Deuxième épître aux Corinthiens 11 / 29-30 ; 12 / 1-10

 

texte :

 

Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ? S’il faut se glorifier, c’est de ma faiblesse que je me glorifierai. […] Il faut se glorifier… Cela n’est pas bon.

J’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un humain en Christ qui, voici quatorze ans – était-ce dans son corps ? je ne sais ; était-ce hors de son corps ? je ne sais, Dieu le sait – fut ravi jusqu’au troisième ciel. Et je sais que cet humain – était-ce dans son corps ou sans son corps ? je ne sais, Dieu le sait – fut enlevé dans le paradis et qu’il entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un humain d’exprimer.

Je me glorifierai d’un tel, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes faiblesses. Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité ; mais je m’en abstiens, de peur que quelqu’un ne m’estime au-dessus de ce qu’il voit ou entend de moi, à cause de l’excellence de ces révélations. Et pour que je ne sois pas enflé d’orgueil, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter, pour que je ne sois pas enflé d’orgueil. Trois fois j’ai supplié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit : “Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse”. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les privations, dans les persécutions, dans les angoisses, pour Christ ; en effet quand je suis faible, c’est alors que je suis fort.

 

 

premières lectures :  Genèse 12 / 1-4a ; Première épître aux Corinthiens 1 / 18-25 ; Évangile selon Luc 5 / 1-11

chants :  43-05 et 46-08

 

 

prédication :

 

 

« Pourquoi moi ? » L’appel à Abraham ne le dit pas. Les récits de vocation de certains prophètes montrent en tout cas leur refus, vous le savez : Moïse arguait de son incapacité à parler (Ex. 4 / 10), Jérémie de son trop jeune âge (Jér. 1 / 6). D’autres textes montrent le refus d’écouter des gens auprès de qui sont envoyés les messagers, comme le refus par les apôtres de la parole des femmes après la résurrection de Jésus (Luc 24 / 11). Et moi ? Pourquoi moi ? Peut-être qu’aujourd’hui le Seigneur m’a permis de ne pas être complètement nul pour accomplir une partie de ce qu’il ordonne de moi, mais c’est au bout de 39 ans de ministère ! Et vous, vous qui êtes ici : pourquoi vous ? Car vous aussi, vous avez été appelés, n’en doutez pas ! Oh, pas pour être le libérateur d’Israël, pas pour remettre l’Église sur ses rails, pas pour être pasteurs ni pour rappeler aux pasteurs que le Seigneur est ressuscité ! Mais chacun de vous a aux yeux du Seigneur une vocation, sa propre mission à accomplir en tant que chrétien, quoi que vous en pensiez, quelque argument que vous ayez à lui opposer… Sinon vous ne seriez pas là !

 

Peut-être pensez-vous que le Seigneur est un peu fou de vous avoir choisi et envoyé. À moins que vos incompétences actuelles ne vous masquent même votre vocation pour aujourd’hui et pour demain ; trop vieux, trop jeune, trop handicapé, trop de travail, trop de doutes, trop de certitudes, trop de ceci et pas assez de cela… Vous savez combien Dieu s’en moque, n’est-ce pas ?! Même si ça semble absurde, même si vous ne ressentez aucun des effets de l’action de l’Esprit de Dieu en vous… « Scandale pour les Juifs et folie pour les païens » … Que vous ne compreniez pas, que vous ne ressentiez rien, n’a aucune importance. Concentrez-vous plutôt sur la parole que Dieu peut vous faire entendre à travers les Écritures, tout comme Abraham, Moïse, Jérémie, Pierre, Paul et tant d’autres ont bien été obligés de faire ce que cette parole leur ordonnait. Car, en fait, Dieu ne nous demande pas notre avis, c’est à nous de nous ranger au sien. Dieu n’est pas démocrate, il est Dieu ! Notre liberté nous sert à lui obéir, à comprendre et faire ce qu’il nous demande à notre propre manière, nous qui sommes tous différents.

 

Notre faiblesse, quelle qu’elle soit, ne compte pas. C’est bien ce que l’apôtre Paul a dû admettre, lui le « petit dernier » parmi les porteurs de l’Évangile, l’ancien persécuteur, pas vraiment reconnu par les autres. Il ne l’a pas fait avec humilité, ce n’était pas son genre : « Qui est faible, que je ne sois faible ? » Mais si, dans sa propre faiblesse, il lui a bien fallu admettre que c’était le Seigneur Jésus qui l’envoyait annoncer l’Évangile, y compris à des gens qui ne connaissaient pas les Écritures ‘Israël, il lui a fallu aussi – autre signe de sa faiblesse – l’expliquer aux autres, en convaincre les autres, leur raconter que c’est bien le Seigneur qui a fait de lui ce qu’il est – et exposer ceci sans pour autant se glorifier de cet état, qui lui a été imposé ! Comment en effet se glorifier de ce dont on n’est pas l’auteur, n’est-ce pas ?! Comment me glorifierais-je d’être devenu protestant, puis pasteur ? Comment vous glorifieriez-vous d’être là, protestants d’origine ou de formation ou de conversion, conseillers presbytéraux, prédicateurs, catéchètes, diacres et visiteurs, musiciens d’Église, etc., et même simples paroissiens – si tant est qu’il soit simple d’être paroissien de nos jours !

