Deuxième épître aux Corinthiens 1 / 3-7

 

texte :  Deuxième épître aux Corinthiens 1 / 3-7

premières lectures :  Ésaïe 54 / 7-10 ; Évangile selon Jean 12 / 20-24

chants :  45-05 et 33-20

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Chers amis, s’il est une bonne nouvelle incontournable dans ce bref passage de la seconde lettre de Paul aux Corinthiens, c’est sans nul doute celle de la consolation ! Il en est question au début, au milieu, à la fin, 10 fois, bref : partout ! Et il faut bien s’y arrêter quelque peu, car en vérité nous avons souvent le sentiment que c’est ça qui nous manque ! Dans nos existences quotidiennes, concrètes, aussi bien qu’à travers ce que nous savons ou entendons du monde, nous vivons beaucoup de choses, bonnes ou mauvaises – que ce regard soit objectif ou subjectif n’y change rien. Dans les choses qui nous paraissent bonnes, qui nous font du bien ou nous réjouissent, nous n’éprouvons évidemment pas le besoin d’être consolés, car ces choses ressenties comme bonnes sont notre consolation ! C’est bien dans tous les autres cas que nous éprouvons ce besoin, et que, la plupart du temps, la consolation nous manque, nous fait défaut.

 

Bien sûr, nous pouvons alors tenter de nous consoler nous-mêmes, nous servir de ce qui nous arrive de bon pour contrebalancer ce qui nous arrive de négatif. Mais à certains moments la méthode Coué ne marche plus – je ne vous apprends rien… Plus positivement à mes yeux, vous pouvez avoir autour de vous des gens qui eux-mêmes tentent de vous consoler, d’attirer votre regard sur autre chose que ce qui vous fait du mal, ou même simplement des gens qui sont là, gratuitement, pour vous – et certes c’est une vraie consolation. À moins que, comme les amis de Job, ils ne cherchent finalement à justifier votre souffrance pour que vous la supportiez mieux ! Mais alors, comme Job, c’est eux que vous ne supporterez plus… Faut-il alors se résoudre à ce qu’il n’y ait pas de consolation possible dans ces cas limite ? Dire que c’est Dieu qui nous console peut n’être qu’une autre méthode Coué, qui ne marchera pas mieux, à peine plus longtemps, que la première que j’évoquais. Car la foi en Dieu n’est pas de l’autosuggestion, c’est la rencontre d’une personne vivante.

 

Mais, au fait, qu’est-ce que c’est, « consoler » ? Le dictionnaire me répond : « réconforter ». Ça ne m’avance guère… Mon logiciel biblique, lui, me donne d’autres traductions possibles : « exhorter, assister, encourager ». Et puis, c’est le même mot que celui par lequel Jésus nomme le Saint-Esprit : « consolateur, avocat, paraclet » (Jean 14 / 16 etc.). Le consolateur est celui qui se tient là à mon côté pour me défendre et m’assister, pour plaider à ma place. C’est le contraire d’un accusateur, d’un « satan » : vous comprenez pourquoi les amis de Job ne pouvaient guère le consoler, puisqu’ils l’accusaient d’être responsable de ce qui lui arrivait ! Mais dans le premier verset de notre passage, Dieu est aussi appelé, et même en premier, « Père des miséricordes », avant d’être dit « Dieu de toute consolation ».  Ce n’est bien sûr pas anodin. Les deux expressions sont synonymes, selon l’habitude biblique ! Mais pour nous « Père » précède « Dieu » et « les miséricordes » précèdent « toute consolation ». Le premier mot éclaire le second. Notre Dieu n’est pas Zeus ni un grand barbu blanc dans un nuage, mais il est Père. Et la consolation qu’il nous offre n’est ni juridique ni psychologique, mais elle consiste en « compassion, pitié, miséricorde » – traduisez comme vous voulez.

