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Apocalypse de Jean 1 / 9-20
Partage
texte : Apocalypse de Jean 1 / 9-20
premières lectures : Exode 3 / 1-14 ; deuxième épître aux Corinthiens 4 / 6-10
chants : 34-04 et 41-05
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L’Apocalypse est une révélation, c’est le sens de ce mot-titre. Et cette révélation de Jésus-Christ est transmise à Jean dans une vision. Nous venons d’entendre le début de la vision, la première révélation, la révélation centrale : non pas celle de « ce qui va se produire ensuite », mais celle de « ce qui est », « ce que [Jean] a vu » : Jésus-Christ lui-même. Avec les enfants ou les jeunes en catéchèse, il est toujours intéressant de leur demander de représenter, de dessiner, peindre, ce que Jean a vu dans ce chapitre, dans le texte de ce matin. C’est d’autant plus intéressant et « révélateur » – c’est le cas de le dire – que le livre de l’Apocalypse est comme une peinture ou une bande dessinée, puisque c’est une vision : des images ! Mais c’est difficile de représenter une vision : une vision qu’on a eue, comme Paul l’écrira aux Corinthiens (2 Cor. 12 / 1-5), ou une vision racontée par quelqu’un qui l’a eue… Alors je ne vais pas vous donner des feuilles de papier à dessin et des stylos feutre ou des pinceaux : nous ne serions pas bien installés pour ça ! Mais je vais essayer – c’est encore plus périlleux ! – de décrypter pour vous ce matin ce que Jean a vu dans sa prison de Patmos, et ce que nous pouvons voir, nous, à travers sa vision à lui.
La première chose que Jean nous raconte de la vision elle-même, c’est une voix, un bruit, derrière lui. Je ne sais pas si ça vous a frappé en réentendant ce texte tout à l’heure. Mais tant qu’à être dans une vision, autant qu’elle se déroule devant vous, non ? Pourquoi donc la voix se situe-t-elle derrière le visionnaire ? Serait-ce parce qu’il y a quelque chose à découvrir ? Oui, mais c’est la vision qui répond à cela : elle devrait être devant le visionnaire, pas derrière. D’ailleurs, quand Dieu vous parle, n’est-il pas devant vous, visible ? Euh… non, en fait. Il ne vient pas comme ça, ça ferait de lui une idole – ce mot qui veut dire « image » ! J’ai beau ouvrir de grands yeux, j’ai beau avoir une vision : la voix de Dieu n’est pas devant, mais derrière. Comme elle était cachée dans un buisson en feu au Sinaï pour Moïse. Comme elle s’est manifestée dans « le son subtil d’un silence » pour Élie le bouillant prophète (1 Rois 19 / 12-13). De même lire la Bible ne suffit pas : il y faut l’Esprit. Or cet Esprit est bien là, il a emporté Jean vers sa vision. Que manque-t-il alors ?
« Je me retournai pour apercevoir la voix qui me parlait », déclare Jean. Il faut donc « se retourner ». Lui qui avait tout, en quelque sorte : « la parole de Dieu et le témoignage de Jésus », et la persécution qui va avec, il a pourtant besoin, dans sa vision, de se retourner, de se détourner de ce qu’il a, de ce qu’il sait, « pour apercevoir la voix » ! Il y a là une saine exhortation, un nécessaire commandement, tout simplement une nécessité vitale dans toute relation avec qui que ce soit : je dois me détourner de ce que je crois, de ce que je sais, de l’image que j’ai de la personne, pour pouvoir découvrir une autre réalité, la vraie réalité de cette personne, une réalité que je ne peux pas posséder tant elle m’est étrangère, étrange… Et vous avez bien entendu combien est étrange celui que Jean va voir après s’être retourné, tout comme était étrange celui qui se tenait sur la même montagne que Pierre, Jacques et Jean quand il a été métamorphosé à leurs yeux (Matth. 17 / 1-9). Car c’est le même, bien sûr, c’est Jésus ! « C’est le Seigneur ! », comme le cria « le disciple que Jésus aimait » à Pierre lors d’une pêche miraculeuse guidée par un inconnu sur la plage (Jean 21 / 17), et Pierre, alors, se jeta à l’eau…
