Deutéronome 7 / 6-12

 

texte :  Deutéronome, 7 / 6-12

autres lectures :  Ésaïe, 43 / 1-7 ; épître aux Romains, 6 / 3-11 ; Évangile selon Matthieu, 28 / 16-20

chants :  430 et 566  (Arc-en-ciel)

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« C’est l’Éternel, ton Dieu, qui est Dieu. » Cette affirmation revient comme un leitmotiv dans tous les textes de ce matin, que ce soit Ésaïe ou Paul, Matthieu ou Moïse. Bien sûr, elle n’a pas dans tous la même forme ! Pour Paul et Matthieu, c’est Jé-sus-Christ qui est au centre de tout, c’est lui qui nous renvoie à Dieu, c’est en lui, en sa mort et sa résurrection, que nous avons été baptisés, que nous sommes nés de nouveau, nouvelles créatures devenues témoins du Dieu unique : Père, Fils et Saint-Esprit. Pour Ésaïe, ce Dieu est à la fois créateur et sauveur, et d’une manière ou d’une autre, nous lui devons tout. Moïse, dans son grand discours qui récapitule et qui clôt la Torah, nous redit encore cette seigneurie de celui qui nous a libérés une fois pour toutes, et il le fait à propos de ce qui est central pour Israël, le peuple de l’Ancienne alliance : la sortie d’Égypte. Mais évidemment, je ne vous ferai pas un cours d’histoire des religions, et c’est donc bien par rapport à nous autres, et non par rapport à la vocation particulière d’Israël, que je vous invite à méditer ce matin.

 

Aussi est-ce par rapport à nous-mêmes, Juifs ou Grecs, protestants de naissance ou de choix, gens d’ici ou d’ailleurs, c’est par rapport à nous comme individus et comme peuple, comme Église, que nous entendons Moïse nous rappeler que « tu es un peuple saint pour l’Éternel, ton Dieu. » Rappelez-vous d’ailleurs que toute la sortie d’Égypte, dans toutes ses péripéties, avait comme but principal la manifestation que Dieu est Dieu, que le Dieu d’Israël est Dieu, et non pas quelqu’un d’autre, ni Pharaon, ni le Nil, ni l’économie, ni la sécurité, ni le Destin, ni personne… À la différence des dieux grecs ou babyloniens, l’affirmation que Dieu est Dieu ne signifie pas pour la Bible qu’il est tout seul là-haut, méprisant ceux qui s’agitent ici-bas, mais au contraire qu’il a librement choisi un partenaire pour manifester sa gloire au monde entier afin de bénir tous les peuples. Il a fait de gens qui n’en étaient pas plus dignes que les autres « un peuple saint pour l’Éternel, ton Dieu ».

 

En regardant ce que nous sommes, en regardant le nombre que nous sommes, la « pauvrette Église » qui a tant de peine à faire entendre sa voix et plus encore lorsqu’elle veut proclamer l’Évangile, en regardant la faiblesse de notre témoignage et la somme de nos incapacités, nous sommes d’habitude plutôt portés à la repentance, au silence, voire à la honte, quand ce n’est pas au désespoir. Il est bon, certes, d’être lucides sur nous-mêmes. Mais il est bon aussi de l’être sur le choix de Dieu, et c’est bien pourquoi Moïse nous exhorte ce matin. « Ce n’est point parce que vous surpassez en nombre tous les peuples, que l’Éternel s’est attaché à vous et qu’il vous a choisis, car vous êtes le moindre de tous les peuples. Mais parce que l’Éternel vous aime… » Pas à cause de toi, mais à cause de lui !

 

L’Évangile consiste dans cette réalité. C’est que nous ne valons pas plus que les autres, ni par nombre ni par force ni par aucune qualité. Si ç’avait été à cause de nos qualités, Dieu aurait pu choisir n’importe qui, n’importe qui d’autre… Le choix de Dieu n’est pas justifié par ce que nous faisons pour lui. Il y a des gens, quand arrive le malheur, qui reprochent à Dieu de ne pas les aider : « avec tout ce que j’ai fait pour lui… » C’est une idiotie ! Quand bien même j’aurais consacré toute ma vie à Dieu, qu’est-ce que c’est par rapport à ce que lui a fait pour moi ?! Il m’a créé, il m’a donné la vie, il a donné non pas tellement l’Égypte et l’Éthiopie, comme disait Ésaïe, mais bien plus : il a donné son Fils pour moi, il a donné sa vie pour sauver la mienne, pour rendre vaine la mort et tenir pour rien les efforts de l’Adversaire. Quoi que j’aie fait pour Dieu, je n’ai rien fait pour lui, c’est peanuts, ça ne compte pas. Construire sa propre vie, toute son existence, sur ce que nous faisons, pour nous, pour les autres ou pour Dieu, c’est construire sa vie sur le sable. L’édifice le plus splendide sombrera tout autant que la plus fragile ca-bane.

