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Épître aux Éphésiens 3 / 1-7
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texte : Épître aux Éphésiens 3 / 1-7
premières lectures : Ésaïe 60 / 1-6 ; Évangile selon Matthieu 2 / 1-12
chants : 32-15 et 36-13
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Pour un Juif, vous le savez, l’humanité se divise en deux parts à tous égards inégales : les Juifs, et les « nations ». Ce terme de « nations » (en hébreu : « *goyîm ») désigne non seulement les nations autres qu’Israël, mais aussi tous les individus qui ne sont pas juifs. Or l’apôtre Paul n’est pas un « *goy », un païen, mais un Juif, et assez fier de l’être, comme il convient : « Si d’autres croient pouvoir se confier en la chair, à plus forte raison moi : circoncis le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d’Hébreux ; quant à la loi, Pharisien ; quant au zèle, persécuteur de l’Église ; quant à la justice légale, irréprochable. » (Phil. 3 / 4-6) Paul n’est donc pas seulement un Juif de naissance, mais un Juif pratiquant, qui respecte tous les commandements de la Loi de Moïse. La séparation entre Juifs et « nations » est constitutive de l’identité juive, marquée par la circoncision des garçons et le respect d’un certain nombre d’interdictions notamment alimentaires, la « *cacherout ». La Loi de Moïse considère le mélange comme un signe du chaos, et elle tâche de le bannir au maximum. Y compris donc le mélange entre Juifs et *goyîm…
Mais voilà : l’Évangile de Jésus-Christ, l’annonce du salut par la mort victorieuse de Jésus, a atteint non seulement des Juifs – puisqu’étaient Juifs Jésus et tous ses premiers disciples, évidemment – mais aussi des païens, des non-Juifs, qui ne connaissaient pas la Loi de Moïse et qui n’ont pas pu être sensibles aux arguments sur l’accomplissement de cette Loi, de cette Écriture, dans la personne et la vie de Jésus de Nazareth. Paul, prédicateur juif de cet Évangile, a vu son ministère susciter des conversions de païens, tellement nombreuses que certaines des nouvelles Églises locales ne comportaient qu’une petite minorité de Juifs, voire aucun ! Lorsque cette lettre est envoyée, aux Éphésiens autant qu’on sache – mais ce serait aux Laodicéens, ce serait pareil – elle est donc envoyée à des païens – entendez : des chrétiens d’origine non-juive. Et Paul vient de s’adresser à eux comme à des gens à qui Dieu a offert sa paix en Christ, sans la Loi juive. Car, écrivait-il, « il a dans sa chair annulé la loi avec ses commandements et leurs dispositions » (Éph. 2 / 15).
Comment Paul en est-il arrivé là ? Manifestement pas en méditant les Écritures d’Israël, notre Ancien Testament, sinon tous les Juifs auraient suivi ! « C’est par révélation que j’ai eu connaissance du mystère », écrit-il ; « ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes… » Il y a donc là, de l’aveu-même de l’apôtre Paul dans cette lettre, une nouveauté, et une nouveauté qui n’est pas accessoire, mais centrale. Ainsi, ce n’est pas par accident que des païens ont rencontré Christ, mais, dans ce passage de l’épître, c’est comme si le but de ce qui s’est passé en Christ était précisément la fin de la séparation entre Israël et les nations : « Car c’est lui notre paix, lui qui des deux n’en a fait qu’un, en détruisant le mur de séparation, l’inimitié. » (Éph. 2 / 14) Tel est dans un tout autre type de texte : le récit de l’enfance de Jésus selon Matthieu, le sens de la venue des « mages d’Orient » jusqu’à la maison de Joseph et Marie à Bethléhem. Malgré le roi des Juifs, Hérode, et ses prêtres et ses scribes, et d’autre part malgré le paganisme des Mages, ceux-ci se sont prosternés aux pieds du Roi des rois !
