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Actes des Apôtres 16 / 9-15
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texte : Actes des Apôtres, 16 / 9-15
premières lectures : Ésaïe, 55 / 6-13 ; épître aux Hébreux, 4 / 12-13 ; Évangile selon Luc, 8 / 4-8
chants : 22-07 et 46-05
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« Paroles, paroles… », ainsi chantait Dalida lorsque j’étais plus jeune… Et avant-hier, je réécoutais le disque de Jean-Jacques Goldman (Chansons pour les pieds, 2011) sur lequel il y a cette chanson : « C’est pas vrai », dans laquelle il dénonce toutes les contre-vérités qui peuplent les lieux communs de nos conversations et de nos échanges. Et puis, ne dit-on pas, à la suite du poète latin Horace, que « les paroles s’envolent, les écrits restent » ? Société de l’écrit, des contrats et actes notariés, où l’on peut dire tout et n’importe quoi tant qu’on ne l’écrit pas, insulter les gens sans même se rappeler le sens originel, souvent sexuel, des mots lancés ainsi à la figure, tout comme on peut dire « je t’aime » sans même comprendre ce à quoi l’amour engage… D’aucuns appellent même « parole de Dieu » les textes de la Bible, comme si Dieu ne parlait pas, mais s’était contenté d’écrire il y a entre 2.000 et 3.000 ans !
Or Dieu parle, et « la parole de Dieu est vivante et efficace », comme l’écrivait l’auteur de l’épître aux Hébreux. Dieu parle et donc cette parole est forcément adressée, sinon ce n’est pas une parole, c’est du discours – et justement notre société confond les deux. Dieu parle dans certaines circonstances à certaines gens, il dit certaines choses qui ne sont pas forcément valables pour tous ni en tout temps, il en dit d’autres à d’autres gens ailleurs et à d’autres moments. Car Dieu est une vraie personne, c’est un semeur qui sème sur tous les terrains, et la nature – la nature des gens qui l’entendent – en est changée… Le texte biblique est objectif, inchangeable, immuable – en un mot : canonique ! Mais la parole de Dieu, elle, sa bonne nouvelle en Jésus-Christ, elle est dite à chacun selon ce qu’il peut entendre dans les circonstances de vie qui sont les siennes, en fonction du projet de Dieu pour lui, concrètement.
C’est d’ailleurs pour ça qu’on ne peut pas être chrétien sur sa lancée, ayant reçu une fois pour toutes une parole de démarrage qu’on va étirer pendant toute son existence. Dit-on la même chose à un enfant, à un ado, à un adulte en capacité de travailler ou d’organiser sa vie – fût-il à la retraite – ou à un vieillard ? Évidemment pas. Ceux qui arguent de ce qu’ils ont entendu à l’école biblique étant enfants, pour ne plus croire aujourd’hui, sont intellectuellement malhonnêtes. Mais ceux qui en restent, dans leur croyance, à ce qu’ils ont entendu alors, sont intellectuellement attardés ! Ceci dit sans vouloir vexer personne, mais en respectant la liberté de Dieu de s’adresser à chacun, vous et moi, à tout moment de notre existence. C’est aussi pour cela qu’on a intérêt et avantage à lire et relire la Bible, à écouter des prédications et à partager nos propres lectures bibliques entre nous, etc. Dieu nous parle à travers la Bible, mais ça ne signifie pas qu’il se répète !
Bien sûr, Paul, pharisien, connaissait les Écritures : la Torah, les Prophètes, les Psaumes et autres écrits, et même les Traditions des Pères que les Pharisiens, un peu plus tard, inscriront dans la Mishna. Il connaissait les Écritures sans doute par cœur, mais cela n’a pas empêché Dieu de lui parler, ni d’ailleurs à Lydie qui les connaissait aussi. Ce à quoi le livre des Actes des Apôtres nous fait assister, c’est même à un dialogue à plusieurs… L’auteur raconte même à la première personne du pluriel, ce qui pour nous signifie que ce que nous pouvons entendre à travers cette histoire ne nous concerne pas seulement comme individus, mais aussi comme communauté, comme Église. Celle-ci est peut-être le lieu approprié pour savoir si c’est bien le Dieu de la Bible qui nous parle en-dehors d’elle, ou si ce ne sont que nos fantasmes et nos propres projets…
Ainsi, si c’est Paul qui a eu sa vision, c’est bien la communauté qui y a discerné une vocation divine, un appel de Dieu à faire quelque chose de particulier. D’autant que « le Saint-Esprit », « l’Esprit de Jésus » – comme dit le texte (Actes 16 / 6.7) – les avait empêchés de se rendre là où ils avaient prévu. Le même Esprit leur a parlé maintenant positivement, à travers la vision de Paul : c’est en Macédoine qu’il les attend, et non plus en Asie ou en Bithynie – l’actuelle Turquie qui était leur lieu ordinaire de mission. Il est à noter que l’équipe missionnaire autour de Paul ne tergiverse pas ou plus : puisque la destination est désormais claire – tous les autres chemins ayant été condamnés ! – il n’y a plus qu’à y aller. Notez bien que ce n’est pas forcément ce que nous faisons ! Outre les adeptes de la procrastination, comme votre serviteur trop souvent, nous savons nous boucher efficacement les oreilles, ou argumenter sur le pourquoi du comment nous n’allons pas faire ce que nous savons pourtant que nous devons faire…
C’est pourtant Dieu qui parle, la moindre des choses serait d’écouter puis de réaliser dans le concret de nos projets et de nos vies… C’est en tout cas ce que font Paul et ses compagnons : ils se rendent dans la capitale de la province où ils ont été appelés. Mais pendant les premiers jours, nous ne savons rien de ce qu’ils font… Nous les voyons seulement lors du premier shabbat, se rendant à l’endroit le plus vraisemblable pour y trouver une communauté juive rassemblée – en l’occurrence uniquement des femmes, semble-t-il… Et là, ils parlent. Certes, c’est l’office des missionnaires que d’annoncer l’Évangile. Mais ça aussi, nous l’avions un peu oublié. Nous nous sommes réfugiés dans le silence, ou dans les bonnes œuvres, ou dans la contemplation de notre propre passé. Nous gérons le protestantisme local et national, nous tâchons d’être bien vus des autres, mais nous ne parlons plus guère… Notre Église n’est plus missionnaire depuis longtemps ; serait-elle devenue démissionnaire… ?
