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Apocalypse de Jean 5 / 1-14
Partage
texte : Apocalypse de Jean, 5 / 1-14
premières lectures : Jérémie, 23 / 5-8 ; épître aux Romains, 13 / 8-12 ; Évangile selon Matthieu, 21 / 1-9
chants : 361 et 304 (Arc-en-ciel)
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« Qui est digne d’ouvrir le livre et d’en rompre les sceaux ? » Le livre est dans la main de Dieu, proposé, livré, offert. Mais aucune voix ne répond au messager, dans cette vision de Jean. « Qui est digne ? » Personne… C’est la grande illusion de notre temps que de croire et de faire croire qu’il y a des gens plus dignes que d’autres de faire ceci ou cela. C’est un humanisme que rien ne vient confirmer, mais qui se contente de s’autoproclamer, et le pire, c’est que tout le monde y croit. Mais la réalité résiste. La réalité économique, qui considère comme indignes les gens dont elle n’a pas ou plus besoin. La réalité sociale, qui nous montre les gens dignes d’être élus manifestement indignes de nos suffrages. Le mensonge culturel ambiant, qui déclare plus dignes que moi tous ceux qui ne me ressemblent pas. Etc. Jusqu’à la nouvelle traduction de la prière du Seigneur, qui déclare Dieu indigne de me tenter, au mépris de nombreux textes bibliques…
Mais c’est une autre tromperie que d’utiliser le mot « digne » sans complément. Personne n’est digne ou indigne si l’on ne sait pas de quoi on parle. La robe que je porte me déclare digne de prêcher dans tous les cultes de l’Église protestante unie de France. Le fait que vous avez franchi ce matin cette porte vous a rendu dignes de m’écouter et d’en penser ce que vous voulez. Ceux qui sont restés dehors en sont donc indignes, alors-même que ce sont des gens très bien, dont certains de notre Église qui sont en train de se décarcasser pour nous et pour que nos finances soient saines. Dignes, indignes, mais de quoi ? Personne n’est digne dans l’absolu, personne n’est indigne dans l’absolu, et trop souvent nous déclarons indignes de tout des gens qui ne sont pas dignes des mêmes choses, des mêmes responsabilités, des mêmes services, des mêmes avantages, des mêmes abandons. Le Christ a été jugé le « seul homme [digne de mourir] pour le peuple [afin] que la nation entière ne périsse pas », comme l’a prophétisé Caïphe (Jean 11 / 50). D’un tel sacrifice, je suis indigne, et vous aussi…
Dans la vision de Jean, il s’agit d’un livre. Si vous poursuivez la lecture, vous verrez qu’à l’ouverture des sceaux ce sont des choses fort désagréables pour la nature et l’humanité qui se produisent… Mais le livre peut également désigner le registre de ceux qui seront épargnés, et même à cause de qui un monde pourri sera détruit, ce monde qui les a rejetés. Et puis, ce peut également être la Bible… Les trois acceptions sont-elles d’ailleurs si différentes ? La Bible n’est-elle pas le livre de notre salut et en même temps de la condamnation du péché et de la mort ? N’est-elle pas « le rouleau du livre écrit pour moi » (Ps. 40 / 8 repris par Hébr. 10 / 7) ? Mais qui donc est « digne de l’ouvrir », de qui donc ce livre parle-t-il ? « Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais, les montagnes s’ébranleraient devant toi », déclarait le prophète (És. 64 / 1). Mais même les dieux à la puissance trop humaine, fantasmatique, les puissances du ciel et de la terre, ne sont pas dignes d’ouvrir le livre, il ne parle pas d’eux sinon pour les condamner, il n’est pas pour eux : que tous ceux qui « s’y croient » l’entendent et se repentent !
De tout temps, les croyants réalistes, qui ne mettaient pas leur espérance en eux-mêmes comme les incroyants, ont attendu quelqu’un qui fût digne de les guider enfin sur une voie sûre et droite, de les « conduire dans les sentiers de la justice » (Ps. 23 / 3) de la part du « bon berger » qu’est Dieu. Jérémie avait cru le trouver en la personne de Sédécias, oncle du roi détrôné par les Babyloniens, et dont le nom signifiait précisément « l’Éternel est [notre] justice » ! Mais il avait dû déchanter très vite… comme à chaque fois qu’on a investi un puissant ou un rebelle d’une telle attente ! En effet, comme Saint Paul le rappelle en citant l’Ancien Testament : « il n’y a pas de juste, pas même un seul ; nul n’est intelligent, nul ne cherche Dieu ; tous se sont égarés, ensemble ils sont pervertis, il n’en est aucun qui fasse le bien, pas même un seul. » (Rom. 3 / 10-12) Il ne faut donc pas s’étonner… Mais c’est d’une profonde tristesse. Et le Voyant de l’Apocalypse en est ému aux larmes : quel désespoir ! personne n’est digne de cette mission de salut !
