Épître aux Éphésiens 4 / 20-32

 

texte :  Épître aux Éphésiens 4 / 20-32

premières lectures :  Ésaïe 34 / 4-10 ; Évangile selon Marc 2 / 1-12 ; épître de Jacques 5 / 13-16

chants :  45-21 et 45-20

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Guérison, miracle… Ne vous y attardez pas. Car une fois de plus, c’est « les uns pour les autres » qui est au centre de ces textes, de ce culte. Ça commence avec l’épître de Jacques, qui nous dit de « prier les uns pour les autres ». Et, ce qui est bien, c’est que généralement nous le faisons, quelle que soit notre manière à chacun de prier Dieu pour quelqu’un, et j’imagine que nous le faisons différemment, dans la forme. Mais nous le faisons, à haute voix ou en silence, par des pensées précises ou par la confiance par laquelle nous nous en remettons à Dieu pour nous et les nôtres. Nous le faisons pour les malades, encore que ça ne revête pas chez nous la forme ritualisée que préconisait le « frère du Seigneur » (Gal. 1 / 19). Là où il y a un hic, c’est dans la phrase complète que je vous rappelle : « Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. » C’est une bonne introduction à ce que Paul écrivait aux Éphésiens. Parce que ça, nous ne le faisons pas. Nous dénonçons volontiers le péché des autres. Nous gardons honteusement le nôtre. Nous n’utilisons pas la communauté chrétienne, les frères et sœurs, comme un lieu, un moyen, de nous libérer mutuellement de ce qui encombre nos vies. Et donc nous ne sommes pas « guéris » …

 

Pourtant, écrivait Paul, « ce n’est pas ainsi que vous avez appris le Christ. » Nous n’avons pas appris que la foi chrétienne nous permettait de continuer à vivre comme si nous n’avions pas cette foi. Nous n’avons pas appris que la foi ne concernait pas notre vie ici-bas, notre relation à Dieu, notre relation à nous-mêmes, notre relation les uns aux autres, notre relation au monde. Ça, ce sont les athées et les anticléricaux qui le disent, pas les chrétiens ! Nous n’avons pas appris que la foi chrétienne était une philosophie antinomiste, rendant toutes choses d’égale valeur, dissolvant le bien et le mal dans une fausse liberté seulement prétexte à la jouissance et à la vanité. Comme Paul l’écrit ailleurs : « Demeurerions-nous dans le péché, afin que la grâce abonde ? Certes non ! » (Rom. 6 / 1-2) Dans l’extrait que je vous ai lu, qui est le texte du jour, il parle de « vieille nature qui se corrompt par les convoitises trompeuses » ou, selon les traductions, de « vieil homme ». Ce qui est vieux en nous, ce n’est pas l’âge, qui n’a aucune espèce d’importance, c’est ce qui se laisse si facilement et depuis toujours égarer loin de Dieu, loin de son Évangile, loin des autres qui me sont pourtant donnés comme frères et sœurs dans la foi.

 

« Être renouvelés par l’Esprit dans votre intelligence », ou selon la traduction de Chouraqui : « être rénovés au souffle de votre esprit. » Alors entendez « Esprit » ou « souffle » avec ou sans majuscule, l’important est la rénovation de ce qui, en vous, vous fait vivre et fait de vous un être libre plutôt qu’un esclave. « La vérité qui est en Jésus » est dans cette rénovation, dans cette « nature nouvelle » ou ce « nouvel homme » que Dieu appelle en chacun des êtres humains depuis toujours, et que Christ est venu poser et réveiller en nous. Et c’est bien la confrontation, l’infini écart entre « le vieil homme » et « l’homme nouveau » en nous, qui fait apparaître l’ancien à la fois comme passé et comme présent. Oui, devant les habits lumineux, je réalise que les vieux vêtements sont moches et crasseux. Sauf que je me rends aussi compte alors que je les porte toujours… ! C’est bien le but de l’épître aux Éphésiens : nous en rendre conscients, non pas nous condamner, mais nous montrer en quoi nous nous condamnons nous-mêmes à ne pas profiter de ce que nous avons reçu en un cadeau qui ne nous a rien coûté à nous, mais qui a tout coûté à Dieu.