 

Dans ce texte très connu de la deuxième de ses lettres aux chrétiens de Corinthe, Paul va donc raconter l’irracontable. Il va essayer. Ce ne sera pas probant, évidemment. Comment dire l’indicible ? Dans la scène qu’il raconte, il confesse ne même pas savoir s’il y était vraiment ou pas, et il se trouve incapable de dire ce qu’il a entendu. Lorsque l’évangéliste Luc racontera la vocation et la conversion de Paul, dans ses Actes des Apôtres (Actes 9 / 4-6 ; 22 / 7-10 ; 26 / 14-18), il ne prendra pas les mêmes gants, mais il n’y était pas, et il fera comme tous les historiens de l’époque, il mettra dans la bouche de ses personnages un discours vraisemblable, cohérent avec la suite de l’histoire, pour que les lecteurs comprennent. Alors nous autres, lorsque nous prétendons raconter notre conversion, ou notre vocation, ou la manière dont Dieu nous a parlé depuis « le ciel », ne faisons pas pire que Paul, ne mettons pas de paroles dans la bouche de Dieu, mais plutôt nous pouvons raconter ce que nous avons compris de telle ou telle expérience spirituelle que nous avons vécue, fût-ce en rêve… Car l’important dans une rencontre personnelle entre Dieu et nous, ce n’est pas nous, notre petite compréhension, nos pauvres mots, mais c’est Dieu, Dieu qui se donne tout entier dans une telle rencontre : Père, Fils et Saint-Esprit. À nous ensuite, avec son aide, de vivre de cette rencontre.

 

Et c’est bien ce que Paul explique ensuite, avec ces quelques mots que je vous ai souvent cités… Alors que sans doute il aurait voulu pouvoir raconter vraiment, convaincre par « l’excellence de ces révélations », comme il le dit, cela ne s’est pas avéré possible. L’orgueil spirituel ne convient pas aux disciples et aux évangélistes du Christ, qui les qualifierait aux yeux des gens indépendamment du Christ. Dans les Actes des Apôtres encore, on voit les dégâts que peut faire un trop grand pouvoir, que peut exercer une trop grande fascination, sur les gens qui alors cherchent le miracle et non plus l’Évangile, et restent ainsi enfermés dans les artifices du diable et dans l’admiration de gens qui ne sont pas plus qu’eux (Actes 5 / 12-20). Suis-je plus fidèle, plus pieux, mieux croyant, que l’un de vous, sous prétexte que je suis pasteur, ou bien sous prétexte de mes 5 années de théologie ? Sûrement pas. Hélas… peut-être ! Paul le pensait-il ?

 

En tout cas il a demandé à être libéré de sa faiblesse, pour être meilleur chrétien, meilleur apôtre, meilleur pasteur… Et cette prière, il ne l’a pas faite seulement une fois ! Comme vous, peut-être. Comme moi, oui… Mais la plupart du temps, pour la plupart d’entre nous, la réponse de Jésus est la même qu’à Paul – et là, c’est bien que Paul ait mis des mots sur cette réponse, car nous pouvons l’entendre aussi pour nous ! « Ma grâce te suffit ! » Ce premier élément de la réponse de Jésus est un peu une gifle. De quoi donc est-ce que je croyais avoir besoin pour faire comme il faut ce qu’il m’a ordonné ? Je voulais prendre pouvoir, ne serait-ce que sur ma mission elle-même, ou simplement sur ma propre foi ? Être juste et pieux, afin de « trouver grâce aux yeux de Dieu », comme Noé (Gen. 6 / 8) ? Mais j’ai déjà été sauvé du Déluge à venir, j’ai déjà été justifié, et pas par mes propres œuvres, mais par la mort de Jésus-Christ ! En lui, comme pour Marie, « une grâce m’a été faite » (Luc 1 / 28). Pourquoi vouloir plus, sinon par orgueil ?