 

Le nom « Père » est certes très galvaudé dans les religions ! Si toutes les divinités ne le réclament pas pour elles – notamment pas le Dieu des musulmans, à ma connaissance – Jupiter signifie « le Ciel Père », et plus au Nord Wotan ou Odin est appelé « Père de tout » … Du coup l’apôtre Paul énonce d’entrée quel est ce Père particulier : « le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ ». Celui qui est compatissant et qui nous console ne le fait pas du haut de son ciel ou de sa majesté divine. Il le fait à cause de Jésus-Christ, il le fait en Jésus-Christ. Ainsi on pourrait dire qu’il le fait depuis la croix, puisque tel est le lieu de son Fils, comme Paul le prêchait très clairement : « je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous, sinon Jésus-Christ, et celui-ci crucifié. » (1 Cor. 2 / 2) Ainsi sa compassion et sa consolation, sa consolation miséricordieuse, viennent de la mort de Jésus-Christ. C’est pour accomplir cela qu’il est mort, c’est le sens de dire qu’il est « mort pour nous » (Rom. 5 / 8) : il est le moyen de la consolation que Dieu notre Père nous apporte.

 

Cette consolation nous fait nous relever et tenir debout, tout comme le Christ a été relevé, ressuscité. Ce que notre petit texte nous montre, c’est que cette consolation, ce relèvement, est fait pour être transmis. Christ ressuscité a relevé Paul qui a relevé ses paroissiens. Christ ressuscité nous a relevés afin que nous aussi puissions en relever d’autres. Ainsi fonctionne la consolation divine, qu’elle n’est pas faite que pour nous, à recevoir égoïstement et à s’en contenter pour soi-même, mais qu’elle est faite pour être transmise, c’est-à-dire apportée à d’autres qui en ont besoin – et qui n’en a pas besoin ?! Elle se transmet comme dans un ensemble de dominos ou de morceaux de sucre proches, debout les uns à côté des autres : si vous faites tomber le premier sur le second, ça va continuer jusqu’au bout ! La consolation pourtant ne se transmet pas comme un virus, mais elle se pratique, elle se vit. Il convient donc de la recevoir, pas seulement de savoir qu’elle nous est offerte : il faut la saisir, comme on saisit la main qui veut nous relever lorsque nous sommes à terre !

 

Lorsque Dieu nous console, il ne fait pas de tri : telle « affliction » – pour parler comme ma traduction – ne mérite pas plus ou moins qu’une autre d’être « consolée ». Car, pourrait-on dire, Dieu ne regarde pas à la « qualité » de l’affliction en question, mais à la personne qui est affligée… et Dieu « ne fait pas de considération de personne » (Luc 20 / 21) ! L’apôtre Paul, bien sûr, va montrer comment cela agit dans sa propre vie, et singulièrement dans son propre ministère et pour les frères à qui il écrit. Mais ce n’est qu’un exemple : tout le monde n’est pas persécuté pour sa foi chrétienne, heureusement. Paul précise bien : « toutes nos afflictions », « toute sorte d’afflictions », tout comme Dieu est celui « de toute consolation ». Chacun d’entre nous sait pour lui-même ce qui lui fait du mal, de la part d’autres gens aussi bien que de lui-même, autant en son corps qu’en son esprit. Et c’est toujours un ensemble, où se mêlent le corps, l’esprit, les attaques, les nouvelles du monde et des autres, etc. Tout réagit sur tout, et c’est ainsi que nous coulons…

 

Mais revenons au Christ. Car il ne s’agit pas ici seulement de psychologie ou de pitié. La compassion ne s’apprend pas. Il y a, si j’ose dire, un « moteur » qui nous est étranger, sur lequel nous n’avons aucune connaissance intellectuelle, aucune prise. Ce sont les souffrances du Christ. Paul l’indique bien : « De même que les souffrances de Christ abondent pour nous, de même aussi notre consolation abonde par le Christ. » Le point de départ, non pas seulement passé, mais présent, existentiel, c’est donc bien la mort de Jésus. Point n’est besoin de gloser sur l’atrocité de ses souffrances : tant de gens dans le monde connaissent les mêmes dans leur propre chair ! Mais c’est parce que le Dieu fait homme, justement, a connu et vécu et traversé les mêmes souffrances et la même mort que ses frères et sœurs humains, que cette mort est devenue victoire sur la mort, et qu’ainsi en lui nous pouvons être consolés, assistés, encouragés dans nos propres souffrances et notre propre mort.

