Actes des Apôtres 17 / 22-34

 

texte :  Actes des Apôtres 17 / 22-34

premières lectures :  Genèse 1 / 1-4a. 26-28. 31a ; 2 / 1-4a ; Évangile selon Jean 15 / 1-8

chants :  41-29 et 36-10

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Dieu est-il créateur ? Ne vous choquez pas, ce n’est pas une question impie ! J’ai connu des gens qui avaient refermé la Bible dès la première page lue, parce qu’ils avaient constaté l’opposition totale entre ce premier chapitre et les données de la science. Or ces données ne sont pas récentes, même si aujourd’hui on comprend beaucoup mieux comment les choses se sont passées ! Raison de plus pour rejeter non seulement ce chapitre, mais toute la Bible ? Les gens en question ne voulaient simplement pas considérer que ledit chapitre n’avait aucune vocation scientifique, ce qu’une étude de texte un peu sérieuse constaterait d’emblée. Mais alors, si Dieu n’est pas la cause scientifiquement reconnue de l’univers tel que la science l’étudie, quel est le contenu de l’affirmation selon laquelle il est Créateur ? D’ailleurs, un certain nombre de théologiens, de Luther à Kierkegaard et jusqu’aujourd’hui pour parler des protestants, ont plus insisté sur Dieu comme Sauveur et sur le caractère existentiel de notre « connaissance » de Dieu – connaissance à laquelle il faut mettre des guillemets, bien sûr…

 

Faut-il dès lors continuer à parler de Dieu comme Créateur – car c’est bien de notre discours sur lui qu’il s’agit, et non de sa réalité inconnaissable en dehors de Jésus ? L’apôtre Paul s’y est essayé, auprès de gens qui ne fréquentaient pas la Bible. Donc non pas des théologiens en débat, comme le judaïsme les encouragera, ou comme le christianisme en aura aussi presque malgré lui… Mais des gens habitués à la philosophie, souvent avides de nouvelles idées. Paul a tablé sur cette attente, comme vous l’avez entendu. Il a voulu parler du « dieu inconnu » auquel un autel était dédié. C’est déjà intéressant. Il n’a pas fait comme d’autres tenteront ensuite, tout au long de l’histoire de l’Église et de l’évangélisation. Il n’est pas parti de Zeus ou de Cronos, dieux puissants et créateurs, pour dire que le sien leur ressemblait. D’ailleurs valait-il mieux : ces divinités-là étaient des gens peu recommandables ! Le Jupiter latin s’y prêtait-il mieux, lui dont le nom signifie « le Ciel père » ? Ou alors le Thor germanique, dieu puissant à la foudre (malgré les films de « l’univers Marvel » qui en ont fait n’importe quoi…), ou Odin / Wotan, « père de tout » et garant des lois et des contrats ? Je ne citerai pas les divinités indiennes, ma connaissance des religions du monde est quand même un peu limitée ! Mais je sais que là-bas aussi des essais de syncrétisme ont eu lieu dans ce sens…

 

Tout au long de l’histoire, vous disais-je, le discours chrétien adressé à d’autres a eu cette tendance à s’appuyer sur les croyances de ces autres gens. Prendra-t-on aujourd’hui le dieu des musulmans, Allah ? J’ai bien entendu des chrétiens évangéliques comparer son caractère souverain et le fait qu’il avait adressé sa parole aux humains comme un parallèle avec le Dieu biblique. C’est la même chose qu’avec les paganismes. S’ils ont le même dieu que nous, pourquoi embêter les gens pour qu’ils en changent pour l’identique ou presque ? « Nous avons tous le même dieu », disent ceux qui ne croient en aucun… Et si nous n’avons pas le même, c’est-à-dire si leur image de Dieu n’est pas la bonne, pourquoi se baser sur cette image fallacieuse de Dieu pour parler de lui ? Comment donc l’apôtre Paul s’y est-il pris, sans grand succès semble-t-il d’ailleurs ?

