Deuxième épître aux Corinthiens 13 / 11-13

 

texte :

Frères, soyez dans la joie, tendez à la perfection, consolez-vous, ayez une même pensée, vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous. Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser. Tous les saints vous saluent. Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous !

 

premières lectures :  Ésaïe 6 / 1-8 ; Évangile selon Jean 3 / 1-8

chants :  46-03 et 24-07

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prédication :

 

Chers amis, les deux premiers récits nous laissent dans l’incertitude, non pas de notre vocation – même si nous ne sommes pas Ésaïe ! – mais du lieu et de la manière dont elle prend forme concrètement. « Envoie-moi », disait Ésaïe sans savoir où il allait. et « Tu ne sais pas d’où vient le souffle ni où il va », disait Jésus à Nicodème, et « il en est ainsi de quiconque est né du souffle… » En est-il aussi de même dans le troisième texte, celui de l’apôtre Paul ? Il s’agit des derniers mots de cette lettre adressée aux chrétiens de Corinthe. Est-ce une simple exhortation, ou bien une simple salutation ? Le contenu n’en est-il pas plutôt celui d’une « consolation », c’est-à-dire d’un « encouragement », comme traduisent d’autres versions ? Cela inclut exhortation et salutation, mais ce n’est pas simplement une « formule de politesse » très formelle et stéréotypée ; il y a du contenu, et c’est lui qui nous intéresse.

 

Ce texte est adressé à des gens qui sont appelés « frères ». C’est habituel, vous me direz… Aujourd’hui on dirait « frères et sœurs », par souci d’égalité ou pour « dégenrer » le texte ! Mais si cela indique de la part de l’auteur de la lettre le souci de souligner sa fraternité avec ses lecteurs, cela dit plus : c’est que les destinataires du courrier sont frères – et sœurs, donc – entre eux. Cela les caractérise, cela caractérise le type de relation qui les unit. Mais pourquoi une telle relation, qui n’est rien moins qu’évidente ? Qui dirait en voyant une communauté chrétienne ordinaire paroissiale, qu’elle est réellement fraternelle ? Une communauté monastique, peut-être ? Mais une paroisse… Si ? Il est vrai que la fraternité n’empêche malheureusement ni les conflits, ni le choc des caractères. Alors l’apôtre Paul va tenter, de manière lapidaire, de préciser ce qu’il entend par « frères », quel contenu il met dans cette fraternité par laquelle il caractérise l’Église à laquelle il écrit.

 

Ainsi le premier mot qui suit est « réjouissez-vous » ou « soyez dans la joie », comme vous voudrez traduire. Dans son épître, Paul emploie pratiquement toujours ce verbe en opposition avec la tristesse, les pleurs, la pauvreté, la situation vécue… La joie semble être non pas seulement un sentiment, une disposition d’esprit, mais un combat, un combat contre ce qui va dans l’autre sens… et dont la réalité est reconnue, donc. Cette réalité négative est même première, mais la joie doit la remplacer. Ceci indique bien qu’en parlant de fraternité dans une Église locale, Paul n’a pas une vision idyllique, mais fort réaliste : la fraternité, comme depuis Caïn et Abel (Gen. 4 / 1-10), est au minimum source de conflit, sinon pire. La fraternité chrétienne, elle, est source de joie. Comment donc, en quelque sorte, « changer de fraternité » ? Comment passer d’une juxtaposition de frères et sœurs hostiles ou indifférents les uns aux autres, à une fraternité qui nourrisse la joie ?

 

Le verbe suivant, c’est « perfectionnez-vous » ou « accomplissez-vous ». Cela souligne certes un manque au départ, mais aussi une vocation, ou une identité perdue mais à retrouver. On pourrait aussi dire : « ne vous contentez pas de la situation actuelle ». C’était la réaction d’Ésaïe devant la révélation divine : indigne, donc point final ! Mais devant Dieu il n’en est jamais ainsi. J’ignore quel était le sentiment d’Ésaïe sur lui-même avant la scène du chapitre 6. Mais je sais bien comment nous som­mes ! Nous nous satisfaisons tout à fait de la réalité telle qu’elle est. Dans le meilleur des cas nous faisons quelques efforts, mais s’il n’y a pas de retour sur investissement, si l’autre ou les autres restent peu aimables ou ne veulent pas bouger, alors nos efforts font long feu. La fraternité ne se gagne pas tout seul, la perfection, l’accomplissement de ce qu’elle est, est souvent fort loin, au bout d’un chemin sur lequel nous sommes à peine engagés.