 

« Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit », disait Jésus à propos de lui-même. Le Dieu fait homme n’a pas reçu vocation à prendre le pouvoir et à régner sur la terre, mais à mourir afin que tout pouvoir soit révélé comme vain, et afin de régner sur nos vies si misérables soient-elles. Oui, sa mort a porté du fruit dans la vie de tant de gens. Oui, elle porte du fruit dans ma propre vie et dans la vôtre, non pas tant par conversion de mœurs, d’ailleurs, que par consolation justement, et c’est bien ce qu’écrivait Paul pour ce matin. En quelque sorte nous sommes les fruits de la mort du « grain de blé ». Et c’est aussi pour ça que ça ne s’arrête pas, que la compassion du Christ passe de l’un à l’autre, tout comme le grain donne du blé qui donne du grain, etc. Mais tout comme le don de lui-même par Jésus a été un acte volontaire de soumission à la volonté de Dieu son Père, de même le don de moi-même en service et compassion ne peut être qu’un acte volontaire : ça ne se fait pas tout seul.

 

Mais Dieu espère en nous, comme Paul espérait en les destinataires de sa lettre, les chrétiens de Corinthe. Et si Dieu peut espérer en nous, c’et parce que tout ce dont nous avons besoin, il nous l’a donné en Christ. Nous n’avons pas besoin pour être compatissants d’un quelconque savoir-faire, d’aucun diplôme, d’aucune bonne éducation, d’aucune richesse. Comme les disciples disant après l’épisode du « jeune homme riche » : « mais alors, qui peut être sauvé ? » (Luc 18 / 26), nous dirions nous-mêmes : « mais alors, qui peut être compatissant ? » ! Parfois ça nous arrangerait bien, d’avoir des excuses pour notre égoïsme ! Mais non. Christ a été compatissant à notre égard, et lorsque nous éprouvons le besoin d’être consolés, redressés, ressuscités, la compassion de Christ accomplit aujourd’hui ce fruit de la croix pour nous. Alors, quand d’autres éprouvent ce même besoin, c’est par la compassion du Christ que nous pouvons nous aussi consoler les autres, non pas par la nôtre qui est trop faible voire insignifiante.

 

Trop faible ou insignifiante, notre propre capacité à consoler l’est clairement face à tout ce qui arrive dans le monde, que ce soit en Ukraine, au Yémen, au Sahel, ou dans toute dictature par la main des hommes, que ce soit en Haïti, à Madagascar ou ailleurs par la sauvagerie de la nature elle aussi parfois victime de la main des hommes, et parfois de la nôtre même… Nous voudrions… mais nous ne savons que faire, à part donner quelques sous – et c’est déjà ça. Parce que nous ne le vivons pas nous-mêmes. La souffrance des autres nous reste étrangère, tout comme la nôtre ne se communique pas sinon sous forme de plaintes. Le Christ a vécu, lui, nos souffrances, « il sait de quoi nous sommes faits, il se souvient que nous sommes poussière », chantait le psaume (Ps. 103 / 14). Nous pouvons donc croire et faire confiance à sa compassion, et nous laisser relever, consoler par lui. Et si nos propres souffrances n’arrivent pas à nous rendre compatissants à l’égard des autres qui souffrent aussi, les souffrances du Christ, elles, le peuvent, elles peuvent nous rendre nous-mêmes compatissants de sa compassion à lui. Et si nous n’arrivons pas à regarder loin, il suffit hélas parfois de regarder tout près pour savoir qui a besoin d’être consolé, défendu, relevé.

 

« Notre espérance à votre égard est ferme », écrivait Paul. Entendez-le pour vous comme une parole du Christ qui a donné sa vie pour que vous soyez debout. Profitez de lui et faites-en profiter les autres, ne décevez pas le Père céleste qui vous aime. Il y a des hommes et des femmes qui vous attendent, qui l’attendent, lui, à travers vous. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  27 mars 2022

 

 

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