 

Le croyant, et le peuple croyant, sont appelés à construire sur le roc, c’est-à-dire sur ce que Dieu a fait pour eux, comme Jésus le dit de sa parole à la fin du « Sermon sur la montagne » (Matth. 7 / 24-27). C’est le sens de notre baptême, comme saint Paul nous le rappelait tout à l’heure, et c’est le sens d’inviter au baptême tous les habitants de ce monde, tous ceux qui ne savent pas encore l’amour de Dieu pour eux. La vie croyante ne peut avoir comme sens et comme but que de célébrer l’œuvre de salut du Dieu de Jésus-Christ : sa mort nous a gratuitement et définitivement rendus justes aux yeux de Dieu, elle a restauré en nous la dignité d’enfants de Dieu que nous étions incapables d’assumer. Et c’est bien en tant que sa famille, ceux qu’il a aimés, que nous sommes réunis pour recevoir toujours à nouveau sa parole, depuis la chaire et depuis la table, parole entendue et mangée, pour nous irriguer corps et âme, pour que nous soyons véritablement construits par elle.

 

Mais même alors, il faut garder à l’esprit que sans cette parole d’amour, sans ce don du Christ, nous ne sommes rien. Ni notre passé, ni notre présent, ni nos réussites, ni nos échecs, ni nos projets : rien de tout cela n’a de poids non seulement aux yeux de Dieu, mais aussi aux nôtres. Il faut que nous nous gardions de penser que nous sommes quelque chose en dehors de l’amour que Dieu nous porte. Nous sommes ceux qu’il a libérés pour que nous allions et que nous portions sa parole de liberté. Tout ce qui, en nous, est libéré, ne l’a été que par lui, et tout ce qui ne l’est pas ou pas encore, c’est ce que nous lui refusons. Il est le Dieu de notre salut, à nous chrétiens, et à nous Église. Ce n’est pas sur nous que nous pouvons compter, mais sur lui seul. Or ce n’est pas ce que nous faisons. Soit, sous couvert de foi, sous prétexte de tout attendre de Dieu, nous ne faisons rien ; mais c’est mépriser les dons de Dieu ! Soit nous faisons en comptant sur nos propres forces et en les lui offrant… pauvre offrande, en vérité ! Non, il nous faut avancer, nous avons une mission dans ce monde, le temps de notre vie chrétienne ; l’Église, le « peuple saint », a une mission pour laquelle Dieu l’a mise à part (puisque c’est ce que signifie le mot « saint »). Jésus nous le rappelle avec les derniers mots de l’évangile de Matthieu : « faites de toutes les nations des disciples » !

 

« Toutes les nations », « tous les païens » … Ça commence par moi, évidemment ! Tant de choses dans ma vie, tant de moments, tous les jours, ne veulent pas savoir que « c’est l’Éternel, ton Dieu, qui est Dieu » ! Et ce sera le cas jusqu’à ma mort – mais ce n’est pas une raison pour m’en satisfaire, n’est-ce pas… Car la mort commence ici et maintenant : la mort, c’est tout ce qui en moi n’a pas été atteint par l’Évangile, ou pire : tout ce qui le refuse ! La mort, c’est ce qui n’appartient pas à Dieu, et qui, donc, n’est que néant. Et en moi, certes, il y a beaucoup de néant… La parole de Dieu nous a été donnée afin que nous sachions faire reculer ce néant, afin que notre liberté ne s’exerce pas à notre détriment, mais au contraire à notre avantage, et au profit de notre mission. Les « commandements », les « ordonnances » du Seigneur, voilà ce qui peut nous servir, nous aider. Non pas pour que nous soyons sauvés, comme Moïse semble le dire dans le Deutéronome, mais pour que nous grandissions. Non pas pour que Dieu nous garde son amour – il nous l’a promis, et lui, il est fidèle ! – mais pour que nous profitions de cet amour qu’il nous porte.

