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Épître aux Éphésiens 4 / 31 – 5 / 9
Partage
texte : Épître aux Éphésiens 4 / 31 – 5 / 9
premières lectures : Premier livre des Rois 19 / 1-8 ; Évangile selon Luc 9 / 57-62
chants : 416 et 415 (Arc-en-ciel)
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Conseils de morale chrétienne ! C’est l’impression que laisse ce passage de l’épître aux Éphésiens, à première lecture. Comme le dit le dernier verset : « le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté… » Ce qui répond au premier verset que je vous ai lu : « que toute méchanceté soit ôtée du milieu de vous. » Voilà. Mais y a-t-il vraiment besoin d’être chrétien pour vouloir, pour soi et les autres, une vie morale, le bien plutôt que la mal, la bonté plutôt que la méchanceté ? Évidemment non. Et même s’il y a quelques variations sur la définition du bien et du mal, la plupart des religions, la plupart des sociétés, attendent cela de leurs membres. Sinon, c’est clair, la société s’effondre. On le voit bien aujourd’hui dans notre pays, où certains n’ont pas été éduqués dans des valeurs morales, et où leur désespérance s’exprime dans une agressivité forte contre tout ce qui n’est pas leur intérêt immédiat, ce qui met en péril la cohésion sociale déjà bien abîmée… D’autres, c’est par soif inextinguible de pouvoir qu’ils ont d’autres pratiques tout aussi immorales, et qui mettent tout autant à mal cette cohésion vacillante.
Alors, qu’y a-t-il de chrétien, de spécifique, dans notre passage de Saint Paul ? L’extrait prévu pour ce matin commençait seulement par cette phrase énigmatique : « Soyez donc les imitateurs de Dieu… » Hors contexte, on se demande bien ce que ça peut vouloir dire ! Imiter Dieu dans sa toute-puissance ? Ce serait stupide… C’est pourtant ce que notre culture a voulu faire ! En Occident, nous nous sommes pris pour Dieu, en tout cas pour l’image fantasmatique que nous avions de lui. La produit de ça, c’est que nous avons saccagé sa création, fabriquant de la pauvreté d’abord chez nous, ensuite dans le reste du monde ; utilisant la nature jusqu’à contribuer à son épuisement ; et aujourd’hui, allant jusqu’à nier la différence sexuelle et la complémentarité des sexes. Vous me direz : en tout ceci, nous n’avons pas été des imitateurs de Dieu ! Certes. Nous avons voulu prendre sa place, le reléguant dans l’ombre de l’athéisme matérialiste que cette culture a fini par promouvoir, et dont l’écologisme et le véganisme totalitaires ne sont que des avatars.
Peut-on imiter plus sagement Dieu, l’imiter vraiment ? Est-ce intervenir dans la vie des autres, ou bien s’abstenir d’y intervenir ? Si Dieu est Providence, s’il nous protège, comment le fait-il : en intervenant pour nous, ou en s’abstenant de le faire ? Qu’est-ce qui respecte le plus les autres ? Certains diront que c’est une question de tempérament. D’autres, que c’est une question de théologie… Peut-on d’ailleurs imiter Dieu ? Dieu n’est-il pas inimitable, tout comme il est inaccessible, tout comme il est irreprésentable, tout comme son nom est imprononçable ? Le mot « dieu » est un nom commun, que ce soit en hébreu, en grec ou en français : sommes-nous alors des petits dieux, sommes-nous comme lui mais en petit ? Dans nos langues à nous, grec, latin ou français, ce mot vient d’une racine qui désignait le ciel. Devons-nous être des petits bouts de ciel sur terre, ou au contraire fuir la terre pour le ciel ? Vous entendez combien tout ce raisonnement n’a pas de sens, parce qu’il lui manque l’essentiel.
