Actes des Apôtres 3 / 1-10

 

texte :  Actes des Apôtres 3 / 1-10

premières lectures :  Ésaïe 29 / 17-24 ; Évangile selon Marc 7 / 31-37

chants :  31-30 et 45-24

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« Les protestants ne croient pas aux miracles. » Il paraît… Je l’entends dire souvent. Est-ce vrai ? Croyez-vous aux miracles, vous ? – « B’en, je ne sais pas trop, voilà, et puis, qu’en pense notre pasteur ? » Mauvaise réponse ! La question, c’est toujours de décider avec quelles lunettes nous lisons la Bible. Si je chausse les lunettes du rationalisme, si j’élimine comme légendaire ou même simplement mythique, symbolique, ce qui n’est pas rationnel, alors bien sûr il n’y a pas de miracle. Mais il n’y a pas de Dieu non plus, dans ce cas-là. Ceci dit, on peut souvent trouver une explication rationnelle ou psychologique à certains miracles – mais pas à tous… Quand c’est le cas, faut-il que ça leur enlève leur sens premier ? Car si je chausse des lunettes plus protestantes, plus évangéliques, c’est bien le sens premier qui importe, quelles que soient les explications rationnelles qui, certes, peuvent expliquer en partie l’origine ou le déroulement du récit, mais pas son sens. Or le sens premier d’un miracle, c’est que c’est un miracle, c’est un acte qui va à l’encontre de ce que les gens attendent ou pensent raisonnable ou scientifique, et dont l’auteur est Dieu lui-même, par un de ses serviteurs ou autrement.

 

Alors, bien sûr, je crois aux miracles. Je ne les attends pas, comprenez-moi bien. Attendre des miracles à cause d’une pensée magique ou bien parce qu’on croit qu’ils nous sont dus, ce n’est plus la foi chrétienne telle que nous, nous l’entendons. Ordinairement il n’y a pas de miracles. Notre Dieu ne s’est pas donné comme rôle d’intervenir à tout bout de champ dans le monde qu’il a créé, ce qui ne l’empêche pas de le protéger bien au-delà de ce que nous pouvons en voir autour de nous ou dans nos vies elles-mêmes. Comme Abraham le disait à son fils en montant vers Moriya : « Dieu pourvoira » (Gen. 22 / 8). Mais Dieu ne pourvoit pas à la vie du monde et de l’humanité, ni à la mienne propre, à la manière dont vous et moi nous le ferions. Ses critères ne sont pas les nôtres : « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées », dit Dieu (És. 55 / 9). Lorsque « Dieu [s’est pourvu] lui-même de l’agneau pour [le sacrifice] », il a donné son Fils à lui. Tel est le seul vrai grand miracle qui donne sens à tout le reste, à tous les miracles et à tout ce qui n’en est pas : j’ai été racheté du péché par la mort de ce Fils et j’ai reçu la vie par sa résurrection ; et vous aussi. Il n’y a pas de texte biblique qui ne parle pas de ceci, il n’y a pas de miracle qui ne renvoie pas à celui-ci.

 

Regardons alors ce qui se passe ce jour-là à la « Belle Porte », qui est sans doute la « double porte » qui servait d’entrée principale pour le public. Car le lieu n’est pas anodin : c’est le Temple de Jérusalem – comme le texte le répète à l’envi – le Temple unique du Dieu unique, là où tous les Juifs du monde pouvaient se rendre. Pour un Juif de cette époque, c’est le centre du monde. N’imaginez pas un lieu fermé : c’est une colline, avec des espaces de plus en plus restreints jusqu’au bâtiment sacré qui n’en est qu’une petite partie. Tout le monde pouvait accéder à l’esplanade, puis seuls les Juifs pouvaient franchir le mur, puis seuls les hommes pouvaient approcher du bâtiment où seuls les prêtres pouvaient offrir les sacrifices, et seul le grand-prêtre entrait jusqu’au fond du bâtiment une fois par an. « L’homme boiteux de naissance » n’avait assurément pas accès au temple, même dans son acception la plus large. Son handicap le rendait impur, inapte à s’approcher de Dieu. Pas d’autre possibilité pour lui que de mendier là où passait le plus de monde, sans entrer lui-même. Sa position, sa vie, est un non-miracle permanent, et ce depuis toujours. Il est condamné à rester toujours à côté…

 