Pourtant, la foi le proclame : « Vous savez en quel temps nous sommes : c’est l’heure de vous réveiller enfin du sommeil, car maintenant le salut est plus près de nous que lorsque nous avons cru. La nuit est avancée, le jour approche. Dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres, et revêtons les armes de la lumière. » L’Apôtre qui nous exhorte ainsi ne fait que redire l’attente des prophètes, l’attente de la venue du « Seigneur de gloire » (1 Cor. 2 / 8). Mais c’est une attente vigilante, bien sûr : on n’attend pas en dormant ! Quoique… « En vain vous levez-vous matin, vous couchez-vous tard, et mangez-vous le pain d’affliction ; il en donne autant à son bien-aimé pendant qu’il dort. » (Ps. 127 / 2) Mais Salomon, auteur de ce psaume, ne fut pas le « bien-aimé » en question, malgré son surnom signifiant cela. Un jour, une voix venue des cieux dira de Jésus : « celui-ci est mon fils bien-aimé. » (Matth. 3 / 17 et //) Le sommeil béni est donc le sien, pas le mien ni le vôtre, pas même celui de Salomon, autant indigne que vous et moi d’approcher « le temple qui [n’a pas été] fait de main d’homme » (Marc 14 / 58).
Dans notre veille alors, qu’attendons-nous, qu’espérons-nous ? Si nous attendons le Père Noël, permettez-moi de vous le dire, de vous le confirmer : nous avons tout faux ! Mais si nous avons cru à la promesse du prophète Zacharie : « voici que ton roi vient à toi », alors nous sommes heureux, quels que soient par ailleurs les malheurs de nos existences et la dégénérescence de ce monde qui est le nôtre. Nous sommes heureux, mais surpris. Car là où la voix d’un des Anciens annonçait « le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David », c’est « un agneau debout, qui semblait immolé », qui se tient là, au milieu, au milieu de notre attente, au milieu de l’attente de la rédemption du monde. L’insigne faiblesse, là où nous aurions aimé un déploiement de force, richesse et guérison, éternelle jeunesse. Mais lui est mort dans la fleur de l’âge, cloué sur un bout de bois. Il s’est rendu le plus indigne des humains, comme cela avait été prophétisé : « Il s’est élevé devant [l’Éternel] comme un rejeton, comme une racine qui sort d’une terre assoiffée ; il n’avait ni apparence, ni éclat pour que nous le regardions, et son aspect n’avait rien pour nous attirer. Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui devant qui l’on se voile la face, il était méprisé, nous ne l’avons pas considéré. » (És. 53 / 2-3)
Les « Hosanna ! » ont fait long feu. Ce sont peut-être les mêmes gens qui crieront « Crucifie-le ! » … (Jean 19 / 15) Le roi n’a pas été connu ni reconnu. Sauf par Dieu. Et par quelques-uns. En faites-vous partie, ou bien vous bercez-vous encore d’illusions humaines ou humanistes ? Il y a, au ciel, un culte qui en train de se dérouler ; êtes-vous sur terre, empêtrés dans les faux espoirs et le désespoir, ou bien êtes-vous dans ce ciel-là, à participer à la grande liturgie autour de « l’Agneau immolé » ? Il est le seul, le seul sauveur, le seul qui fut trouvé « digne de recevoir le livre et d’en ouvrir les sceaux », libérant ainsi la parole de résurrection et de salut, l’Évangile par lequel son sacrifice n’a pas été vain, mais au contraire, il nous a placés au bénéfice de sa croix, nous qui n’en étions pas dignes. Sa dignité a ouvert et permis la nôtre ! L’ouverture du livre a ouvert les portes de la mort, non pas pour qu’elle s’échappe, mais pour que nous nous échappions de ses rets.
La liturgie céleste nous interroge. Sommes-nous ici-bas, dans la vie quotidienne et politique, comme dans les fêtes de Saint Nicolas et de Noël, les bouches par lesquelles les voix des centaines de millions d’anges acclament un agneau immolé plutôt qu’une idole religieuse ou politique, voire commerciale ? La vision de Saint Jean nous rend participants de cette liturgie, elle inscrit nos noms dans le livre. Si nous ne confessons pas, de bouche et d’actes, c’est-à-dire d’amour, que seul l’Agneau peut ouvrir le livre, alors il restera scellé pour nous, et nous périrons, car de cela, oui, nous sommes dignes par nous-mêmes ! Ne nous retirons donc pas de ce culte céleste, vivons-le à chaque instant, afin que se vérifie dans nos vies la vision : « Toutes les créatures dans le ciel, sur la terre, sous la terre et sur la mer, et tout ce qui s’y trouve, je les entendis qui disaient : “À celui qui est assis sur le trône et à l’agneau, la louange, l’honneur, la gloire et le pouvoir aux siècles des siècles !” » Ne faites-vous donc pas partie, ne voulez-vous pas faire partie, de cette multitude ? Bien sûr que oui, sinon vous ne seriez pas ici ce matin. Alors proclamez et attendez ce roi paradoxal, en qui nous avons la victoire à jamais. Amen !
Saint-Dié – David Mitrani – 3 décembre 2017