Or cet essentiel est donné dans la phrase qui précède, et qu’à cause de ça je vous ai lue aussi : « faites-vous grâce réciproquement, comme Dieu vous a fait grâce en Christ. Soyez donc les imitateurs de Dieu… » Comprenez donc : il ne s’agit plus de morale, mais d’identité, d’identité nouvelle. Nous étions des coupables, et la grâce de Dieu a fait de nous ses « enfants bien-aimés », dit le texte. Coupables devant qui ? Devant la morale ? Non pas. Mais devant Dieu, devant justement tout ce que nous avons pu fantasmer à son sujet : coupables devant sa majesté, coupables devant ses commandements, coupables devant celui « à [qui] appartiennent le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles », comme le dit la dernière phrase du Notre Père, qu’un scribe pieux a rajoutée à cette prière jusque dans le manuscrit biblique. La grâce de Dieu en Christ nous a fait prendre conscience que, sans elle, nous aurions été perdus. Cette grâce s’est manifestée, cette grâce a été réalisée, dans le sacrifice du Christ sur la croix : il a donné sa vie pour que nous en vivions. C’est exactement ce qu’il nous a dit de représenter, de rendre présent, dans la célébration de la cène : son sacrifice – pas le nôtre ! – sa vie donnée, notre vie reçue en échange de la sienne, et c’est tout le contraire de ce que nous appelons, nous, un sacrifice : nous n’avons rien à donner à Dieu, mais tout à recevoir de lui à travers la croix de Jésus-Christ.
Seulement voilà : ce que nous recevons de lui nous oblige ! Oh, certes pas de manière contraignante. Il n’y a pas de magie, d’automatisme, dans notre relation à Dieu, mais au contraire cette relation crée pour nous la « glorieuse liberté des enfants de Dieu » que Paul mentionne dans une autre épître (Rom. 8 / 21). Ce qui implique que nous avons besoin d’être exhortés comme le fait notre texte, d’être corrigés, d’être éduqués dans cette relation et dans cette liberté qui ne nous est pas naturelle. Comme le dit le texte : « autrefois vous étiez ténèbres ». Car lorsque nous sommes sans Dieu, il n’y a pas de lumière en nous, pas même une lumière cachée qui n’attendrait que d’être réveillée, découverte. Le texte est clair là-dessus. Or cet « autrefois » a laissé des traces, plus ou moins visibles, plus ou moins importantes, plus ou moins handicapantes. Et c’est pourquoi l’Apôtre a bien raison d’attirer notre attention là-dessus. Car comme je vous le disais, il ne s’agit pas de morale.
En effet, lorsque nous sommes sans Dieu, d’autres puissances occupent sa place, qui ne sont pas divines, mais démoniaques, c’est-à-dire qu’à la différence de Dieu, elles ne cherchent pas à nous libérer, mais à nous posséder. Trois sont nommées, qui sont donc sans doute les principales : la « *pornéia » – le mot grec dit mieux que ses faibles traductions françaises (« inconduite », « débauche », « impudicité », « adultère ») ce dont il s’agit –, l’impureté et la cupidité. Et l’auteur du texte précise bien qu’il s’agit là non pas de déchéance morale, mais d’idolâtrie. C’est un thème constant, voire dominant, dans toute la Bible, depuis le péché originel jusqu’à l’Apocalypse : l’abandon de Dieu pour un ou des faux dieux, images fallacieuses, projections de soi-même, « mensonges », comme les nomme l’Ancien Testament.
Les chrétiens destinataires de cette épître avaient-ils donc été particulièrement adeptes de relations sexuelles infidèles ou déviantes, s’étaient-ils avilis dans leur manière de vivre ou leurs relations sociales, n’avaient-ils eu de regards que pour l’argent et le pouvoir ? Peut-être : ils étaient des gens comme tout le monde, et ce sont les tentations de tout le monde… Mais peut-être pas, en tout cas pas plus que tout le monde. Qui le dira… ? Mais le mot « autrefois » utilisé par l’Apôtre pointe vers son contraire. Il utilise ce mot comme si ce n’était plus d’actualité, et en même temps il souligne que ça l’est bien toujours, puisqu‘il a besoin de rappeler à l’ordre ses paroissiens ! Aux Corinthiens il écrivait que les gens qui sont ainsi « n’hériteront pas le royaume de Dieu. Et c’est là ce que vous étiez, quelques-uns d’entre vous. Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom du Seigneur Jésus-Christ et par l’Esprit de notre Dieu. » (1 Cor. 6 / 9-11) L’ancienne condamnation est donc bien levée pour ceux qui sont en Jésus-Christ.