Le miracle est unique, non reproductible. Il y avait sans doute de nombreux éclopés de toute sorte à cette porte ! Il n’est pas écrit que Pierre et Jean les ont tous relevés. Tout comme un jour, en Décapole païenne, il n’est pas écrit que Jésus a rendu la parole à tous les sourds du pays. Rendu la parole. Oui, ces miracles sont des histoires de parole(s). À la « Belle Porte » du Temple ce jour-là, il y a eu un échange de paroles. Oh, je ne compte pas la « demande d’aumône » comme une parole. Il devait seulement tendre la main ou sa sébile quand les gens passaient. C’est la parole des apôtres invitant le boiteux à échanger un regard qui ouvre et permet ce qui va se passer. La saisie du regard permet l’écoute. Quand on ne voit pas celui qui parle, on l’écoute moins bien. Pourquoi croyez-vous que le pasteur prêche en chaire ?! « Regardez-moi » … ! « Regarde-nous ! » Mais ce contact n’est pas encore le miracle. Ici l’homme n’est ni aveugle ni sourd ; il est boiteux et donc exclu. Les yeux et les oreilles peuvent donc être sollicités. Pour lui donner de l’argent ou de bons conseils, il n’y aurait pas eu besoin. Les bons conseils plaisent à ceux qui les donnent, ils n’ont pas besoin d’être écoutés !

 

Ici il se passe autre chose. Pierre et Jean sont des chrétiens : ils se tiennent « dans le nom de Jésus Christ le Nazôréen ». Voilà ce qu’ils vont communiquer à cet homme. D’aucuns diraient qu’ils sont dans leur bulle. Oui, peut-être. Mais une bulle dans laquelle on est debout, debout parce qu’on a été relevé par Dieu du péché et de la mort, et sans doute aussi de tas d’autres choses qui en ressortissent et qui empoisonnent la vie et les relations. En fait, « dans le nom de Jésus Christ » on y est comme miraculé, même si c’est de miracles invisibles ou qui ne remettent rien en cause de la nature et de la science. Encore faut-il s’y tenir. C’est le lieu de la foi. C’est-à-dire c’est le lieu où recevoir la grâce de Dieu pour en vivre, et c’est le lieu de la prière exaucée. Oui, c’est une bulle, mais une bulle où l’on trouve la « source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle » (Jean 4 / 14). Bulle de vie au sein d’un monde de mort. Mais pas une bulle étanche : c’est une bulle rayonnante ! Et c’est bien ce à quoi nous assistons : le « nom de Jésus Christ » atteint cet homme et le transforme. Et cela s’opère à travers la parole et le geste de deux chrétiens.

 

Deux chrétiens : deux personnes qui ne doutent pas que ce nom sera efficace pour le boiteux, puisqu’il a été efficace pour eux. Deux personnes qui osent le dire, qui osent parler ce nom, qui osent dire cette absurdité : « Marche ! » à quelqu’un qui en est incapable depuis toujours. Moi je n’oserais pas. Par timidité ? Par peur du ridicule ? Par manque de foi ? Un peu tout ça, sans doute. C’est l’autre raison pour laquelle le pasteur prêche depuis la chaire : elle le protège ! Là je peux dire… Mais c’est un mauvais exemple pour vous… Regardez donc plutôt Pierre et Jean, qu’ils vous servent d’exemple, eux ; et d’abord faites ce qu’ils disent, prenez-le pour vous si vous en avez besoin : « Marchez ! » Mais à la parole est conjoint le geste. Au baptême on est retiré de l’eau. Lors de la cène on est nourri. Eh bien ici Pierre saisit le boiteux par la main. Vous ne vous rendez pas compte de la portée de ce geste. Dans le baptême le ministre se mouille tout comme il mouille le baptisé. Dans la cène le ministre communie tout comme les autres fidèles. Eh bien Pierre, touchant un impur, se rend impur lui aussi, impur selon la Loi juive. Et dans l’autre sens, il fait pénétrer le boiteux dans la bulle sainte, « dans le nom de Jésus Christ le Nazôréen ».

 

C’est comme si ce « nom » était le nouveau Temple, le lieu de la présence véritable de Dieu. Le boiteux était bien à la porte du Temple, mais pas du bon ! Le Temple de pierre sera bientôt détruit, il n’a pas été reconstruit depuis… L’ex-boiteux y entre joyeusement, mais pas pour la prière rituelle, ni pour le sacrifice qu’il n’a sans doute pas les moyens de payer de toute façon. Il entre joyeusement en louant Dieu, tout comme avaient fait les participants de la marche des Rameaux (Luc 19 / 37-38) ou les enfants qui suivaient Jésus dans le Temple (Matth. 21 / 15-16), et en « sautant », profitant de la nouvelle liberté de ses jambes restaurées. Car non seulement ses jambes ont été restaurées, mais tout son être. Il ne sera plus jamais « le boiteux de la Belle Porte », même s’il le restera aux yeux des gens qui n’auront rien compris, rien admis, rien changé… Malgré eux, sans eux, il a pénétré dans le temple qui n’a pas été « fait par la main de l’homme ». Il marche « dans le nom de Jésus Christ », debout et même sautant, joyeux et priant, louant Dieu non plus dans la religion, mais dans la relation qui a tout changé pour lui.