C’est qu’elle ne compterait plus alors que sur ses propres forces, et la réalité oblige à constater qu’elles sont bien petites. Le texte nous montre autre chose : des gens qui font confiance au Saint-Esprit, une fois certes que tous les autres projets se sont avérés irréalisables à cause de lui… Ils se laissent donc porter par lui, mais non pas pour dormir : pour être disponibles à ses projets à lui. Et dans tout ce livre, il nous est montré que les projets du Saint-Esprit relèvent toujours du témoignage rendu à Jésus-Christ. L’Esprit qu’on peut alors appeler « l’Esprit de Jésus » fait parler les chrétiens. Il ne les fait pas parler des valeurs du monde, des espoirs du monde, des indignations du monde. Il les fait parler de Jésus – sinon, pourquoi Lydie aurait-elle été baptisée en conséquence de leur parole ? Arrivés dans une ville grecque, une colonie romaine, ils se sont rendus au lieu de la prière juive, mais c’est une païenne, certes sympathisante juive, qui les a écoutés. La conversion de cette femme s’y est jouée à trois partenaires : Paul et ses compagnons, Lydie, et « le Seigneur [qui] lui ouvrit le cœur pour qu’elle s’attache à ce que disait Paul. »
Dans ce dialogue, la parole est centrale. C’est par une parole que tout a démarré – sans même remonter à la conversion de Paul, mais dans notre petit récit lui-même : la parole reçue dans la vision du Macédonien, et reconnue comme une parole de Dieu envoyant en mission. Puis vient l’obéissance, qui entraîne à son tour une parole, puisque on ne vient bien au secours des gens qu’en leur parlant de Jésus, en mots et en gestes bien sûr, mais donc aussi en mots… Les gestes viendront dans les versets suivants et concerneront et convertiront d’autres gens… Pour le moment, c’est la prédication de Paul qui sert d’outil au Seigneur, c’est ce Seigneur qui agit pour que cette prédication soit efficace et rencontre vraiment Lydie. La prédication ne nous est pas citée. On peut juste se rappeler ce que Paul lui-même en écrivait aux chrétiens de Corinthe : « Les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse : nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, Christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. » (1 Cor. 1 / 22-25)
Dire que la parole est centrale, c’est dire et confesser que c’est la parole de Dieu qui est centrale, c’est-à-dire la personne-même de « [Jésus-]Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. » C’est lui que Lydie a rencontré à l’occasion de la prédication de Paul, rencontre qui s’est manifestée dans le sacrement, à savoir ici le baptême. Le prédicateur n’est rien, le missionnaire n’est rien, l’Église n’est rien : des « moyens extérieurs dont Dieu se sert », disait Calvin (Institution chrétienne, titre du Livre IV) ; des « serviteurs inutiles, [qui] avons fait ce que nous devions faire. » (Luc 17 / 10) Encore faut-il le faire… Seulement permettre une rencontre, seulement permettre que d’autres fassent la même rencontre que nous avons faite nous-mêmes il y a plus ou moins longtemps. Mais cela nous lie à ces autres, cela fait de nous des frères et sœurs. Est-ce cela qui nous embête : nous ne voulons pas être liés ? Lydie y insiste lourdement, en obligeant les apôtres à s’installer chez elle… Ce faisant, elle permet la suite de la mission, elle permet aux missionnaires de rester dans Philippes, d’y entendre la pythonisse renvoyer les gens à leur parole, de la libérer de son esprit de divination, d’aller en prison, d’y chanter les louanges de Dieu, de faire éclater la prison, d’y rencontrer et convertir le geôlier, d’apprendre qu’ils devaient quitter la ville et poursuivre… (Ac. 16 / 16-40)
Parole de Dieu qui donne la parole aux chrétiens, qui en fait des missionnaires, puis qui donne la parole aux convertis qui deviennent à leur tour agents de la mission. Parole de Dieu qui oblige et qui porte, parole d’un Dieu qui « donne ce qu’il ordonne », selon Saint Augustin. Il suffit de le laisser faire, c’est-à-dire d’obéir à sa parole, d’aller où il dit, de ne pas aller où il dit de ne pas aller, de témoigner sans choisir nous-mêmes les destinataires : c’est lui qui choisit ! Vous le savez bien : les Actes des Apôtres sont d’abord les actes du Saint-Esprit ! Mais ce n’est pas l’histoire de l’Église d’il y a 2.000 ans, c’est la nôtre, si nous sommes toujours l’Église. Nous sommes dans la situation de Paul et de ses compagnons, à devoir marcher sans trop savoir où ni pour quoi faire, mais avec la conviction que c’est Dieu qui guide et que notre mission est de témoigner de Jésus-Christ, notre Sauveur juif, sauveur pour tous ceux et celles qui croiront en lui, Juifs ou Grecs, hommes ou femmes, esclaves ou maîtres (cf. Gal. 3 / 28). Notre mission, c’est que ce soit par notre intermédiaire, par notre parole, que ces hommes et ces femmes rencontrent leur Seigneur et Sauveur. C’est la mission de notre Église. Sinon, qui fera ? Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 24 février 2019