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Apocalypse de Jean 3 / 7-13
Partage
texte :
Écris à l’ange de l’Église de Philadelphie :
« Voici ce que dit le Saint, le Véritable,
Celui qui a la clé de David,
Celui qui ouvre et personne ne fermera,
Celui qui ferme et personne n’ouvrira :
Je connais tes œuvres.
Voici : j’ai mis devant toi une porte ouverte que nul ne peut fermer, parce que tu as peu de puissance, que tu as gardé ma parole et que tu n’as pas renié mon Nom.
Voici : je te livrerai des gens de la synagogue de Satan, qui se disent Juifs et ne le sont pas, car ils mentent.
Voici : je les ferai venir se prosterner à tes pieds et reconnaître que je t’ai aimé.
Parce que tu as gardé la parole de la persévérance en moi, je te garderai moi aussi, de l’heure de l’épreuve qui va venir sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre. Je viens bientôt. Tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne. Du vainqueur, je ferai une colonne dans le temple de mon Dieu et il n’en sortira plus. J’écrirai sur lui le nom de mon Dieu et celui de la ville de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau.
Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises ! »
premières lectures : Ésaïe 63 / 15 – 64 / 3 ; Évangile selon Luc 21 / 25-33
chants : 31-10 et 31-29
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prédication :
« Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais… » Le prophète Ésaïe exprimait bien ce qui est la prière plus ou moins consciente des croyants. Prière inconsciente de tous ceux qui vivent mal dans ce monde, qui en subissent les maladies et les injustices, et qui ont hâte que ça s’arrête… Et prière consciente de ceux des chrétiens qui croient, qui savent, que ça va se passer, et qui espèrent la venue du Christ. « Votre délivrance approche », disait Jésus à ses disciples, vous et moi. « L’angoisse des nations » devant la fureur du monde est bien là, mais elle est là de tous temps… ! Qui dira le moment, qui saura lire les signes de manière non ambiguë ?
L’Apocalypse de Jean nous apporte une réponse originale, comme vous le savez, puisque c’est non seulement cette année le sujet de l’étude biblique du lundi à Saint-Dié, mais aussi ce dont nous avons parlé au dernier partage biblique ici-même. Alors, l’Apocalypse ? C’est avant toute chose une « révélation de Jésus-Christ », comme le dit son titre (Apoc. 1 / 1). Et c’est manifestement le cas de la lettre à l’Église de Philadelphie qui nous est proposée pour ce culte, écrite sous la dictée du Christ ressuscité. Cette petite lettre est incluse entre deux noms de villes : elle va de Philadelphie la bien-nommée, la « Fraternité », à « la nouvelle Jérusalem ». Ces deux noms situent donc notre propre existence, si nous recevons cette lettre-ci pour nous-mêmes : nous sommes une fraternité et nous attendons la cité céleste qui nous sera offerte. Nous ne pouvons recevoir le contenu de la lettre, la parole particulière du Christ vivant qu’elle contient pour nous, que si notre Église est réellement une fraternité, que si nous vivons l’amour fraternel entre nous et pour les autres.
Mais sans le Christ, cette fraternité est vide, et sans doute inefficace et mensongère, tissée d’intérêts égoïstes néanmoins ajustés à peu près les uns aux autres, et repliée sur elle-même. Car lui seul est saint et vrai, car lui seul vit la pleine communion avec le Père. Pensez-vous que votre vie soit sainte par vous-mêmes ? Moi je sais que non, quant à la mienne. Aussi mes propres paroles, comme ma propre existence, ne sont pas vraies : je suis encore aliéné de moi-même, et Christ seul peut me réunifier, me rendre vrai, et il ne peut le faire que lorsque je lui fais confiance, que lorsque je me laisse faire… Bref : nous n’y sommes pas encore ! Mais lui, oui ! Il a reçu tout pouvoir, même sur le péché et la mort – c’est ce que désigne « la clé de David ». Et son pouvoir est dit ici de manière originale, encore que l’évangile de Jean l’évoque aussi à propos de « la porte des brebis » (Jean 10 / 1-16). Le Christ est « celui qui ouvre et personne ne fermera, celui qui ferme et personne n’ouvrira… »
Comme il l’expliquait à Nicodème en reprenant l’image du serpent d’airain, par la vision duquel les Hébreux au désert étaient sauvés de la mort qu’ils méritaient après que les serpents mortels les eurent attaqués, le jugement n’est pas à venir, mais il est réalisé en Jésus, dans sa mort, son élévation sur la croix. Vous connaissez bien ces versets : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3 / 16-18) Là où mon péché me condamne et me fait mourir, la foi de Christ, inespérée, me sauve et me justifie.
