Daniel 9 / 4-5. 13-19

 

texte :  Daniel 9 / 4-5. 13-19

premières lectures :  Évangile selon Luc 11 / 5-13 ; première épître à Timothée 2 / 1-10

chants :  89 et 22-05

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Chers amis, vous le savez, dans la religion sacrificielle, il y a des moyens de négocier avec le divin. Que cette religion soit animiste, polythéiste, juive ou même chrétienne n’y change rien. Car c’est une certaine manière d’envisager la relation entre le divin et la vie terrestre, humaine, quotidienne, celle des vivants pendant leur existence, cette vie dont Salomon nous a enseigné qu’en elle « tout est vanité et poursuite du vent » (Eccl. 1 / 14). Mais précisément, les tenants de la religion sacrificielle pensent que ce que nous faisons dans cette vie n’est pas vain, mais que cela a un sens, et que ce sens « pèse » quelque chose aux yeux du ou des dieux, des défunts ou des forces de la nature. Dans la Bible, rappelez-vous la violente controverse entre Élie et les prophètes du Baal, où ceux-ci se lacéraient afin d’attirer l’attention et les bonnes grâces de leur dieu (1 Rois 18 / 25-29). Rappelez-vous aussi Jésus chassant les changeurs et les marchands du Temple de Jérusalem, interrompant ainsi le sacrifice (Jean 2 / 14-16). Élie et Jésus avaient en horreur cette religion sacrificielle, qu’elle fût païenne ou juive. D’autant plus la juive, puisque la religion biblique, celle des prophètes justement, n’aurait pas dû aboutir à ça !

 

Cette religion sacrificielle est encore la plus répandue de nos jours, y compris dans notre pays, et largement ! Elle peut prendre naturellement plusieurs formes. Dans les religions d’abord, bien sûr : lorsque les croyants pensent pouvoir marchander avec Dieu leur salut, certes – encore que cette préoccupation ait quasiment disparu aujourd’hui – mais surtout tout ce qui est susceptible de leur arriver : santé, emploi, fortune, pouvoir, famille, etc. Comme Jacob à Béthel, après que Dieu lui avait promis un certain avenir, mais que lui, Jacob, a voulu payer les 10 % de ce que Dieu lui donnerait ; il y marchanda même le fait de servir ce Dieu-ci (Gen. 28 / 20-22). Tout aussi grave – je dis grave parce que c’est puéril et sans fondement, mais que ça peut mener à la mort ou au crime – ce que j’appelle religion sacrificielle prend quasiment toute la place dans les rapports humains : « tout s’achète », paraît-il – slogan dont je ne trouve pas trace dans la Bible, bien sûr ! Certains parents, sans se rendre compte du poids de leurs paroles, peuvent dire à leur enfant : « si tu ne m’obéis pas, je ne t’aime plus… » Cette aberration, ce contre-sens total sur ce qu’est l’amour, a déteint sur tous nos rapports sociaux, depuis le couple jusqu’à l’international ! Il y aurait quelque chose à faire pour obtenir ce qu’on veut… Il y a même une version athée, quoique spirituelle, de cette religion : la méditation, s’élever dans la connaissance de soi par des techniques appropriées, sans lesquelles on resterait esclave de ce qui nous arrive…

 

Cette religion sacrificielle, lorsque ça ne marche pas – parce que ça ne marche pas, sauf par hasard ou par force ! – cette religion aboutit immanquablement au désespoir. « Manger ou être mangé », c’est bien quand on est un lion, pas quand on est un agneau… Selon la forme que prend cette religion, soit on en conclut que Dieu ne se soucie pas de nous, ou bien qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait pour satisfaire les esprits des morts ou de la terre – mais comment savoir ce qu’ils veulent, sauf à consulter nécromanciens et sorciers ? Etc. Quand plus rien ne marche, alors oui, seul reste le désespoir, une vie plate, acceptée par défaut et qui n’attend plus rien que la mort qui l’a déjà envahie. Les humains seraient-ils donc prisonniers de cette fausse alternative : négocier avec le divin pour acheter son aide ou même sa propre tranquillité, ou bien attendre la mort ?