 

Que je n’oublie donc pas que la bénédiction est mille fois plus que la punition, si je tiens à raisonner en ces termes-là. Et que je la laisse alors agir dans ma vie, dans mes membres, dans la durée de mes jours. Car si la malédiction ne tient qu’à moi, la bénédiction, elle, me vient de Dieu par Jésus-Christ : elle est solide ! C’est dans ma vie qu’il me faut alors mener, selon l’expression, une « chasse au gaspi » … Apprendre à éliminer tout ce qui est gaspillage, gaspillage de bénédiction, gaspillage des dons de Dieu. Et cette « chasse », nous pouvons la mener ensemble à un double titre. D’abord en ceci que l’Église a comme fonction d’aider ses membres, c’est-à-dire que nous puissions nous supporter et nous aider mutuellement pour nos propres vies à chacun, par la rencontre, l’amitié, la prière, le partage biblique, l’entraide, etc. Et puis, pour qu’ensemble nous rendions notre propre Église plus apte, elle aussi, à sa mission, en la débarrassant de tout ce qui la handicape. Et pour elle aussi, le guide du ménage, ce sont les commandements, c’est la Bible, non pas en ce qu’elle nous dit l’Évangile, mais en ce qu’elle nous rappelle la volonté de Dieu à notre égard – volonté qui n’augmente ni ne diminue son amour…

 

Parents, nous aimons nos enfants, et nous avons nos idées sur ce qui est bon pour eux. Mais bien sûr, s’ils ont d’autres idées ou s’ils ne tiennent pas compte de notre avis, cela peut nous chagriner, nous rendre même très malheureux ou tristes pour eux, mais cela n’a pas de rapport avec notre amour, qui lui sera toujours là. L’amour et la volonté sont deux choses différentes : il y a que je t’aime, et il y a ce que je veux pour toi. Tu peux croire que mon amour est conditionné par ton obéissance, mais ce n’est pas vrai. Tout au plus c’est toi qui risques de ne pas profiter pleinement de mon amour lorsque tu désobéis et que tu choisis ainsi une voie qui n’est pas la bonne, c’est-à-dire qui n’est pas bonne pour toi… Contrairement à l’alliance mosaïque, l’alliance en Christ n’est pas conditionnelle. C’est l’histoire du « fils prodigue » : son choix de vie l’avait éloigné du père, parce qu’il était parti, mais ça n’avait en rien diminué l’amour que le père avait pour lui, et que celui-ci a pu lui manifester dès qu’il a été à sa portée (Luc 15 / 20-24).

 

Apprenons donc à nous servir, pour nous comme pour notre Église, des conseils éducatifs que contient la Bible, car nous sommes des enfants qui avons besoin de grandir, chacun et ensemble comme frères et sœurs d’une même famille. Mais n’oublions pas que, quoi que nous fassions ou pas, notre vie est dans la main de Dieu, qui est non seulement Seigneur, mais aussi et d’abord Sauveur. Quelle que soit l’Égypte où nous sommes esclaves, quel que soit Pharaon qui prétend briller à nos yeux comme s’il était dieu, nous savons appartenir au Dieu de l’Exode et de la Croix, nous savons appartenir à celui qui a payé de sa propre vie pour nous libérer, et c’est une bonne nouvelle, parce qu’il y a du travail à faire, mais non plus pour cette libération : ça, c’est fait, et c’était le principal. Il ne reste qu’à la vivre et à en parler, en témoigner, témoigner que c’est super, et que c’est proposé à tous. C’est notre rôle, notre mission. Le Saint-Esprit nous y rend apte, il attend que nous soyons disponibles à ses enseignements et au mouvement qu’il veut nous imprimer. Il l’attend aussi de notre Église qui n’a pas vocation à se croiser les bras, mais à les ouvrir aux gens de la part de son Chef, Jésus-Christ. Afin que le monde entier, à commencer par la Déodatie, « [reconnaisse] donc que c’est l’Éternel, ton Dieu, qui est Dieu. » Amen.

 

Saint-Dié – David Mitrani – 23 juillet 2017

 

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