nous « marchions » dans cette vie nouvelle que nous avons reçue comme une possibilité à accomplir devant celui qui est notre Père très aimant.

 

Car, chrétiens, nous avons à surveiller et être au clair au sujet de notre manière d’être devant Dieu et avec les autres. Il ne faut pas que nous nous trompions sur nous-mêmes, mais au contraire que nous puissions nous corriger, et ce tout au long de notre vie, car sans cesse le naturel reprend le dessus, et notre « naturel » n’est pas conforme à l’Évangile, il s’oppose « naturellement » au plan de Dieu pour nous et pour le monde. C’est le but de Paul que de nous aider à revenir sur des « sentiers justes », comme chantait David (Ps. 23 / 3). Sa première recommandation est donc cet appel à la lucidité sur nous-mêmes, un appel à bien considérer comment se mène notre vie, afin de pouvoir corriger le tir ! Il n’y a pas d’âge pour ça. Ou plutôt, tout âge est concerné, et tout « moment » de l’existence, ce « moment » qu’il faut « racheter, car les jours sont mauvais », comme écrit Paul. La sagesse consiste précisément à discerner non pas si les jours sont bons ou mauvais, si le monde va bien ou mal, si notre vie est conforme à la volonté de Dieu ou pas. La réponse, à tous ces niveaux, est la même : mauvais, mauvais, mauvais, et vous le savez bien !

 

Mais « Dieu est fidèle » (1 Cor. 1 / 9 ; 10 / 13), il ne rejette pas ceux qu’il a choisis et adoptés comme ses enfants à cause de Jésus. C’est pourquoi nous ne sommes plus sous la condamnation de la Loi, mais sous la grâce qui fait vivre. Alors vivons, et pour ce faire devenons sages, sachons apprécier comment va le monde, comment vont nos relations aux autres et à Dieu, comment nous allons nous-mêmes, en sachant qu’il y a un remède qui nous est fourni par Dieu, un remède que nous n’avons pas à aller chercher au bout d’efforts surhumains. Pour comprendre quelle est la volonté de Dieu, c’est-à-dire sa volonté qui est à réaliser dans notre vie, notre foi, nos relations – et non pas une volonté théorique –, nous avons besoin d’intelligence, mais une intelligence renouvelée (cf. Rom. 12 / 2), pas la raison raisonnante entachée d’intellectualisme, d’humanisme, d’égocentrisme, et même souvent de procrastination ! Savoir devant Dieu comment se comporter en enfant de Dieu.

Pour ça, il n’y a aucune nouvelle table d’une nouvelle Loi. Si nous voulons garder l’ancienne, relisons « le Sermon sur la montagne » pour ne pas faire les choses à moitié… et constatons que nous n’y arrivons pas ! Non. Pas de Loi, pas d’automédication non plus. Le remède fourni par Dieu, c’est son Esprit. Des autres remèdes on peut s’enivrer, on peut être saoul d’obéissance servile à Dieu ou à des hommes providentiels ou à des idéologies mortifères – toutes choses qu’on peut constater de nos jours comme à toutes les époques. Alors on se détruit et on détruit les autres et toute espèce de relation humaine autre que de domination, voire de destruction. Se saouler n’est jamais une solution : que ce soit au fond du verre, au fond du totalitarisme de la pensée et des actes, au fond même de la religion si elle est sans l’Esprit, il n’y a que le vide et la mort. Le remède que Dieu donne, que l’apôtre Paul présente, c’est l’Esprit, un nouveau souffle qui n’est pas celui de l’ivresse mais de l’amour.

 

Si nous prenons ce remède-ci, que va-t-il advenir, comment le « moment » que nous vivons, le « moment » de nos vies et de nos relations, comment va-t-il être transformé, « racheté » ? Il y a dans ce passage de l’épître quatre propositions ouvertes par des participes présents, qui explicitent ce « soyez remplis d’Esprit ». Chacune des quatre montre un aspect différent, un niveau différent de ce que l’Esprit produit en nous, entre nous, entre nous et Dieu. Je vais vous les rappeler maintenant…

 