 

Alors, « encouragez-vous », dit Paul. C’est le même mot qui est utilisé dans l’évangile de Jean – pas dans le passage que je vous ai lu, mais dans un autre bien connu aussi – pour « le Paraclet », « le Consolateur » (Jean 14 – 16). Et cela nous indique déjà une certaine direction pour notre réflexion et notre comportement fraternel : l’intervention du Paraclet, du Consolateur divin, va sans doute être nécessaire, ou peut-être est-elle déjà active, afin qu’à son image nous puissions nous encourager les uns les autres dans la fraternité proclamée, dont les verbes suivants disent ici comme en d’autres passages le contenu : « une même pensée, vivre en paix ». Car cet encouragement ne consiste pas à s’encourager soi-même, à s’auto-motiver ! L’encouragement dont il est question est un encouragement mutuel et réciproque, chacun à la place qui est la sienne, comme je tente de le faire en tant que pasteur. Mais ce rôle n’est pas réservé au pasteur, sinon Paul n’y exhorterait pas ses paroissiens ! Encouragez-vous donc à l’unité et à la paix avec l’aide du Saint-Esprit : comme lui le fait pour vous, faites-le les uns pour les autres, non comme des parfaits parlant à des pécheurs, mais comme des pécheurs à d’autres pécheurs, chacun visant un accomplissement qui est la fraternité elle-même.

 

La présence du « Dieu d’amour et paix » sera alors manifeste. Aura-t-il été absent avant cela ? Tout le début de l’épître dit le contraire : Dieu est là dès le départ, par sa grâce et sa paix, par sa consolation justement (2 Cor. 1 / 2-7). Mais quand, au sein d’une famille, l’ambiance n’est ni chaleureuse ni joyeuse, elle-même ne se manifeste guère comme famille en tout cas comme on la souhaiterait. Il en est de même dans une paroisse. Lorsque la joie fait défaut ou bien n’est que de façade, lorsque la paix et l’unité ne sont pas là, chacun a beau se tenir devant Dieu, la présence de Dieu ne se voit pas de l’extérieur. Or le but d’une Église, vous le savez bien, c’est de manifester à l’extérieur la présence de Dieu. C’était déjà la vocation d’Israël sous l’Ancienne alliance, le sens de son « élection », non pour diriger mais pour servir, pour manifester aux yeux de tous qu’Israël vivait de cette présence de son Dieu, et ainsi appeler les autres à le reconnaître comme le vrai, le seul Dieu. Ainsi, c’est lorsqu’il devient visible, par la fraternité nouvelle manière, que c’est bien un « Dieu d’amour et de paix » qui est là, qui agit, c’est alors que l’Église peut évangéliser, témoigner de ce qui, désormais, la fait vivre, et non pas seulement de ce qu’elle professe intellectuellement.

 

Avec le verset suivant, je suis un peu embêté, parce qu’il n’est plus très à la mode à cause de la CoVid-19 : il est question de « saint baiser ». Et la plupart d’entre nous a peur qu’un baiser puisse permettre au virus d’aller ou de venir… Or c’est précisément le but d’un baiser que de permettre un échange, mais en l’occurrence, puisque celui-ci est « saint », c’est un échange de souffle, d’Esprit saint, et non de virus ! Il y a quelques années, des journalistes de magazine en manque de sujet avaient redécouvert le baiser entre Jésus et Marie Madeleine dans un évangile apocryphe, gnostique. Ils avaient gagné leur argent en arguant de relations sexuelles entre eux – signe de la pornographisation des mœurs et des idées – alors que clairement il s’agissait pour les auteurs du vieux texte de souligner que Jésus avait transmis son Esprit à celle qui fut le premier témoin de sa résurrection.