 

Ne lisez pas ce récit de manière scientifique ni humaniste. Non, le fait d’être gentil et généreux ne relève pas les gens qui sont à terre. Pas vraiment. Pas définitivement. C’est la parole de la grâce qui relève et guérit. C’est « le nom de Jésus ». Pas Pierre ni Jean, pas vous ni moi ni aucune Entraide ou action sociale. Pierre et Jean sont utiles et même indispensables dans cette histoire, peut-être vous et moi aussi parfois, et sûrement notre Entraide tout comme l’assistance sociale. Mais je vous l’ai dit, le miracle ne réside pas là. « À l’instant, ses pieds et ses chevilles devinrent fermes », nous dit l’évangéliste. Il y a une action qui n’est pas celle de Pierre ni du boiteux. Les mots de Pierre ont dit le sens, la louange de l’homme témoigne qu’il l’a reçu. L’acteur du miracle, c’est Dieu, dans la personne de Jésus-Christ. Pourquoi Dieu a-t-il fait ça pour cet homme particulier ? Vous savez, les humains font souvent le mal pour un plus grand bien… qui n’arrive jamais, d’ailleurs ! Dieu, lui, il fait le bien pour un plus grand bien dont la possibilité est ainsi ouverte.

 

Ici, ce que notre extrait ne dit pas, mais que confirment les versets suivants, c’est que l’étonnement de la foule suite à l’apparition incongrue de l’homme guéri va permettre aux deux apôtres de parler, de parler encore, d’annoncer l’Évangile aux gens qui seront là, sous le « portique de Salomon » … et cela va même permettre à Pierre et Jean de passer leur première nuit en prison puis le matin au tribunal, où ils parleront encore de Jésus. En grec, le mot « témoignage » se dit « μαρτυρια », et voici que, pour la première fois, le témoignage chrétien relève effectivement du martyre. Vous n’allez pas aimer les miracles, avec ce que je vous fait lire dans ce récit ! Le miracle qui a relevé un homme a entraîné le martyre des chrétiens qui en avaient été le moyen. Ils n’en sont pas morts, pas encore. Mais le témoignage du « nom de Jésus » dans un monde qui le rejette fait toujours passer les témoins pour des malades ou des agitateurs, voire les deux. Mais bien sûr pas pour ceux qui acceptent ce témoignage, qui sont « relevés » « dans le nom de Jésus Christ » : eux, vous, moi, chantons les louanges « de celui qui [nous] a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1 Pi. 2 / 9) C’est ça qui compte !

 

Je reprends mon image de tout à l’heure : nous sommes rentrés dans la bulle parce que nous y avons été tirés par Dieu et souvent par des gens bien concrets, et désormais notre mission, notre seule mission, est d’en tirer d’autres, de les aider à réaliser que Dieu lui-même les relève, les guérit, les sauve. Si cela doit les faire entrer même en sautant dans ce temple-ci, merci à Dieu. Mais ce n’est pas le but ! Le but, c’est que d’autres gens rencontrent Jésus-Christ comme nous-mêmes l’avons rencontré et le rencontrons encore, de manière particulière pour chacun de nous. Impossible de dire comment Dieu rencontrera qui en Jésus-Christ. Ce n’est que modérément notre problème. Nous, nous sommes des « communicants » : nous avons à parler de ce qui nous fait vivre, de celui qui nous fait vivre, et témoigner auprès d’eux qu’il peut aussi en faire vivre d’autres. Qu’il peut et veut en relever d’autres. Pierre, quelques pages plus loin, « [reconnaîtra] que Dieu ne fait point acception de personnes. » (Actes 10 / 34). Vous qui avez peut-être été le boiteux et qui avez été relevés, vous êtes désormais « Pierre et Jean ensemble ». « Dans le nom de Jésus » et sur la route de tous les temples voués à disparaître, là où il y a des gens qui attendent. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  8 septembre 2019

 

 

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