 

Vous avez bien entendu que la Bible propose autre chose ! La prière de Daniel est très éclairante à ce propos. Elle est d’abord une reconnaissance que l’obéissance comme moyen d’acheter Dieu ne fonctionne pas. Et pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Parce que nous sommes constamment pris en faute ! L’apôtre Paul écrira que le but de la Loi de Dieu est précisément cette constatation : savoir que nous sommes pécheurs… (Rom. 3 / 19-20) Cette confession du péché pourrait tout à fait rester dans la logique sacrificielle et aboutir au désespoir, comme je vous le disais. Or Daniel ne limite pas la justice de Dieu à une justice de la rétribution, qui, effectivement, condamnerait tout croyant et le peuple croyant lui-même. Certes cette justice s’exerce, selon les termes-même de la Loi. Mais elle n’est pas la seule. Dieu est juste parce que ses œuvres le sont, parce qu’il tient ses promesses, lui ! Dieu est juste « dans toutes les œuvres qu’il a faites », et notamment en faisant sortir « d’Égypte, de la maison des esclaves » (Ex. 20 / 2), son peuple qui ne l’avait pas mérité, et qui s’y est fortement refusé d’ailleurs.

 

Cette seconde « justice » nous dit, nous montre, que Dieu est juste non par rapport à une loi extérieure, par rapport à un concept abstrait de la justice tel que l’humanisme occidental en a développé depuis 300 ans. – Qui sommes-nous pour juger Dieu ?! – Mais Dieu est juste par rapport à lui-même. « Dieu n’est pas un homme pour mentir, ni un fils d’Adam pour avoir du regret. Ce qu’il a dit, ne le fera-t-il pas ? Ce qu’il a déclaré, ne le maintiendra-t-il pas ? » (Nombres 23 / 19) Balaam lui-même, prophète païen, prononcera contre son gré la bénédiction de Dieu sur Israël, selon ce verset que je viens de citer. Or toute la Bible nous montre que le projet de Dieu pour l’humanité est un projet de bonheur pour l’humanité. On n’est pas à Babylone pour croire que les dieux ont créé les humains pour être leurs serviteurs ! C’est pour nous que Dieu est créateur, c’est pour nous qu’il est libérateur et sauveur, pas pour lui-même ! En son Fils, n’a-t-il pas donné sa propre vie afin de nous en faire hériter, et cela malgré nos fautes et notre péché ?

 

Car c’est une troisième « justice » de notre Dieu : comme nous sommes incapables de mériter son soutien, c’est son amour qui nous le procure. C’est bien ce que Daniel lui dit : « Car ce n’est pas à cause de nos œuvres de justice que nous te présentons nos supplications, c’est à cause de tes grandes compassions. Seigneur, écoute ! Seigneur, pardonne ! Seigneur, sois attentif ! Agis et ne tarde pas, par amour pour toi, ô mon Dieu ! » David l’avait aussi chanté : « Il me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom. » (Ps. 23 / 3) On est ainsi passé de la confession des péchés à la confession de foi, on est passé du Dieu qui a raison de punir les coupables – qui dira le contraire ? – au Dieu qui aime et qui pardonne. On est passé de la justice telle que les humains la conçoivent à la justice telle que Dieu la pratique : il rend juste celui qui n’en est pas digne, il regarde comme juste celui qui vient à lui.

 

Car si aucune dignité, aucun sacrifice, aucune condition n’est requise, contrairement à ce que pense la religion sacrificielle, religion des œuvres et des techniques, il y a par contre un certain positionnement qui fait qu’on reçoit ou pas ce que Dieu donne. Daniel, encore, dont le nom signifie « Dieu est juge », nous le montre. Par sa confession de la faute de son peuple, il se fait intercesseur, il se tourne vers Dieu non pas pour marchander ou pour réclamer son dû, mais pour demander pardon et solliciter la « compassion » de son Dieu sur son peuple : que le Dieu d’amour aime donc ces pécheurs qui sont ses enfants ! C’est un tel amour qui manifestera aux yeux de tous que Dieu est Dieu, et non pas la « juste » punition des pécheurs, que tout un chacun comprend comme une espèce de « justice immanente », une justice sans Dieu… C’était déjà l’argument de Moïse dans un texte qui était aussi proposé pour aujourd’hui, mais que je ne vous ai pas lu (Ex. 32 / 7-14), et cela aboutit à cette phrase théologiquement invraisemblable, typique du Dieu de la Bible : « Et l’Éternel regretta le malheur dont il avait déclaré qu’il frapperait son peuple. »

 