Je ne puis « apercevoir la voix qui me parle » que si je me défais de mes représentations. C’est vrai lorsque j’ai des représentations on va dire païennes, ou philosophiques. Mais c’est aussi vrai lorsque j’ai des représentations chrétiennes. Et les protestants n’en sont pas dispensés plus que d’autres ! Toutes nos représentations sont idolâtres, elles nous cachent Dieu, elles nous cachent Jésus-Christ, au lieu de nous le montrer, au lieu de nous le laisser entendre clairement. Il n’y a pas besoin d’avoir des statues pour ça. Nos paroles, nos pensées, nos valeurs, tout ce devant quoi nous devons mettre « notre » ou « nos », voilà ce qui nous cache le Christ véritable, voilà ce dont nous avons besoin de nous détourner pour nous tourner vers lui, lui-même, en personne. Job ne confessait pas autre chose, lorsqu’il faisait cette fameuse déclaration : « Je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’il se lèvera le dernier sur la terre après que ma peau aura été détruite ; moi-même en personne, je contemplerai Dieu, c’est lui que moi je contemplerai, que mes yeux verront, et non quelqu’un d’autre. » (Job 19 / 25-27) Lorsque je n’ai plus rien à moi, lorsque toute pensée sur Dieu et sur moi m’a quitté, alors nos réalités respectives nous seront dévoilées. « Alors, je connaîtrai comme j’ai été connu », comme l’écrivait Paul (1 Cor. 13 / 12).
La première chose que voit Jean après s’être ainsi retourné, ce sont les « sept chandeliers d’or », c’est-à-dire les Églises d’Asie à qui Jean va écrire sa vision. Les Églises, sept, toutes les Églises sont représentées par ces sept-là, les Églises de toutes les nations. Là encore, n’est-ce pas évident ? Si quelqu’un vous demande « fais-moi voir le Christ », que pouvez-vous dire d’autre que : « regarde l’Église » ?! Je ne vous dis pas ça de manière catholique, comme si je croyais l’Église infaillible et pure de tout péché. Mais je souligne notre responsabilité dans le témoignage évangélique : quelqu’un qui veut connaître notre Dieu ne peut que le chercher en nous regardant, en questionnant notre foi et notre pratique, à nous personnellement, et à nous communautairement. D’ailleurs, si vous allez relire les lettres aux sept Églises, qui constituent les chapitres 2 et 3 du livre, vous verrez qu’elles sont loin d’être irréprochables, c’est le moins qu’on puisse dire… Mais c’est aussi pour ça qu’elles sont exhortées à se réformer afin d’être plus transparentes à leur Seigneur qu’elles ne le sont.
Le Christ se révèle donc à Jean de manière doublement cachée : d’abord en n’étant pas clairement en face de lui, mais en créant pour Jean la nécessité qu’il se retourne ; et ensuite en n’étant pas la première chose qu’il voit, mais seulement la seconde, après les « chandeliers », les Églises ! Même dans une vision, il faut donc du discernement, il faut s’abstraire de soi, et s’abstraire de la réalité peu glorieuse de l’Église concrète. Mais non pas s’en abstraire pour en sortir, mais pour y discerner celui qui, alors, remplit tout l’écran : le Christ, le Chef de l’Église (cf. Éph.) Alors, alors seulement, quelle vision ! Les images en sont reprises du livre de Daniel : « L’Ancien des jours s’assit. Son vêtement était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête purs comme de la laine ; son trône était comme des flammes de feu, et les roues comme un feu ardent. […] Et voici que sur les nuées du ciel arriva comme un fils d’homme ; il s’avança vers l’Ancien des jours, et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, l’honneur et la royauté ; et tous les peuples, les nations et les hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas, et sa royauté ne sera jamais détruite. » (Dan. 7 / 9. 13-14) « Comme un fils d’homme », mais en même temps le Roi des siècles, et même Dieu lui-même, ainsi connoté par la blancheur et le feu.