« Vous parlant en psaumes, hymnes et odes spirituels… » Serions-nous dans un oratorio ? Et pourquoi pas ? Regardons comment nous nous parlons, en vrai. La plupart du temps, nous ne nous parlons pas, et peut-être vaut-il mieux, d’ailleurs. Sinon, ce ne sont souvent que discours convenus, qu’ils soient chrétiens ou qu’ils portent sur le temps ou la santé. En fait, les sujets que nous préférons aborder sont ceux où nous avons l’occasion de parler de nous-même. Mais cela intéresse-t-il les autres ? Et si oui – car c’est possible – à quoi cela sert-il ? Certes, si c’est bien vécu, cela alimente la vie fraternelle et communautaire : nous nous connaissons mieux, nous devenons plus proches les uns des autres. Mais cela peut aussi entraîner le contraire… Et si, avec l’aide de l’Esprit de Dieu, nous essayions de parler d’autre chose que de nous, de nos bonheurs et de nos peurs ? Vous avez le choix du style : « psaumes, hymnes, odes » … mais « spirituels » ! Essayons donc des échanges, des dialogues, à partir de ce que la Bible et l’Esprit nous soufflent par les psaumes, à partir de comment la foi a éclairé ou éclaire un « moment » de notre vie…

 

« Chantant et psalmodiant au Seigneur de votre cœur… » Ne serait-ce qu’en faisant attention aux paroles que nous prononçant en chantant un cantique adressé à Dieu, donc une prière ! Votre pasteur essaye de faire attention aux paroles en choisissant un cantique à vous proposer, sur une mélodie connue, donc sans que vous ayez à déchiffrer la partition. Je peux me tromper, certes ! Mais d’une manière générale, que notre cœur apprenne à chanter et à jouer pour Dieu, pas pour nous. « Qui chante bien prie deux fois », aurait dit Saint Augustin ! Il n’est pas question de justesse des notes, mais de justesse du cœur. Que nous nous tournions vers Dieu avec un cœur d’enfant de Dieu, telle est la piété juste, la psalmodie juste, telle est la foi.

 

Et ce cœur sera alors reconnaissant : « rendant toujours grâces pour tout au nom de notre Seigneur Jésus-Christ au Dieu et Père. » Troisième proposition… Nous avons toujours tendance, nous autres réformés, plus que les luthériens ou les catholiques, à nous adresser à Dieu sans tenir compte de Jésus. Nous rajoutons seulement son nom à la toute fin, avant « amen ». Ce que Dieu trouve bon pour nous, c’est qu’au contraire nous nous tenions dans le nom de Jésus pour nous adresser à lui, notre Père ; c’est que ce soit en communion intime avec Jésus, au bénéfice de sa croix, nourris de sa Parole et de son Pain, que nous nous tournions vers lui, car alors, loin de toute angoisse et de toute demande pour ce que nous croyons être nos besoins, nous pouvons vraiment vivre l’action de grâces, le « merci pour tout ». Parce que ce « tout » est le tout de l’amour que Dieu nous a manifesté et offert dans la croix du Sauveur. Ce « tout », c’est son amour et c’est notre adoption, c’est la vie présente à travers ce qui nous agresse sans cesse, et c’est la vie éternelle quand toute agression aura disparu, même la mort.

 

« Vous soumettant les uns aux autres dans la crainte de Christ… » J’ai rajouté ce membre de phrase à l’extrait qui nous était proposé, car il fait partie de la même phrase. Mais il se continue plus avant, parlant de la relation dans le couple (homme / femme), dans la famille (parents / enfants), dans la vie sociale (maîtres / esclaves), ce sur quoi nous ne nous arrêterons pas ce matin. Vous retournerez lire la suite en ne vous attachant pas à ce qui est conformiste, mais à ce qui rompt les pratiques sociales dominantes, car là est l’essentiel. En attendant, rappelons-nous quand même que ce que l’Esprit produit entre nous, ce n’est pas seulement de la poésie spirituelle comme dit tout à l’heure, mais c’est aussi de la « soumission mutuelle » non pas par gentillesse ni par devoir, mais parce que c’est là que Christ règne dans nos vies et nos relations, et que sans cela, sa seigneurie est un vain mot dans nos bouches. C’est sans doute là que l’esprit du monde et celui de Dieu sont le plus éloignés l’un de l’autre : que je fasse passer l’autre avant moi… ! Ça ne peut être que l’œuvre de l’Esprit lorsqu’il vient remplir notre existence ! Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  16 octobre 2022

 

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