 

Le démarrage était bon. Un « dieu inconnu » plutôt qu’un dieu trop connu, trop ambivalent voire ambigu, plutôt qu’une théologie non biblique… Or que disait la théologie biblique, c’est-à-dire vétéro-testamentaire ? Exactement ce que Paul développe devant l’Aréopage d’Athènes. Dieu est extérieur au monde, il a créé ce monde, il n’en est pas l’un des habitants, pas même dans un temple qui le relierait à lui. Son aspect de créateur se manifeste dans le don surabondant de la vie à chacun et à chaque peuple afin que l’humanité soit à sa place sur toute la terre. Paul développe aussi le pendant de cette théologie biblique en ce qui concerne le paganisme : Dieu n’est pas adorable sous forme de créations humaines qui ne sont qu’idoles nées de « l’imagination des humains ». On retrouve là les critiques acerbes d’Ésaïe et d’autres. Or ces critiques ne semblent pas viser ses auditeurs : il y a longtemps que les philosophes et les tragiques grecs ont abandonné le culte des statues… Ce n’est pas ça qui va les faire fuir. Jusque-là, le discours de Paul leur a plutôt plu, semble-t-il, puisqu’ils sont toujours là à l’écouter…

 

La seconde partie du discours va être plus problématique, même si elle commence par une citation des auteurs classiques ! C’est que ce Dieu qui, à la différence des dieux de tous les polythéismes et de tous les animismes, est extérieur au monde, ce Dieu a partie liée avec les humains, au point de pouvoir dire, à rebours de toute la première démonstration, que « nous sommes aussi de sa race » ! Et comment ce lien va-t-il se manifester (car c’est bien un futur, donc quelque chose qui n’a pas encore été vu) ? Dans l’appel à la repentance en vue du jugement, « par un homme qu’il a désigné ». Jusque-là on reste bien les pieds sur terre, si j’ose dire ! On reste bien fidèle aussi à l’Ancien Testament, et un autre Juif tout autant ouvert à l’hellénisme que Paul aurait pu tenir exactement le même discours en pensant à Abraham, à Moïse, à Ésaïe, à Simon le Juste, etc. On reste donc loin de la religion ou de la philosophie grecques, on reste bien fidèle aux Écritures, mais dans un langage et des images que les auditeurs de Paul peuvent comprendre et admettre.

 

C’est seulement la dernière phrase, que Paul voulait peut-être poursuivre, qui va déclencher à la fois la rigolade et la débandade de l’Aréopage. Parler de résurrection des morts, scandale à de multiples titres ! D’abord les Grecs croient généralement à l’immortalité de l’âme, la résurrection n’a donc aucun sens pour eux. Et ceux qui ne croient pas à ça sont athées et considèrent comme les premiers que le corps se détruit irrémédiablement. Bref, pour les uns et les autres, il est absurde d’envisager qu’un être humain revienne d’entre les morts autrement que comme un fantôme, une apparition. Soit dit en passant, vous comprenez pourquoi les évangélistes insistent autant sur le fait que Jésus ressuscité n’est pas un fantôme, une illusion, mais bien une personne avec un corps, la même personne que ses disciples avaient connue, avec un corps à la fois identique et différent, mais réel. Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul tentera d’expliquer de manière imagée en quoi le corps d’un ressuscité est autre qu’un corps mortel.

 

Car Jésus n’est pas un héros grec, il n’est pas un homme divinisé. Il y en a beaucoup d’exemples dans la mythologie grecque, ça n’aurait pas choqué, ça aurait seulement enrichi cette mythologie avec un exemple supplémentaire ! Dieu a remis le jugement à un homme mort, il s’est manifesté comme créateur dans un échec qu’il a dû rattraper ! Ce Dieu n’est pas crédible aux oreilles des Grecs ! Ce Dieu n’est pas crédible aux oreilles des gens… L’expérience de Paul à Athènes est conforme à celle que nous aussi, nous pouvons faire aujourd’hui dès que nous tentons de parler du Dieu de Jésus-Christ à quelqu’un qui ne le connaît pas. L’apologétique traditionnelle catholique ou évangélique se trompe en parlant de Dieu créateur, en tâchant d’harmoniser le premier chapitre de la Genèse avec la science moderne : certes cela peut arriver à convaincre. Mais dès qu’on aborde le salut en Jésus-Christ, c’est-à-dire non pas son enseignement, mais sa mort réelle et sa réelle résurrection des morts, comme le font plutôt l’apologétique revivaliste ou pentecôtiste et nos cantiques du XIXe siècle, ça ne va plus. L’éventuel accord sur la création s’effondre, on se rend compte qu’on ne parle pas de la même chose, qu’on ne parle pas du divin de la même façon.