Ces images solaires peuvent être terrifiantes, et d’ailleurs elles ont terrifié le Moyen-Âge occidental ! Jean en « tombe comme mort », car le soleil brûle et détruit celui qui s’en approche trop près… La vieille peur des Hébreux d’être trop près de Dieu… Mais non. Le « sois sans crainte » de Jésus à Jean ouvre la Bonne nouvelle, celle de la victoire sur la mort, la sienne et la nôtre, car les « sept étoiles » sont dans sa main droite, celle du pouvoir, et ce « sont les anges des sept Églises ». Les Églises, malgré leurs imperfections, leurs défauts plus ou moins énormes, ne risquent donc rien. C’est notre mort qui a été vaincue, c’est le Christ qui en détient les clefs, et ce n’est pas juste pour faire joli, c’est parce qu’il s’en sert. Rappelez-vous toutes ces peintures sur lesquelles on voit les tombeaux ouverts, comme au jour de la mort de Jésus : « Le voile du Temple se déchira en deux du haut en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui étaient décédés ressuscitèrent. Ils sortirent des tombeaux, entrèrent dans la ville sainte après la résurrection et apparurent à un grand nombre de personnes. » (Matth. 27 / 51-53) Ces ressuscités, c’est vous et moi, ce sont nos Églises aussi.
Jean a écrit ce qu’il a vu, pour l’édification des Églises confiées à son apostolat, et pour la nôtre. Il a dessiné l’indicible, il nous a montré à la fois le Seigneur dans la gloire de sa seigneurie, et en même temps tout ce qui à la fois le cache et le révèle : nos théologies et nos piétés, nos Églises, nous-mêmes… Comme il va le faire dans les deux chapitres suivants, Église par Église, il nous invite à faire le ménage. Mais ce n’est pas pour que tout soit propre et en ordre pour quand le Seigneur viendra… C’est au contraire parce qu’il est déjà là, mais qu’il est caché aux yeux de tous, y compris aux nôtres, tant que la maison est dans cet état-là ! C’est comme si le visionnaire nous voyait, nous, et voulait nous révéler le Christ non pas dans les nuages, mais chez nous, dans notre vie, dans nos relations, dans notre petite communauté, dans l’Église qui est dans nos vallées quel que soit le nom qu’elle se donne. Car Jean ne s’adresse pas à l’Église réformée, à la mennonite, à la pentecôtiste, à la catholique, mais à l’Église au singulier qui est à tel endroit.
Jean nous invite, comme tout l’Évangile, à voir le Seigneur véritable dans la pauvre humanité de celui qui est mort sur la croix, tout comme aujourd’hui dans la « pauvrette Église », comme disait Luther. Il n’y a pas un faux Christ qui a souffert et qui est mort, et un vrai qui est ressuscité et glorieux mais que nous ne pouvons voir qu’en vision mystique. Non, il n’y a qu’un seul Jésus-Christ, mort et ressuscité, dont par l’Esprit nous pouvons discerner la gloire non pas malgré son humanité mais dans son humanité ; nous pouvons discerner sa résurrection non pas malgré sa mort mais dans sa mort. Il est « l’étoile brillante du matin » (Apoc. 22 / 16) « le soleil levant qui nous a visités d’en-haut » (Luc 1 / 78). Mais l’élément le plus important dans l’image, c’est que « de sa bouche sortait une épée aiguë à deux tranchants. » C’est la parole, la parole de Dieu : « car la parole de Dieu est vivante et efficace, plus acérée qu’aucune épée à double tranchant ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle est juge des sentiments et des pensées du cœur. » (Hébr. 4 / 12)
Cette parole est celle que, par l’Esprit, vous entendez et voyez ce matin, à travers le langage imagé de Jean, à travers la pauvre interprétation de votre serviteur. Retournez-vous pour voir cette parole qui vous est adressée à vous personnellement et qui est le Christ Jésus lui-même. C’est la parole de votre salut, c’est la parole dont vous avez à témoigner, car c’est la parole du salut du monde entier. Pauvre et glorieuse, cachée et éclatante, écrasée et victorieuse. Elle est donc cachée en vous, elle est « dans ta bouche et dans ton cœur », disait Moïse (Rom. 10 / 8 citant Deut. 30 / 14). Laissez-la resplendir et vous verrez, et le monde verra, ce que Jean a vu et dépeint : la victoire du Christ en vous et dans le monde. Amen.
Senones – David Mitrani – 2 février 2020