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Amos 5 / 20-25
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texte :
Le jour de l’Éternel n’est-il pas ténèbres et non lumière ?
N’est-il pas obscur et sans éclat ?
Je hais, je méprise vos fêtes,
Je ne puis sentir vos cérémonies.
Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes,
Je n’y prends aucun plaisir ;
Vos sacrifices de communion et les veaux gras,
Je ne les regarde pas.
Éloigne de moi le bruit de tes cantiques,
Je n’écoute pas le son de tes luths,
Mais que le droit coule comme de l’eau,
Et la justice comme un torrent intarissable.
M’avez-vous fait des sacrifices et des offrandes
Pendant les quarante années du désert, maison d’Israël ?
premières lectures : Première épître aux Corinthiens 13 / 1-13 ; Évangile selon Marc 8 / 29-38
chants : 43-04 et 45-03
prédication :
Comme tous les prophètes, Amos annonce un « Jour de l’Éternel » non pas faste, mais néfaste. Pire : un « Jour de l’Éternel » « obscur et sans éclat », là où tous les croyants attendaient une manifestation glorieuse, une épiphanie divine non ambiguë et visible d’un bout du monde à l’autre. En fait, lorsque nous attendons, c’est bien cela que nous attendons ! Mais voici un truc pas top, pas intéressant, le contraire de ce qu’on attend, le contraire de ce dont on a besoin… Nous, on veut quelque chose qui fasse du bruit, une ambiance de fête, qui donne envie à tout le monde de nous rejoindre. On veut que Dieu remplisse notre Église et élimine définitivement les méchants. En fait, on veut le pouvoir, comme les disciples de Jésus eux-mêmes en parlaient en chemin et se le répartissaient d’avance, quelques versets plus loin (Marc 9 / 34-37). C’est sans doute pour ça que Pierre ne veut pas entendre Jésus parler de rejet et de mort…
Nos fêtes manifestent ce que nous sommes et ce que nous espérons. Nos cultes aussi : nous sonnons les cloches, nous chantons des cantiques au son de nos orgues. Nous organisons de nombreux repas afin que tout le monde se sente bien… et sache combien nous sommes accueillants ! Tout ceci est bel et bon, et je suis le premier à fonctionner ainsi. Ne regrettez donc rien ! Le risque, c’est que ceci nous brouille l’esprit et noie la nécessité de notre témoignage évangélique. Car faisant ainsi, nous nous rendons témoignage à nous-mêmes devant la cité et devant Dieu. Mais nous ne rendons pas témoignage à Jésus-Christ… Alors, où est l’erreur ? Dieu condamnerait-il les cultes, les repas communautaires et les fêtes, comme semble le dire Amos ? Mais Jésus a fréquenté les uns et les autres ! Donc ce n’est pas ça. Pourquoi alors Amos nous dit-il ce que nous avons entendu tout à l’heure ?
La première raison, il nous la dit lui-même de la part de Dieu, et l’apôtre Paul confirme tout à fait : « si je n’ai pas l’amour, je suis du bronze qui résonne ou une cymbale qui retentit, […] je ne suis rien, […] cela ne me sert de rien. » Amos, lui, parlait de « droit » et de « justice », manière plus sociale de dire la même chose. En fait, Dieu n’a pas besoin qu’on lui « rende culte », expression qui convient bien pour d’autres religions. Il attend que notre manière d’être renvoie les gens qui nous regardent non pas à nos qualités, mais à ce qu’il est, lui. Que notre vie et notre Église soient des reflets de lui, pas de nos attentes et de nos célébrations cultuelles ou festives. Or lui est un Dieu qui aime, et qui, à cause de ça, aime aussi le droit et la justice, manifestations de son amour pour les petites gens.
Qu’à cela ne tienne ! Sa manifestation, son « Jour », sera donc la victoire de son amour qu’il établira lui-même directement partout au milieu des chants de joie et de louange et des bruits de la fête ! Nous retombons sur nos pattes et nous nous justifions, sans que pour autant nos œuvres et nos cultes soient des manifestations d’amour. Bien souvent le devoir y tient une bonne place. Or on n’aime pas par devoir, c’est antinomique… Bien souvent nos relations entre nous ne sont pas basées sur l’amour, et parfois elles en sont très loin. Nos manifestations de solidarité ressortissent aussi du devoir, et nous en attendons de la reconnaissance : ainsi elles nous servent à nous, ou devraient le permettre. Or elles ne sont pas faites pour ça : rappelez-vous le « Bon Samaritain » qui, lui, n’attendait rien en retour de son aide au blessé du chemin (Luc 10 / 25-37). Ainsi, entre Amos et Paul, nos œuvres sont révoquées en doute : adorons-nous Dieu ou bien nous-mêmes à travers notre religion dans ses différents aspects ?
Autre manière de le dire : quel Dieu adorons-nous, quel Dieu attendons-nous ? Le texte de l’évangéliste Marc nous montre Jésus annonçant son échec à vues humaines, et il devra l’annoncer plusieurs fois encore dans le même évangile, et jusqu’au bout ses disciples refuseront cette idée. Car pour eux, pour nous, pour tout le monde, c’est à nous de faire des choses pour Dieu, c’est à nous de nous sacrifier – serait-ce par nos devoirs religieux et communautaires, nos offrandes d’argent, de temps et de prière, etc. Laissez donc retentir en vous la dernière phrase de notre extrait du prophète Amos : « M’avez-vous fait des sacrifices et des offrandes pendant les quarante années du désert, maison d’Israël ? » Il nous faut donc revenir à ce que Dieu a fait pour nous, retourner dans « l’histoire de ses bienfaits passés », comme le chante un de nos cantiques (Alléluia n° 36-19).