 

« La vérité » de Jésus-Christ, c’est-à-dire sa vie vraie, vraie par rapport à lui-même, à Dieu son Père, aux autres, rend visible à nos yeux notre propre mensonge. Ce mensonge ne consiste pas à mentir sans arrêt par malignité ! Non. Il s’agit de notre vie, quand elle prétend être ce qu’elle n’est pas, quand nous pensions être généreux alors que nous n’étions qu’intéressés, quand nous pensions être bons chrétiens alors que nous étions seulement légalistes ou intellectuels, quand nous pensions être pieux alors que nous n’avions laissé qu’un petit coin de notre vie à ce Dieu qui la réclame tout entière. Il s’agit de notre vie quand nous nous mentons à nous-mêmes et qu’en essayant de le cacher nous mentons aux autres. Mais Dieu, « [notre] Père, voit dans le secret » (Matth. 6). Il sait ce qui est au fond de nous. C’est une mauvaise nouvelle pour ceux qui croyaient s’y soustraire. Mais la bonne nouvelle, bien plus importante, c’est qu’en Christ Dieu nous appelle à changer. je le redis : s’il condamne « le vieil homme » en nous, il ne nous condamne pas nous-mêmes, mais « rejetez le mensonge, nous dit-il, et que chacun de vous parle avec vérité à son prochain ».

 

Ceci évitera bien des tracas, bien des procès, bien des dépressions, bien des guerres, bien des solitudes, etc. Car « la vieille nature » des humains mène le monde, et le mène à sa mort. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles pour constater tout ce qui ne va pas, depuis chez nous jusqu’au bout du monde : c’est une autre manière de réaliser qu’il y a la même chose, la même maladie, en nous. Encore bien des gens pensent-ils être dans leur bon droit – comme si je pouvais opposer mon droit à Dieu ! – et préfèrent-ils rester aveugles et sourds, sombrant à petit feu, ou parfois violemment. Ce faisant, ils « donnent accès au diable », comme l’écrivait l’auteur de l’épître. Or le diable a pour métier de se mettre en travers, nous retournant contre nous-mêmes et contre les autres, y compris contre Dieu. Mon être mensonger se fait alors accusateur : si je suis mal et malade, c’est la faute de Dieu et des autres. Ou alors c’est ma faute et je suis fichu de toute façon… L’œuvre du diable est bien reconnaissable à tout ceci !

 

Mais Dieu n’est pas diable, et le diable n’est pas dieu. L’Esprit du Christ nous porte à mettre en Christ notre foi, et à nous laisser faire, à nous laisser changer par lui. Le laisser faire, c’est déjà vouloir changer, c’est reconnaître que « nous sommes membres les uns des autres », que nous sommes « liés à jamais dans une chaîne d’amour », comme nous le chantons avec les jeunes (JEM 734). Vous notez que ce n’est pas un futur, ce n’est pas au bout de nos efforts, ce n’est pas pour le lendemain de notre mort. C’est vrai ici et maintenant, c’est la nouvelle réalité inaugurée par le Christ dans l’univers et dans nos vies particulières. Et c’est bien pour cela que nous pouvons nous libérer des autres chaînes qui ont été brisées par la mort victorieuse du Christ, mais qui nous enserrent encore tant que nous ne nous secouons pas : il faut bien les faire tomber ! Et l’apôtre, donc, de nous appeler à nous secouer, à abandonner les effets dans nos vies et nos relations de notre « vieille nature » qui a été vaincue et qui est vouée à la mort. Si notre être véritable n’est plus mensonge, mais vérité, alors les mensonges, le paraître, le désir de vengeance, et pour reprendre la liste de Paul, « toute amertume, animosité, colère, clameur, calomnie, ainsi que toute méchanceté » doivent cesser, elles n’ont plus de raisons d’être là, en nous et entre nous.