 

Mais après la gifle, l’explication donnée par Jésus lui-même : « ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » On reste dans l’incompréhensible ! Mais ici c’est, si j’ose dire, un incompréhensible clair ! Si Paul restera faible, quelle que fût cette faiblesse, si Mitrani reste faible, si vous restez faibles, chacun selon sa propre faiblesse, c’est que Dieu a besoin qu’il en soit ainsi : la puissance du Christ, puissance nécessaire à l’accomplissement du pourquoi nous sommes là, cette « puissance s’accomplit dans la faiblesse… » Le Christ n’a besoin ni de gourous ni de magiciens, il n’a pas besoin que son Église soit au pouvoir ou cherche à l’obtenir – serait-ce pour de bonnes raisons, bonnes à nos yeux –, mais que ses serviteurs et ses servantes soient faibles ! Si l’on disait de moi : « regardez comme il est bien », alors je ferais écran entre le Christ et les gens, ils ne verraient qu’un outil au lieu de regarder à la croix du Fils unique. L’Église connaît parfois cette tentation, malheureusement, et moi aussi ! Gardez-vous-en comme de la peste…

 

Ce choix de la faiblesse a, entre autres, une cause et une conséquence, toutes deux essentielles à la foi. La conséquence d’abord – pourquoi être logique ?! La conséquence, c’est de ne rendre gloire qu’à Dieu seul. Le verbe « glorifier », « se glorifier », est très présent dans notre extrait de l’épître. En hébreu, le mot évoquait le poids. Qu’est-ce qui a du poids, qu’est-ce qui a de l’importance ? Dieu seul ! Pas l’Église ! Pas moi ! Dieu seul… Quand, à l’occasion d’une rencontre, d’une visite, d’une conférence, d’un repas – pourquoi pas ? – quelqu’un rencontre le Christ et s’attache à le suivre, qui est-ce qui compte : le pasteur, le visiteur, l’ami, le conférencier, le voisin de table, l’organisateur du repas, qui d’autre ? « Moyens extérieurs dont Dieu se sert », disait Calvin (titre du livre IV de l’Institution chrétienne). Jésus ne disait-il pas : « Quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire”. » (Luc 17 / 10) C’est le patron qui compte, c’est Dieu lui-même, tel que nous le connaissons en Christ par l’Esprit. Ce n’est pas nous : « à Dieu seul la gloire ! » Ne faisons-nous pas ainsi lorsque nous rendons grâces au début d’un repas ou d’une activité quelconque ? Mais nous ne le faisons plus guère ; est-ce parce que nous comptons sur nous plutôt que sur Dieu et sur ce qu’il peut faire et donner, que ce soit pour la vie quotidienne, dans les grandes occasions, ou dans le témoignage ? Ça ne marche pas, bien sûr !

 

Ce Dieu que nous connaissons en Christ, en Christ seulement… Voilà la cause, évidemment, la cause du choix de la faiblesse. C’est ainsi, dans la faiblesse, que Dieu s’est révélé lui-même dans la personne de Jésus-Christ, et jusque sur la croix, choix qui a été validé aux yeux des croyants par la résurrection de ce même Jésus-Christ. « Folie de la croix », écrivait Paul. Ailleurs, il écrira ce très beau texte, que vous connaissez : « Jésus-Christ, dont la condition était celle de Dieu, n’a pas estimé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, en prenant la condition d’esclave, en devenant semblable aux humains ; après s’être trouvé dans la situation d’un humain, il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. » (Phil. 2 / 6-11)

 

Ainsi, le meilleur témoignage que nous pouvons rendre non pas au Satan, ni à Allah, ni aux puissants de ce monde, mais à Jésus-Christ, c’est de lui faire confiance non pas malgré notre faiblesse, mais dans notre faiblesse, laquelle nous renvoie, ainsi que ceux auprès qui nous en témoignons, à sa faiblesse à lui, faiblesse plus forte que la mort. Nous ne sommes les disciples d’aucun dieu fort, malgré les mots que nous utilisons parfois dans la louange. Nous sommes les disciples du Dieu crucifié : c’est lui dont la vie irrigue les nôtres et nos engagements de foi, notre témoignage, notre service d’autres petits qui ne nous sont pas inférieurs mais qui sont comme nous, quoi que la société ou leur propre histoire ait pu faire d’eux. Il y a comme une solidarité dans la faiblesse, solidarité qui est puissante parce que remplie de la vie-même du Sauveur : à l’image de sa croix nous assumons notre propre faiblesse et nous y rencontrons les autres dans leur faiblesse à eux. C’est le seul lieu où nous pouvons nous rencontrer. C’est dans cette faiblesse partagée entre Christ, nous et les autres, que peut se manifester la puissance de sa vie. Oui, Christ est fort de sa faiblesse ; et nous ? Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  30 juin 2024

 

 

 

 

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