Quel est donc le bon positionnement afin que Dieu manifeste à notre égard sa fidélité à son propre amour pour nous, plutôt que de nous laisser à la conséquence de nos fautes et de notre péché ? Comment recevoir ce qu’il fait « à cause de son nom », « par amour pour [lui-même] », et non pas à cause de ce que nous faisons ou pas ? Quels que soient les personnages bibliques qui nous le montrent, c’est comme avec Daniel : c’est dans la prière ! Et cette prière en passe toujours par un rappel des œuvres de Dieu, des merveilles qu’il a accomplies. Pour nous, c’est donc dans la méditation des récits et textes bibliques, que nous trouvons de quoi nous souvenir, et de quoi lui faire souvenir – manière humaine de dire, bien sûr. Tout comme, nous préparant à célébrer la cène, nous rappelons à Dieu, nous nous rappelons devant Dieu, combien le don de son propre Fils s’est effectué à cause de notre péché non pour nous condamner mais pour nous en libérer.

 

Prière, donc, mais qui ne consiste pas en confession des péchés, puis demande de ce dont nous pensons avoir besoin, voire en cette seule demande. Ça, c’est notre prière naturelle et naturellement égocentrée, qui pense d’abord à nous-mêmes, nos proches, les causes auxquelles nous sommes sensibles. Toujours, « nous », « nos », quand ce n’est pas « je », « moi » … Retour à la religion sacrificielle, où on exige de Dieu, serait-ce de sa bonté, ce à quoi l’on estime avoir droit de par ce que « nous » sommes… Or la prière n’est pas, ne peut pas être, une œuvre méritoire. Elle ne peut pas servir à obtenir quoi que ce soit, ni services ni salut. Je vous l’ai montré, nous n’avons aucun moyen d’obtenir une autre justice que la condamnation de nos fautes. Or notre Dieu nous a bien fait savoir, en s’engageant lui-même tout entier, que ce n’est pas une telle justice qu’il veut nous manifester, mais son amour, seulement son amour – ce qu’il a fait dans le don de Jésus-Christ sur la croix.

 

La prière fidèle ne peut donc servir à obtenir. Elle ne peut être que la parole d’un enfant, d’un « pauvre et faible enfant » qui se tourne vers son père pour s’en remettre à lui, en reconnaissant combien il en a besoin. Accessoirement, comme le dit la lettre à Timothée, ce n’est pas, hommes ou femmes, en faisant assaut de force ou de charme qu’on obtient quoi que ce soit. L’humilité est de mise, non comme une astuce, mais parce qu’elle correspond à ce que nous sommes. Dieu nous veut devant lui tels que nous sommes, il ne veut pas que nous fassions semblant d’être autrement, d’être quelqu’un d’autre. Car c’est pour nous tels que nous sommes qu’il a donné sa vie, qu’il a donné son Fils. Pensons-nous que nous pouvons mériter ou obtenir quelque-chose ? Cela nous empêche, en fait, de le recevoir. Luther pensait que nos œuvres pour Dieu nous éloignaient de recevoir sa grâce. C’est bien ça. C’est seulement lorsque je sais que je ne mérite rien et que je ne puis rien, que je peux recevoir ce que le Père plein d’amour a prévu de me donner ; et ce qu’il me donne, c’est lui-même, c’est son Esprit, comme le disait Jésus.

 

De quoi donc ai-je besoin ? J’ai besoin de Dieu, de sa présence, de son action, j’ai besoin qu’il me manifeste que je suis son enfant, quelle que soit mon existence concrète avec ses réussites ou ses travers. Le lieu de le lui dire, c’est la prière, la prière « dans le nom » de Jésus (Jean 14 / 13-14), à sa place à lui, à la place d’enfant de Dieu, et non comme quémandeur. Daniel demandait : « pour l’amour du Seigneur, fais briller ta face sur ton sanctuaire dévasté ! » Ce « sanctuaire dévasté », c’est le Christ mort sur la croix, et Dieu l’a ressuscité, pour vous, pour moi. Comme l’écrivait l’apôtre Pierre, il a fait de nous les « pierres vivantes » de ce temple saint (1 Pi. 2 / 5), ou, pour le dire comme Paul, les « membres de son corps » (1 Cor. 12 / 27). Nous avons besoin de nous mettre en situation de vivre cela, dans la prière. D’ailleurs, sans prière, pouvons-nous recevoir la Parole de Dieu, que ce soit depuis la chaire ou depuis la table ? La prière n’est pas une technique, c’est une identité, celle de fils ou fille de Dieu. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  9 mai 2021

 

 

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