Ce n’est ainsi pas pour rien qu’une grande partie du Nouveau Testament évoque cette question : la fin de la séparation entre Juifs et non-Juifs est constitutive de l’Évangile. Mais, me direz-vous, en quoi sommes-nous concernés ? Même s’il y a eu de nombreux Juifs dans cette vallée, ils ont aujourd’hui disparu, à cause de quoi nous nous réunissons ce matin dans ce qui fut leur lieu de culte ! Certes c’est là un signe de l’amitié entre nos deux communautés, mais c’est un autre sujet… Contrairement à ce que pensent beaucoup trop de gens aujourd’hui, on peut être amis sans partager les mêmes convictions, y compris sur des points fondamentaux ! En tout cas, il n’est pas question pour nous aujourd’hui à Senones d’annoncer l’Évangile de Jésus-Christ à des Juifs qui n’existent plus, nous qui pour la plupart sommes des païens au sens de ce mot dans l’épître : des non-Juifs. Et si des Juifs dans le monde deviennent chrétiens, c’est très minoritaire et résiduel, et souvent ils continuent de pratiquer la Loi juive, comme sans doute Paul et les autres à leur époque…
Mais revenons à nous ! En quoi l’union dans l’Église de Juifs et de « *goyîm » nous concerne-t-elle aujourd’hui et ici ? C’est un autre texte de l’apôtre Paul qui nous le dit très clairement : « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ : vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni mâle ni femelle, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ. » (Gal. 3 / 26-28) C’est-à-dire que non seulement cette différence a sauté, mais toutes les autres, pourtant tout aussi constitutives de nos identités. C’est l’ordre-même de l’ancienne Création qui n’a plus court, ce que montrent ici les termes « mâle et femelle » plutôt que « homme et femme » comme on les traduit d’habitude. Les théoriciens du « genre » auraient-ils raison ? Non, bien sûr : le sexe est constitutif de nos identités, quoi que nous en fassions. Mais ces identités ne sont plus séparatrices, elles n’ont plus de pertinence pour nous définir quand on vit en Christ par la foi. On n’est pas « chrétien juif » ou « chrétien non-juif », on n’est pas « chrétien patron » ou « chrétien ouvrier », on n’est pas « chrétien homme » ou « chrétien femme » … !
Dit comme ça, ça vous semble évident ? Changez les adjectifs, vous verrez que ça ne l’est pas toujours. N’y a-t-il pas des « chrétiens de naissance » et des « chrétiens convertis » ? N’y a-t-il pas des « chrétiens sociologiques » et des « chrétiens pratiquants » ? N’y a-t-il pas des « chrétiens qui ont des moyens » et des « chrétiens qu’il faut soutenir » ? Je caricature un brin, et puis je vous laisse réfléchir à ce que ces catégorisations peuvent avoir d’excessif, voire de pervers, sans compter que certaines n’ont pas de sens ! Mais d’autres sont plus usuelles dans nos bouches comme dans nos oreilles : « chrétiens catholiques » et « chrétiens protestants », « chrétiens réformés » et « chrétiens évangéliques », par exemple. Nous constatons alors que certains de ces chrétiens se réservent le nom de « chrétiens » pour eux seuls. Ainsi nous avons, au fil des siècles et conformément à la nature humaine, réintroduit les mêmes divisions qu’à l’époque de l’épître aux Éphésiens. Vous me direz que tout le monde fait ça : c’est vrai, mais ce n’est pas une circonstance atténuante, c’est une circonstance aggravante ! Cela signifie que « le mystère du Christ », pour le dire comme Paul, est passé au second plan, et que notre manie humaine de catégoriser pour dévaloriser l’autre a repris le dessus.
Car il n’y a pas de catégorisation dont le but ultime ne soit pas de dévaloriser l’autre « partie ». C’est l’œuvre du diable, dont le nom signifie « diviseur ». C’est le contraire de l’œuvre du Christ, qui unit en lui ce que le monde et le diable ont divisé, ce que la Loi divine elle-même avait divisé afin de préparer la venue de celui qui avait vocation à racheter tout être humain. Paul devra expliquer aux chrétiens de Rome qu’il n’y a pas de « forts » et de « faibles » dans l’Église (Rom. 14). À plus forte raison n’y a-t-il pas des pécheurs d’un côté, des justes de l’autre ! « Car il n’y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus. » (Rom. 3 / 23-24) C’est bien là tout l’Évangile, et il ne sert à rien de prétendre annoncer celui-ci ou en vivre, si nous réinstallons entre chrétiens quels qu’ils soient les distinctions que certes les gens regardent, mais qui sont obsolètes en Christ.
