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Deutéronome 6 / 4-9
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texte : Deutéronome 6 / 4-9
autres lectures : Épître aux Romains 3 / 21-28 ; Évangile selon Matthieu 5 / 1-10
chants : 21-04 et 45-21
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« *Shema’ Yisraël Adonay Éloheinou Adonay Échad » C’est la profession de foi du judaïsme, qui est complétée par « le plus grand commandement » de la Torah, que ce soit pour Jésus ou pour les rabbins : « Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Luc 10 / 27) Saviez-vous que ces deux phrases étaient liées ? Et saviez-vous que la première comportait aussi un jeu de mot intraduisible, puisque seulement visible en regardant le texte hébreu, et impossible à entendre : la dernière lettre du premier mot et la dernière lettre du dernier mot forment le mot « témoigne » ! Ce que toute la suite de ce petit texte expose d’ailleurs, par des phrases à deux membres, signifiant toutes les occasions, toute la journée et chaque jour, d’obéir à ce commandement : « témoigne ! » qui répond au premier mot : « écoute ! » Écoute, puis témoigne. Telle est l’invitation du « Shema Israël », dont je ne sache pas qu’il soit caduc aujourd’hui pour nous et notre Église. La Réforme protestante elle-même, dont nous fêtons les 502 ans, ne fut rien d’autre que la mise en œuvre renouvelée de cet ordre, mettant au centre les « paroles que je te donne aujourd’hui », comme s’exprimait Moïse…
Notre texte explique simplement pourquoi cet ordre, pourquoi écouter ces paroles-ci – celles de la Bible – et pourquoi en témoigner par l’amour de Dieu et le témoignage explicite. C’est sur ce pourquoi que je voudrais m’arrêter avec vous ce matin. La première raison, c’est que « l’Éternel est un » : « il n’y en a pas d’autre » (És. 44 / 8). Il y a certes plusieurs manières de le connaître. On peut le connaître intellectuellement, ou même philosophiquement. On peut le connaître à travers l’observance des commandements. On peut le connaître à travers ce qu’en disent les théologiens, ou les croyants, ou l’Église. On peut le connaître à travers ce que les pages de la Bible en montrent. Il paraît qu’on peut même le connaître, quoique de manière voilée, à travers d’autres religions – votre serviteur reste réservé sur cette question dont il n’a pas la réponse… Après tout, Dieu se révèle comme il veut à qui il veut. Car en tout cas on ne le connaît bien que parce qu’il se révèle, et non par nos propres raisonnements. Ce qui nous renvoie au centre du « Shema Israël » : « l’Éternel notre Dieu ». Ce qui est redoublé à la phrase suivante : « Et tu aimeras l’Éternel ton Dieu. »
Ainsi, la révélation du Dieu unique et vrai ne se fait pas dans les livres, les discours ou les rites. Elle se fait dans « ton cœur, ton âme et ta force », là-même où tu es appelé à l’aimer. Dieu est un Dieu personnel, ce qui signifie d’abord qu’il est une personne. Cela ne signifie pas qu’il est une idée subjective, personnelle. Mais cela signifie qu’il vient me rencontrer personnellement, qu’il m’accompagne personnellement sur mes chemins, que ce soit ceux qu’il a voulus pour moi, ou bien ceux sur lesquels je me fourvoie. Celui que je puis nommer « mon Dieu, mon Père » (cf. chant 43-06) est en quelque sorte en moi, non pas comme un morceau de moi, mais sa relation avec moi est de l’ordre de l’intime, de l’intérieur de ma vie. C’est un grand miracle inaccessible à la raison : le Dieu Créateur, celui qui « a fait les mondes » (Hébr. 1 / 2), Dieu au-delà de toute connaissance, hors du temps et de l’espace, non seulement est venu vers nous les humains à travers l’un de nous, Jésus de Nazareth, qui est né, qui a vécu et qui est mort comme tout être humain en un temps et un lieu donnés ; mais il se rend aussi présent à moi dans mon cœur et dans mon existence, à moi qui ne suis rien d’autre qu’un « pécheur indigne et misérable » (cf. n° 236 in Louange et Prière).