Au vu du concret de notre existence, dont je vous ai rappelé qu’elle n’est ni sainte ni vraie sans Jésus, on peut se poser la question qui agita les théologiens avec raison : peut-on déchoir de la grâce ? Si les réponses du Nouveau Testament sont sans doute variées, celle de notre lettre de ce matin est claire, et elle est négative ! Ce que Christ a ouvert, c’est-à-dire la vie éternelle, personne ne peut la refermer, pas même moi par mes œuvres misérables, qui sont certes toujours mortifères, mais n’arrivent plus à être mortelles pour moi : leur puissance de mort est annihilée, niée. Car ce que Christ a fermé, c’est précisément la mort, les enfers. On pourrait le dire autrement : il les a ouverts pour qu’on en sorte, il les a fermés afin qu’on n’y retourne pas. La vie éternelle, le don de la grâce de Dieu en Christ, il ne le reprend pas. Auprès des Philadelphiens, il insiste là-dessus : la vie ouverte pour eux par sa résurrection, « nul ne peut [la] fermer ».
La manière dont il les définit est d’autant plus touchante que, quelque part, elle nous décrit aussi nous-mêmes : « tu as peu de puissance, tu as gardé ma parole et tu n’as pas renié mon Nom. » Le « peu de puissance » est un euphémisme… Notre faiblesse est patente, notre incapacité à grandir ou même à freiner notre chute, l’ignorance dont nous couvre la société, les affres dans lesquelles nous met le moindre dégât des eaux, etc. Sur tout ce que nous déplorons avec raison dans nos faiblesses devenues ordinaires, le Christ veut modifier notre regard, comme il l’avait dit déjà à l’apôtre Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. – Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. » (2 Cor. 12 / 9) Car pour le Christ, le principal n’est pas dans notre puissance ou notre faiblesse, mais dans le travail de sa grâce en nous : « tu as gardé ma parole et tu n’as pas renié mon nom », dit-il aux gens de Philadelphie.
Ne vous demandez pas si nous pouvons entendre cette parole pour notre petite Église : nous le pouvons ! Sinon, nous ne serions pas là à l’écouter. Ce n’est pas une parole de condamnation, ce n’est pas une condition qu’il nous faudrait mieux remplir. C’est une constatation. Nous sommes les gardiens d’une parole. Or une parole, qui n’est pas un objet matériel, ne peut se garder qu’en se prononçant, tout comme l’Évangile – qui est le nom de cette parole – est une « bonne annonce » et ne peut donc que s’annoncer ! Sans préjuger de ce qui se parle en d’autres lieux chrétiens, quant à nous nous annonçons cette parole, portes ouvertes, une fois par mois dans ce temple… et j’imagine bien que vous ne vous en taisez pas le reste du temps, en mots et en gestes, même s’il est difficile de la parler ouvertement dans notre monde – c’est notre « peu de puissance » !
De nombreuses personnes ont « renié le nom » de Jésus, tandis que tant d’autres ne le connaissent pas, et préfèrent être leur propre dieu, voire leur propre diable, à moins de s’en choisir un autre. Or « le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les humains, par lequel nous devions être sauvés », comme Pierre le déclara devant le Sanhédrin (Actes 4 / 12). Le Nom, c’est la personne. Renier le nom de Jésus, c’est le renier lui-même, c’est refuser de franchir la porte ouverte, préférant ses propres prisons à la libération qu’il apporte gratuitement. C’est tant pis. Mais le Seigneur félicite les chrétiens de Philadelphie de ne l’avoir justement pas fait, d’avoir franchi la porte et découvert la liberté définitive en lui.