 

Alors oui, Dieu est créateur. Mais la seule manière dont je puisse le savoir, c’est à travers la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts. Celui qui a pu redonner la vie, et une vie nouvelle et éternelle, à un homme mort, ne peut être que le « Créateur des mondes » (cf. Hébr. 1 / 2). C’est ce que Jésus, au début de son ministère, a manifesté dans la guérison du paralytique : « Qu’est-ce qui est plus facile, de dire “Tes péchés te sont pardonnés”, ou de dire “Lève-toi et marche” ? » (Matth. 9 / 5) Le salut et la manifestation de la puissance créatrice sont liés. Ainsi la puissance créatrice de Dieu se manifeste au croyant, en Jésus, comme une puissance recréatrice. Il n’est donc pas possible de penser ou de dire Dieu Créateur en-dehors de la résurrection de Jésus. Croire au Dieu créateur sans croire la résurrection de Jésus est de l’idolâtrie. Croire la résurrection de Jésus sans croire au Dieu créateur est de l’animisme. La science n’a rien à voir avec ça, mais ma foi et ma propre résurrection, oui !

 

Car l’étape suivante – rappelez-vous : « nous sommes de sa race » ! – c’est que cette puissance recréatrice de Dieu à travers la résurrection de Jésus agit aussi dans ceux qui sont ressuscités avec lui, qui le sont certes en espérance, mais aussi dès maintenant par le baptême et l’action du Saint-Esprit en nous. Le fruit que produit l’Esprit, dont Paul parle à plusieurs reprises dans ses lettres, c’est la mise en œuvre de la puissance créatrice de Dieu dans nos vies et à travers elles dans le monde. Et c’est bien celle de Dieu et non la nôtre. Sommes-nous capables de ressusciter les morts ? Non. Sommes-nous capables de chasser les démons ? Non. Sommes-nous seulement capables de nous sauver nous-mêmes ? Non. Là où cela se produit, là où quelqu’un qui était perdu est sauvé, là où quelqu’un qui était possédé, aliéné, est libéré et reconstruit, là où quelqu’un qui était mort revit en nouveauté de vie au lieu de simplement commencer un nouvel épisode mortifère de la même existence, alors oui, c’est l’œuvre de Dieu. Même si vous et moi pouvons en être les agents et les témoins. Mais « à Dieu seul la gloire ! » car lui seul agit ainsi.

 

De la même manière enfin, c’est lui qui agit lorsque le témoignage chrétien est reçu en dépit des oppositions, en dépit de la raison, en dépit même de l’indignité des témoins. C’est ce qui s’est passé sur l’Aréopage : Denys, Damaris et d’autres « s’attachèrent à [Paul] et crurent… » C’est ce qui s’est peut-être déjà passé sous vos yeux ou à votre connaissance : que quelqu’un qui entend l’Évangile, par votre intermédiaire ou autre, « croie ». Nous qui sommes aussi rationalistes que les adversaires de la foi, nous en sommes toujours étonnés. Oui, Dieu est capable de faire « naître de nouveau » (Jean 3 / 3-7) des hommes et des femmes de tout âge. Oui, Dieu est capable de faire de chacun de nous une « créature nouvelle » en Jésus-Christ, et de nous faire porter des fruits impossibles. Dieu est capable de rendre l’impossible possible, ou bien il n’est pas Dieu, il n’est qu’une illusion. Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts, ou bien il n’existe pas, et alors ce sont soit les athées soit les païens qui ont raison. Dieu est donc capable de me recréer, de me faire revivre comme l’un de ses enfants, moi qui ne suis que péché devant lui. Dieu est même capable de me faire pasteur – il l’a fait ! –, de me faire porteur de sa parole au milieu de vous…

 

Oui, Dieu est créateur, et le premier chapitre de la Bible a bien raison de l’affirmer, même si c’est à travers un poème qui glorifie la Torah et le shabbat. Dieu est créateur : la preuve ? Il a ressuscité Jésus. La preuve qu’il a ressuscité Jésus ? Il l’a fait renaître aussi en nous par son Esprit. En lui, nous avons la vie nouvelle, nous sommes déjà ressuscités, et nous aspirons à ce que notre résurrection et celle du monde deviennent totales et manifestes, et que tout ce qui n’est pas à Dieu, en nous et dans le monde, disparaisse ! En attendant, portons-en déjà les fruits, par notre fidélité, notre témoignage, nos paroles et nos gestes d’amour. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  25 avril 2021

 

 

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