Que pouvons-nous alors constater, chacun d’entre nous, à travers toute la diversité de nos expériences spirituelles et des bienfaits que Dieu nous a accordés pendant notre existence jusqu’à ce jour-ci ? Dieu a-t-il attendu que nous fassions des choses pour lui ? Dieu a-t-il calculé la longueur de nos prières ou le temps que nous avons passé au service de son Église ? Dieu a-t-il agi en fonction de la prédication de votre serviteur ou du succès de nos repas communautaires ? Mais constatons aussi : Dieu a-t-il fait sonner les cloches ou les trompettes pour signifier qu’il agissait ? A-t-il convoqué la presse ? La réponse à toutes ces questions est négative. « Dieu nous a aimés le premier », comme l’écrivait Jean (1 Jean 4 / 19). Dieu a libéré son peuple de l’esclavage, c’est même ainsi qu’il se présentait lui-même en tête des « Dix paroles » : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclaves. » (Ex. 20 / 2) Il l’a mené vers la Terre promise à travers le désert, où son peuple n’a pas été fidèle, loin de là, mais sans cesse rebelle, refusant de le suivre et se mettant à adorer d’autres dieux.
On peut donc comprendre le texte d’Amos non pas comme un rejet du culte en tant que tel, mais comme un rejet de ce qui le fonde : l’idée que nous devons offrir quelque chose à Dieu pour qu’il nous paie en retour avec les bienfaits que nous lui demandons. La religion comme échange marchand ! C’est comme ça depuis le Paléolithique. Mais la religion biblique s’y refuse, malgré quelques apparences. Non seulement parce qu’elle consiste en une pratique, et une pratique d’amour et de liberté, et non pas en sacrifices. Mais aussi parce que, comme Amos le laisse entendre et comme Jésus l’affirme, parce que si sacrifice il y a, alors c’est Dieu qui l’offre, pas nous ! Et si quelqu’un est au bénéfice de ce sacrifice, gratuitement, ce n’est pas Dieu, mais nous. Dieu n’a pas besoin de nous. Mais Dieu nous aime, c’est sa pratique à lui qui fonde notre religion : en son Fils il s’est sacrifié pour que nous ayons la vie, la plénitude de vie, ici et maintenant et pour l’éternité.
Or ce sacrifice a été « obscur et sans éclat », comme disait Amos, « ténèbres et non lumière ». Comme l’amour. Étrange coïncidence que, cette année, le Carême que fêtent catholiques et luthériens, et parfois nous aussi, commence le jour de la Saint-Valentin ! Clin d’œil du calendrier 2024… Le temps où nous faisons mémoire de la mort du Christ qui nous rachète du péché commence par la célébration parfaitement laïque de l’amour conjugal. Ce parallèle se retrouve dans l’épître de Paul aux Éphésiens, vous le savez bien – autrefois on lisait ce passage à tous les mariages : « Maris, aimez votre femme, comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle », etc. (Éph. 5 / 25) La mort obscure du Christ révèle la lumière de l’amour de Dieu pour nous. « Le Jour de l’Éternel » n’est donc pas une épiphanie monstrueuse à espérer ni à redouter. Mais il est pleinement visible par la foi, dans l’obscurité de la croix de Jésus-Christ.
À son image notre religion se doit d’être obscure, cachée : elle se vit dans le secret, comme Jésus le déclare selon l’évangéliste Matthieu : « Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les humains, pour en être vus, autrement vous n’aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. Quand donc tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être glorifiés par les humains. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais quand tu fais l’aumône, que ta gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône se fasse en secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour se montrer aux humains. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais toi quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est dans le secret, et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » (Matth. 6 / 1-6)
N’en est-il pas de même de l’amour, qui se vit dans le secret et qui pourtant illumine les êtres et les cœurs ? La société d’aujourd’hui l’a oublié, qui est exhibitionniste, et avec la publicité de l’amour elle a oublié l’amour. Personne ne peut être témoin de ce qui se vit dans l’intimité, sauf à tuer l’intimité. Personne n’a assisté à la résurrection de Jésus, mais lui s’est montré vivant à plusieurs et la foi est née de ces rencontres (cf. 1 Cor. 15 / 3-10). Et pour nous, même si nous ne savons pas en parler, il s’est passé la même chose : une rencontre intime entre nous et le Ressuscité, par laquelle notre croyance s’est transformée en confiance, notre attente en action de grâces, nos errements en certitude, etc. Après, nos pratiques religieuses et morales, notre culte, notre vie d’Église, nos discours et nos actes, nos solidarités, entre nous ou avec d’autres, essaient simplement d’en rendre témoignage.
Si notre vie et notre foi se vivent sur le mode sacrificiel, sur ce que nous devons à Dieu, alors nous sommes totalement à côté de l’Évangile, et en plus nous ne pouvons que nous abîmer dans la culpabilité. Or « le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rom. 6 / 23) Rien de ce que nous pouvons faire n’enlèvera notre péché : seule la mort du Christ a opéré ce miracle de réconciliation entre Dieu et chacun de nous. Il nous faut donc apprendre à vivre, individuellement et communautairement, en personnes qui avons reçu ce « don gratuit » et qui le laissons irriguer nos existences et notre Église dans son culte, ses fêtes, ses solidarités, son témoignage. Dieu n’agrée pas nos sacrifices. Mais nous, nous agréons le sien dans le secret de notre foi, et nous lui en rendons grâces par notre vie, nos chants, nos louanges, notre souci de ceux qu’il met sur notre route, et plein d’autres choses et d’autres moments. C’est bien ainsi que nous attestons qu’à lui seul est la gloire, et non point à qui que ce soit d’autre, pas même à nous ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 11 février 2024