Or quand une porte est ouverte elle est ouverte, et la suite du texte évoque les « gens de la synagogue de Satan » – et nous traduiront ce matin : « ceux qui se pensent chrétiens mais ne le sont pas vraiment ». On aurait pu penser qu’ils seraient condamnés, puisque condamnables… Eh bien non. Ils sont dans la même situation que les amis de Job à la fin de son livre. « Après que l’Éternel eut adressé ces paroles à Job, l’Éternel dit à Éliphaz de Témân : “Ma colère est enflammée contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n’avez point parlé de moi avec droiture comme mon serviteur Job. Prenez maintenant sept taureaux et sept béliers, allez auprès de mon serviteur Job et offrez pour vous un holocauste. Mon serviteur Job priera pour vous, et comme j’ai de la considération pour lui, je ne vous traiterai pas selon votre folie, car vous n’avez point parlé de moi avec droiture, comme l’a fait mon serviteur Job.” » (Job 42 / 7-8)
Vous le savez, les gens qui ne sont pas là depuis des années ont de la peine à oser revenir, par honte, timidité, crainte, ou je ne sais pas pour quelle autre raison. Mais ce n’est pas pour rien que nous sommes une Philadelphie : le Christ veut les réinscrire, les inscrire vraiment, dans la fraternité de ses frères et sœurs que nous sommes. L’Église n’est pas un club fermé, même si elle ne saurait être ouverte à tous les vents du monde. Mais elle l’est à tout homme, toute femme, qui veut s’approcher du Christ en venant avec nous. Car c’est lui qui nous envoie de nouveaux membres – c’est ainsi que nous les percevons, mais c’est faux : ils ne viennent pas à cause de notre persévérance, mais à cause de Jésus lui-même. Nous les accueillons donc sans jugement, car celui-ci ne nous appartient pas, et puis, après tout, ils sont comme nous…
Et pourtant Jésus loue notre persévérance ! Et c’est afin que nous poursuivions sans peur notre route, que nous continuions d’écouter et de dire sa parole de vie, cette parole dont le monde a besoin, et d’autant plus besoin qu’il se rend compte qu’il va mal. Les gens n’ont pas besoin de paroles trompeuses ou de programmes politiques auxquels plus personne ne fait confiance. Ils ont besoin de vivre, de recevoir la parole de vie – et qui donc peut la parler, la vivre, sinon nous autres ? « Tiens ferme ce que tu as », dit Jésus. Pas nos sous, nos bâtiments, notre santé, notre identité confessionnelle… Mais sa parole à lui ! Car, nous dit-il, « je viens bientôt ». La question pour nous n’est évidemment pas de nous décourager ! Mais elle n’est pas non plus de vouloir savoir quand il viendra. La seule question, c’est de tenir, c’est d’être fidèles dans la foi, l’espérance et l’amour. C’est de mériter notre nom de Philadelphie, avant de recevoir celui de Jérusalem, la « ville de la paix » qui ne peut venir que d’en-haut.
C’est par la promesse de notre Sauveur que nous pouvons donc « tenir ferme » non pas ce que nous sommes, mais ce que lui fait pour nous. C’est par sa promesse que nous persévérerons à « écouter ce que l’Esprit dit aux Églises » et en particulier à la nôtre, pour son présent d’aujourd’hui et son présent de demain, sans nous soucier d’un autre avenir que la venue du Seigneur de gloire. « La figure de ce monde passe », écrivait Paul (1 Cor. 7 / 31). Attachons-nous bien plutôt à la parole de Jésus-Christ qu’à cette figure qui déjà s’estompe par l’effet de la parole qui nous sauve. C’est dans la fraternité de Jésus que nous tenons ensemble et que nous accueillerons toute personne qu’il y adjoindra pour la gloire de son Nom, en attendant son Jour. Amen.
Senones – David Mitrani – 10 décembre 2023