« Nous croyons l’Église une et sainte » (Symbole de Nicée et Constantinople). Considérer ainsi que la profonde unité que donne Christ à tous ceux qui lui appartiennent – quelles que soient leurs origines, leurs manières de croire et de vivre leur foi – que cette unité donc est centrale dans la foi, cela à d’autres conséquences. Si je confesse qu’il n’y a pas de distinctions entre nous, chrétiens, aux yeux du Christ qui est le chef de l’Église, et que je prétende regarder les gens avec ces mêmes yeux, alors les distinctions que je fais entre les gens ne tiennent plus non plus. Entre ceux auprès de qui je peux essayer de témoigner de ma foi et ceux qui à mes yeux n’en sont pas dignes, je réalise alors qu’il n’y a pas de différence ! D’ailleurs, ça voudrait dire quoi, d’être digne de recevoir l’Évangile ?! Tout être humain qui se sait pécheur, qui se veut en recherche, qui a mal, qui fait mal, bref : tout un chacun, est digne de recevoir le pardon de Dieu sur sa vie, la paix de Christ qui l’appelle à redevenir un enfant du Père céleste.
Car la paix que Dieu donne en Christ n’est pas fondée sur ce que nous sommes, sur ce que nous faisons, sur ce que nous méritons, mais sur la nécessité vitale de tout être humain à recevoir le pardon pour en vivre. Ceux qui ont des excuses n’ont besoin que de la reconnaissance que leurs excuses sont fondées. On est alors dans le légalisme qui ne donne pas de sens à l’existence. Ce sont ceux qui n’ont pas d’excuses qui sont susceptibles d’être pardonnés. Ce sont ceux qui n’ont pas d’excuses qui ont ainsi « droit » (entre guillemets) à ce que je leur annonce le pardon de Dieu sur leur vie, la révocation de toute condamnation à leur égard, y compris celle qu’ils portent sur eux-mêmes. Personne n’est indigne que je témoigne pour lui ou pour elle de l’Évangile qui m’a gracié moi-même. Personne n’a plus besoin d’un médecin ou d’un psy que de s’entendre pardonner par l’amour de Dieu pour lui ou pour elle. Qu’il soit juif ou païen, qu’il soit ami ou ennemi, qu’il soit agnostique ou musulman, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il soit homme ou femme, qu’il soit parent ou inconnu, tout être humain a besoin de ce dont moi-même j’ai besoin : la vie en plénitude, produite par la mort et la résurrection de Jésus-Christ.
Devons-nous, comme Paul, en devenir prisonniers, rejetés, moqués, « pour [eux], les païens » ? Cela importe peu. Ceux qui ont essayé de témoigner de leur foi à des gens incroyants le savent bien : le succès n’est pas forcément au rendez-vous, la considération non plus, mais cela n’a pas d’importance. Nous avons reçu une bonne nouvelle qui nous fait vivre. Il n’est pas possible de la taire, et la redire entre nous ne sert pas à grand-chose, sinon à nous réconforter et à nous conforter précisément en vue du témoignage ! Il y a des lunettes qui font mal aux yeux. Ainsi en est-il de celles qui nous font voir l’autre comme tellement différent de nous que rien ne sera possible « avec lui ». Enlevez-les, ces lunettes, jetez-les, regardez l’autre comme un autre vous-même. N’est-ce pas ce que le Christ a fait avec nous ? Il nous a regardés, chacun, comme un enfant de Dieu qu’il était lui-même. Grâce à cela, j’ai reçu de lui la vie, et vous aussi. Amen.
Senones – David Mitrani – 5 janvier 2020