La foi consiste en la reconnaissance et l’acceptation de cette présence divine qui me rassure et qui m’interpelle, qui me met à genoux et qui me fait marcher sans crainte. L’Éternel, Père de Jésus-Christ, est « mon Dieu ». Je le redis : ceci n’est pas subjectif, même si je ne puis le prouver. Je le sais parce qu’il me l’a dit par la Bible, par des textes comme celui de ce matin, et je le sais pour avoir éprouvé sa présence dans ma propre existence et l’avoir entendu me le dire lui-même au fond de moi. Alors, bien sûr, je ne sens pas cette présence tous les jours à tous les moments ! Ressentez-vous à tout instant l’amour ou l’amitié que vous portent vos proches ? Mais il y a des moments où cet amour et cette amitié manifestent leur présence, leur aide, leur accompagnement, des moments où ils se donnent, des moments où vous les recevez pour ce qu’ils sont. Ces moments vous attestent qu’amour et amitié sont là même quand vous ne les voyez ni ne les ressentez. Il en est de même de l’amour et de la présence de Dieu dans nos vies. Nous savons par la Bible que « l’Éternel est notre Dieu » et que « l’être humain est justifié par la foi sans les œuvres de la Loi ». Mais nous l’expérimentons justement dans la foi : c’est existentiellement que nous savons vraiment que le Père de Jésus-Christ est notre Père (Jean 20 / 17) et qu’en lui, dans cette relation avec lui, nous sommes ajustés à la vie divine pour en vivre les prémices dès maintenant, comme le disent les Béatitudes. Oui, en lui, dans la foi, parce que Dieu est présent à notre vie, nous sommes « heureux » !
C’est à saisir ce bonheur que je vous invite ce matin. La confession de la foi sans la foi n’est rien, c’est un contre-témoignage, c’est un aveu de mort. Tandis que la foi est un aveu de vie, si elle est confessée comme telle. C’est bien pourquoi le texte du Deutéronome est un appel à une telle confession. Mais cette confession ne consiste pas, comme le font les Juifs pieux, à se barder les mains et le front, et « les poteaux de la maison », de versets bibliques, ni à énoncer sans arrêt de tels versets à tout bout de champ. La confession de la foi consiste à témoigner du Dieu qui s’est fait proche dans tous les actes de notre vie et auprès de tous ceux qui nous voient vivre. Autant dire que notre confession de foi sera toujours incomplète… ! Car tout comme il y a trop de moments ou de circonstances dans lesquels je ne vis pas de l’amour qu’on me porte, de même il y a trop de moments, encore plus sans doute, où je ne vis pas de l’amour et de la présence de Dieu en moi. Or c’est seulement lorsque j’en vis que ma vie en témoigne, et que mes mots peuvent aider à le percevoir. Les mots de la foi ne sont que l’explicitation de ce que je vis avec Dieu et avec le Christ, par la puissance du Saint-Esprit.
C’est cette vie qui est importante, ce bonheur qui m’est offert y compris dans les circonstances les plus contraires. Il serait enfantin, voire infantile, de penser que Dieu est présent dans ma vie lorsque je reçois santé, fortune, considération, etc. Des textes bibliques témoignent d’une telle croyance largement répandue dans le monde, toutes religions confondues, mais c’est pour que la Bible la démente avec force. Non, Dieu n’est pas dans le bien-être physique ou social, tout comme Jésus n’est pas né au palais royal ni sur les marches du Temple. C’est même plutôt dans la faiblesse et l’adversité que Dieu se manifeste, peut-être parce qu’alors on ressent mieux sa présence si on lui fait confiance, mais aussi parce que c’est là que nous avons le plus besoin de lui, et qu’il le sait. « L’Éternel dit : “J’ai bien vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu son cri à cause de ses oppresseurs, car je connais ses douleurs. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays découlant de lait et de miel”. » (Ex. 3 / 7-8) Chacun de nous est prisonnier de sa propre Égypte, tout comme notre Église l’est de la sienne. Dieu entend notre cri et il « descend [nous] délivrer ».