 

L’apôtre va plus loin : il ne s’agit pas de faire disparaître tout ceci, pour le remplacer par… rien, l’indifférence au monde, aux autres, à soi-même, sous prétexte de ne nous occuper que de Dieu ! Encore ce défaut ne nous est-il guère coutumier, nous ne risquons pas vraiment de l’attraper. Non. L’apôtre nous demande de remplacer les effets de notre nature mensongère par les effets de notre nature véridique. Car si nous ne le faisons pas, « la vielle nature » comblera le vide. C’est ce que Jésus expliquait un jour : « Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il traverse des lieux arides, cherche du repos et n’en trouve pas. Alors il dit : “Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti”, et, quand il arrive, il la trouve vide, balayée et ornée. Il s’en va et prend avec lui sept autres esprits plus mauvais que lui ; ils entrent dans la maison, s’y établissent, et la dernière condition de cet homme est pire que la première. » (Matth. 12 / 43-45) Comme dit le proverbe attribué à Aristote : « la nature a horreur du vide » ! Aussi l’exhortation apostolique ne se limite-t-elle pas à dire ce qu’il ne faut plus faire.

 

À ce titre-là, cette exhortation est très différente de la Loi qu’on trouve dans l’Ancien Testament et même parfois dans certains textes du Nouveau. Vous le savez, la plupart des commandements du Décalogue sont négatifs : « tu ne feras pas » ceci ou cela. D’un point de vue juridique, c’est une bonne chose, puisque tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Et puis, ce sont des commandements, leur mise en pratique est une condition nécessaire au maintien de la bénédiction divine (cf. Deut. 30 / 17-20). Ici, dans notre vie chrétienne, il ne s’agit plus de commandements, mais des possibilités ouvertes par la grâce prévenante de Dieu afin de vivre la « glorieuse liberté des enfants de Dieu » (Rom. 8 / 21). Et donc, bien sûr, ces non-commandements ne sont plus négatifs, mais positifs. Ce n’est pas seulement « ne soyez pas méchants, etc. », mais « soyez bons les uns envers les autres, compatissants, faites-vous grâce réciproquement », puisque « Dieu vous a fait grâce en Christ. » La « sagesse des nations », c’est-à-dire notre « vieille nature », nous enseigne : « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». « La règle d’or », comme ils disent… Mais l’Évangile n’est pas la Loi. Et si la grâce vient en premier, alors elle nous permet d’être transformés au point que nous-mêmes allons prendre les devants, et faire aux autres le bien qu’ils ne nous ont pas fait ! La grâce de Dieu nous permet d’être faibles et vulnérables, à l’image du Christ sauveur.

 

Naturellement, lorsqu’on est en Église, entre chrétiens, ce comportement est censé être mutuel et réciproque… Mais si chacun attend l’autre, rien ne se passera jamais, sinon le maintien et la victoire du mensonge, au sens où je vous en parlais tout à l’heure. « L’homme nouveau », qui est à l’image du Christ et conforme à la volonté bonne de Dieu pour nous, est un être, une puissance de vie, qui produit en nous ce dont nous ne sommes pas capables dans notre « vieille nature », une puissance de vie qui produit en nous le bien désintéressé qui ne se soucie pas que l’autre en soit digne ou pas, mais qui se soucie seulement de l’autre lui-même et de son bien. Telle fut la vie du Christ sur cette terre. Telle est sa vie toujours auprès du Père et, par son Esprit, en nous autres qui lui faisons confiance. Telle est la vie à laquelle il nous appelle, débarrassée du diable et du mensonge, une vie compatissante au vrai sens du terme : souffrant les uns avec les autres, nous réjouissant les uns avec les autres, priant les uns pour les autres, vivant les uns pour les autres…

 

Ce n’est pas un commandement, c’est l’œuvre de l’Esprit. Laissez-le faire, simplement ; secouez vos chaînes, « levez-vous et marchez » ! Comme Dieu le disait à Moïse : « tout le peuple au sein duquel tu te trouves verra cette œuvre redoutable de l’Éternel, que j’accomplirai avec toi. » Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  18 octobre 2020

 

 

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