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Deuxième épître aux Corinthiens 5 / 14-21
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texte : Deuxième épître aux Corinthiens 5 / 14-21
autres lectures : Ésaïe 52 / 13 – 53 / 12 ; Évangile selon Jean 19 / 14-30
chants : 127 (J’aime l’Éternel) et 33-28 (Alléluia)
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« Tout est accompli. » « L’Écriture est accomplie », qui n’avait pas d’autre sens que d’amener l’humanité à cet ultime moment. Celui ou celle qui se retrouve au pied de la croix, délivré du péché, délivré de sa nature pécheresse par l’homme qui est cloué là-haut, celui qui méritait la mort et qui se retrouve justifié et vivant à jamais de la vie-même qui s’éteint sur la croix, celui-ci, celle-là, est heureux et n’a plus besoin d’avoir ni passé ni futur. C’est ma destinée qui est « accomplie » ici, c’est le présent éternel de ma vie. Non pas mon destin, car il n’est, lui, écrit nulle part. Mais ma destinée, c’est-à-dire l’accomplissement de ma vocation, celle qui m’avait été donnée à la création du monde, qui m’a été rappelée et offerte à moi personnellement lors de mon baptême : être à l’image de Dieu, être enfant du Père céleste. Et me voici au pied de la croix, Christ, l’image de Dieu, a été cloué dessus, et moi j’en hérite, et tous ceux, toutes celles, qui sont comme moi « pécheurs indignes et misérables ».
Il y a eu un échange ; rien de symbolique là-dedans, rien que de très réel. Ma nature a été changée. Oh, pas toujours mes comportements ni mes pensées, certes… Pas encore. Mais ma nature, mon identité. La génétique, la psychologie, l’éducation, la culture, l’histoire, ma santé, mes choix, mes opportunités, mes affections, mes querelles, avaient fait de moi ce que j’étais, ce que je suis toujours en apparence. Mais au fond de moi – mon « être intérieur », aurait dit Luther à la suite de Paul (2 Cor. 4 / 16) – je ne m’appartiens plus, je n’appartiens plus au péché, je n’appartiens plus à la mort. Parce que, écrivait Paul, « celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait pour nous péché, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » Il est mort à cause de ce que j’étais, afin que je devienne comme lui, enfant aimé du Père « sans me tenir compte de mes fautes », réconcilié avec Dieu par lui-même, à cause de Jésus ; créature nouvelle…
L’anniversaire de ce jour d’infinie tristesse, où même le soleil s’est caché de honte et de désespoir, cet anniversaire est néanmoins pour nous le moment d’une très grande et profonde joie. Car en lui sont contenus et le baptême et la cène et la résurrection et la vie éternelle ! Pour moi. Pour vous. La croix est une victoire, que nous connaissons comme telle, alors que le monde n’y voit qu’une défaite, alors que mes sens et ma « chair » et la vôtre n’y voient qu’une défaite. Mais « dès maintenant, nous ne connaissons plus personne selon la chair. » Nous ne regardons plus Dieu, le monde ni nous-mêmes selon ce qui nous sépare de Dieu et nous tire vers le bas, mais désormais selon « le grand amour dont Dieu nous a aimés » (Éph. 2 / 4) et qui nous tire vers lui.
Ce changement de regard, il nous reste à nous en servir ! Et pas seulement pour abandonner nos fantasmes de toute-puissance que nous projetons sur Dieu. Mais aussi parce qu’avec eux nous lassons notre entourage, nous abîmons nos relations, nous nous enfermons en nous-mêmes comme si Christ n’était pas mort pour que nous vivions libres. C’est cette liberté que nous avons à vivre dès ici-bas, la liberté de nous regarder nous-mêmes et de regarder les autres comme des enfants du Père, comme les frères et sœurs de celui qui a donné sa vie pour nous… qui que nous soyons. Vivre cette liberté, c’est donc aussi ne pas enfermer les autres dans « la chair », mais les regarder comme des créatures nouvelles, eux aussi – et qu’ils le soient ou pas, car quels moyens avons-nous de les discriminer ainsi… ?
La croix de Jésus, que nous célébrons aujourd’hui, est la seule raison pour laquelle nous pouvons nous « aimer les uns les autres » (Rom. 13 / 8) au lieu de nous détruire. La solidarité humaine est un bien beau concept, mais il est creux : ça n’a jamais marché ! Nous le verrons sans doute hélas encore dès la sortie du confinement, peut-être avant, et l’Europe est encore en train d’en administrer la triste preuve… Non, je n’ai pas de frères et sœurs « en humanité », seulement des concurrents, des maîtres ou des esclaves. Par contre, en Christ j’ai des frères et sœurs, parce qu’il est mort pour eux autant que pour moi, et que, sur la croix, il nous a donné d’habiter la même maison ! Riches ou pauvres, malades ou bien-portants, confinés ou travailleurs sans relâche, « il a mis en nous la parole de la réconciliation. » Alors, « soyez réconciliés ! » Amen.
(Raon-l’Étape) en confinement – David Mitrani – 10 avril 2020