Vous vous rappelez combien les Hébreux ont résisté à cette délivrance, que ce soit en Égypte ou tout au long de leur marche au désert, et combien vite ils l’ont oubliée ensuite. Gardons-nous de trop leur ressembler ! Oubliez-vous votre conjoint lorsqu’il est loin ? Ce serait de l’adultère ! Oubliez-vous vos amis sous prétexte que vous ne les voyez pas tous les jours ? L’Israël biblique nous est montré comme oubliant tellement facilement l’amitié de son Dieu, que ce soit dans l’opulence ou dans les épreuves ; ne l’en condamnez pas, car ces textes parlent de nous, c’est nous qu’ils mettent en scène ! Notre bonheur consiste dans la présence du Seigneur, sa présence auprès de nous, par son Esprit en nous. Cette présence est là pour nous aider à affronter les « épreuves » (surtout quand elles ne sont justement pas des épreuves, mais de pures catastrophes, de purs malheurs…). Cette présence divine est là pour nous aider à assumer notre existence dans tout ce qui lui advient de bon ou de mauvais, de réjouissant ou d’attristant, de vivifiant ou de mortifère. Dieu est à nos côtés pour la vie, il est « notre Dieu ».
Alors oui, « tu aimeras le Seigneur ton Dieu » « afin que tu vives » (Deut. 30). Et s’il y a près de toi des gens que tu aimes, alors tu auras à cœur de leur apprendre à aimer, eux aussi, ce Dieu qui leur offre la vie et qui espère leur foi. Tel est le but du témoignage de la foi : ce n’est pas d’accomplir un devoir, mais d’exprimer notre amour pour ceux qui nous entourent, en leur montrant et expliquant ce qui fonde notre propre bonheur et qui peut fonder le leur plus sûrement que santé, richesse ou considération sociale. Ainsi le second « plus grand commandement » est-il la simple mise en œuvre du premier : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19 / 18) consiste à témoigner concrètement auprès de ce proche qu’on a reçu l’amour de Dieu, qu’on y a répondu, et qu’on en est heureux. Comme l’apôtre Paul l’écrivait aussi : « Soyez remplis de l’Esprit : entretenez-vous par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur ; rendez toujours grâces pour tout à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ ; soumettez-vous les uns aux autres dans la crainte de Christ. » (Éph. 5 / 18-21)
La foi, dans laquelle on est justifiés, sauvés, délivrés, rendus heureux et vivants – dites-le comme vous voulez – cette foi ne se met pas en vitrine non plus qu’en grandes explications. Elle se vit, elle est confiance et liberté, amour filial et amour fraternel, et comme tout amour elle se dit aussi, avec des mots personnels, des gestes et des regards. L’Église célèbre cette foi, mais ce sont les croyants qui la vivent au quotidien. L’Église met des mots, mais c’est afin que chacun apprenne à mettre les siens. L’Église témoigne de Jésus mort et ressuscité, mais c’est afin que vous le reconnaissiez, lui, lorsqu’il se rend présent dans votre existence et dans vos relations. L’Église nous aide à nous reconnaître pécheurs, mais c’est afin que notre propre existence apprenne à vivre pleinement le pardon de Dieu. L’Église ne se met pas en travers, ce serait diabolique ! L’Église se tient à disposition, comme une famille pour aider et accompagner ses membres et ses voisins. Mais ce sont eux qui comptent : les membres de la famille et leurs voisins ! C’est pour eux, pour vous, que Jésus-Christ a donné sa vie, afin que vous la receviez en vous. Profitez-en et soyeux heureux, il est là pour ça, pour vous et pour beaucoup… Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 27 octobre 2019