Mais ils sont – c’est-à-dire nous sommes – exhortés à vivre « comme il convient à des saints ». Ne pas vivre de tels dérapages, ne pas en parler, ne pas s’en moquer comme si c’était anodin. Car ça ne l’est pas. L’idolâtrie ne sied pas à des chrétiens, vous en conviendrez ! Celui qui dirait le contraire serait lui-même un agent de celui qui cherche à vous séduire pour vous éloigner de Dieu. Ce qui est contraire à la volonté de Dieu est contraire à la volonté de Dieu, point ! Ce qui prétend être notre dieu, nous diriger, nous posséder, est contraire à la volonté de Dieu. L’accoutumance au péché comme s’il n’était rien est contraire à la volonté de Dieu. Non par arbitraire, mais par bon vouloir, car Dieu veut le bien pour nous, tandis que le péché nous détruit en nous éloignant de lui, il détruit notre corps, notre être, nos relations, il empoisonne la vie de chacun et de la société tout entière.
Dieu nous appelle donc à être ses « imitateurs » lorsqu’il nous a fait grâce, lorsqu’il nous a relevés du péché et de la mort pour nous offrir la vie éternelle, une vie que son Esprit nous donne à vivre dès maintenant. Voilà pourquoi il nous appelle à être « bons les uns envers les autres, compatissants, [à nous faire] grâce réciproquement… » « Bonté, justice et vérité », voilà à quoi nous sommes appelés, et ces choses ne se vivent pas lorsque nous sommes seuls, mais lorsque nous sommes ensemble, lorsque nous sommes avec d’autres. Aucun être humain n’est bon « en soi », on n’est bon que pour quelqu’un d’autre. Être bon avec soi-même, être bon seul, c’est une ineptie ! Nous sommes donc appelés, invités, à une vie sociale, communautaire, dénuée d’idolâtrie – ce qui ne va pas de soi. Tout rapport de pouvoir, tout désir de possession – que ce soit possession d’objets, de richesses ou de gens – trahissent le péché, l’idolâtrie qui se cache derrière ou qui parfois ne se cache même pas.
C’est à la compassion, au don de soi, que nous sommes appelés, car telle est la vie chrétienne, et ce n’est pas naturel – qui d’entre nous tend naturellement l’autre joue quand on le frappe ?! (Matth. 5 / 39) C’est à vivre notre foi ensemble, et avec les autres, non pas en discourant, mais en nous aimant, au sens où l’apôtre Paul parle de l’amour, qui n’est pas un sentiment, mais un engagement. On ne peut pas changer facilement ses sentiments, mais on peut s’engager – avec ses sentiments ou malgré eux – les uns envers les autres. Et c’est dans cet engagement chrétien devant Dieu et devant les autres que notre foi s’éprouve et que nous pouvons nous montrer dignes, un peu, de l’amour que Dieu nous porte, lui qui a donné son Fils unique pour nous. Pourtant il se peut que nous éprouvions quelque nostalgie en repensant à nos anciens maîtres – *pornéia, impureté, cupidité, c’est-à-dire toute idolâtrie de nous-mêmes –, il se peut que nous éprouvions quelque attirance à reprendre pour nous ce qu’avec l’aide de Dieu nous avons donné, de notre temps, de notre énergie, de notre argent, de nous-mêmes. Le Tentateur a bien des moyens d’action dès que nous lui prêtons attention…
Alors, « marchez comme des enfants de lumière », nous est-il écrit. « Enfants », c’est-à-dire que cette « lumière » ne vient pas de nous, c’est celle du Père qui nous a engendrés en Jésus-Christ par l’Esprit saint. C’est plus facile : nous n’avons pas à créer cette lumière par nos propres forces, notre propre piété, mais seulement à la rayonner, puisque nous l’avons reçue déjà. Pour ce faire, sans doute faut-il lui laisser dans nos vies la place de grandir jusqu’à ce qu’elle sorte, et sans avoir peur d’en manquer ! Nous ne sommes pas Dieu, seulement ses « imitateurs », les imitateurs de sa compassion, de son amour, de sa lumière, de sa bonté, de sa justice, de sa vérité. N’ayons pas peur : imitons Dieu ! C’est à cela qu’il nous appelle. Amen.
Senones – David Mitrani – 7 mars 2021