 

Abandonnerons-nous alors tout baiser ? Ne nous saluerons-nous plus que par des mots ? Nos corps seront-ils définitivement exclus de nos relations sociales ou fraternelles ? N’accusez pas le virus, mais l’air du temps, où les corps sont flattés à condition de rester seuls ou d’être chosifiés… Saluons-nous donc, y compris par lettre comme le font Paul et ses compagnons en écrivant cette épître. Mais n’oublions pas que la fraternité signifie aussi que nous sommes « un seul corps » (1 Cor. 12), que nous ne sommes pas des individus isolés devant Dieu, mais que nous sommes sa famille, une famille charnelle ! Sinon toutes les « consolations » de notre texte n’ont plus d’objet. C’est parce que nous sommes des corps que nous pouvons vivre la fraternité. Sinon on ne pourrait parler que d’association… Or Dieu ne nous veut pas associés, serait-ce à son œuvre, tels des anges, mais il nous offre autre chose.

 

« La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit avec vous tous », voilà quel est le vœu ou la constatation, le dernier mot, de l’apôtre Paul, voilà ce que, d’après lui, Dieu nous offre. Le mot « paix » ne s’y trouve pas, sans doute parce que la paix, citée par ailleurs, est le produit de tout ceci. Le Dieu de paix, en ses trois personnes, nous offre ainsi « grâce, amour et communion ». La grâce, c’est le don que Dieu nous a fait, sans considérer nos mérites, de son Fils Jésus, dont la mort et la résurrection sont le gage de notre mort au péché et de notre vie éternelle. Sans cette grâce, nous ne sommes rien, nous sommes morts par nos propres fautes qui sont signes de notre naturel éloignement de Dieu. Or Dieu nous aime, et c’est bien pour cela qu’il nous fait grâce lorsque nous faisons confiance au salut offert en Jésus-Christ, et qu’ainsi il nous adopte comme ses fils et ses filles, frères et sœurs de Jésus.

 

Frères et sœurs, fraternité encore, suscitée par l’Esprit. Ici, Paul parle de « communion ». Le mot latin évoque le fait d’avoir bourse commune, ce qui n’est pas rien. Le mot grec, biblique, évoque une participation mutuelle, et son sens peut être très large. Le Saint-Esprit nous met d’abord en relation avec lui-même – c’est ce que Jésus essayait de révéler à Nicodème – en nous faisant bouger, en nous soulevant, en nous faisant rompre les amarres de la culture et du péché. Et il nous met en relation les uns avec les autres, et là encore « tu ne sais pas d’où il vient ni où il va » ! C’est lui qui crée la fraternité chrétienne, c’est lui, qui est la relation entre le Père et le Fils, qui est aussi la relation entre nous autres, et entre nous et Dieu. Voulons-nous vivre la fraternité chrétienne et ainsi rendre efficace notre témoignage chrétien en tant qu’Église ? Voulons-nous éprouver ensemble la vraie joie, nous y perfectionner, accomplir dans le réel de nos existences et de notre paroisse ce que nous sommes aux yeux de Dieu ? Laissons agir le Saint-Esprit !

 

Vous vous rappelez la vision des ossements desséchés que nous a transmise Ézéchiel (Éz. 37 / 1-14). Le prophète peut dire et faire ce qu’il peut en suivant l’ordre de Dieu, les os redeviennent des cadavres, mais sans vie bien sûr. Pour que les corps reprennent vie, il lui faut appeler sur eux le Saint-Esprit ! Pour que toute Église en soit une, qu’elle soit vivante, il faut appeler sur elle le Saint-Esprit. Pour que nous vivions une véritable fraternité chrétienne, qui se vive aussi dans la prière et le témoignage, il faut appeler sur nous autres le Saint-Esprit, dont Jésus nous a promis que le Père l’enverrait à tous ceux qui le lui demanderaient (cf. aussi Luc 11 / 13). C’est en lui que nous pourrons alors nous saluer « par un saint baiser », nous offrant les uns aux autres ce que le Père nous a offert. Et peut-être le salut qu’alors nous adresserons à d’autres sera-t-il reçu comme ce qu’enfin il sera : un salut de Dieu. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  12 juin 2022

 

 

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