Évangile selon Matthieu 24 / 3b-4a ; 25 / 14-30

 

texte :

Les disciples vinrent en privé dire [à Jésus] : « Dis-nous quand cela arrivera-t-il et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde. » Jésus leur répondit :

« […] Il en sera comme d’un homme qui en partant pour un voyage appela ses serviteurs, et leur confia ses biens. Il donna cinq talents à l’un, deux à l’autre, et un au troisième, à chacun selon sa capacité et il partit en voyage. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla, les fit valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu les deux talents en gagna deux autres. Celui qui n’en avait reçu qu’un alla faire un trou dans la terre et cacha l’argent de son maître. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et leur fit rendre compte. Celui qui avait reçu les cinq talents s’approcha en apportant cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’avais confié cinq talents ; voici cinq autres que j’ai gagnés”. Son maître lui dit : “Bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître”. Celui qui avait reçu les deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’avais confié deux talents, en voici deux autres que j’ai gagnés”. Son maître lui dit : “Bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître”. Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha ensuite et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n’as pas semé, et qui récoltes où tu n’as pas répandu ; j’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre : voici : prends ce qui est à toi”. Son maître lui répondit : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je récolte où je n’ai pas répandu ; il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j’aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt.” “Ôtez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.” […] »

 

première lecture :  Jérémie 1 / 4-10

chant :  56-04

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prédication :

 

Chers amis, je ne voudrais que vous pensiez qu’avec le récit de la vocation de Jérémie, j’ai prophétisé ce matin que Jules deviendrait pasteur ou prophète ! Je n’en sais rien. Peut-être deviendra-t-il plutôt champion de kick-boxing, ou sûrement tout autre chose ?! Une chose est sûre, c’est que, comme pour Jérémie, Dieu a depuis toujours un projet pour lui, et qu’il lui adressera son appel à travers la méditation de la Bible qui sera la sienne, éclairé par ses parents, son parrain, sa marraine, et l’Église qui l’y guidera elle aussi. Peut-être entendra-t-il cet appel aujourd’hui, ou peut-être dans 10 ans ou dans 20 ans, ou peut-être bien plus tard… Vous, chacun de vous, à quel âge et comment avez-vous entendu cet appel… ? Ou alors, « dis-nous quand cela arrivera-t-il ? »

 

Posant cette question à Jésus, ses disciples n’étaient pas tant préoccupés de leur vocation que de la fin du monde, préoccupation vaine s’il en est : personne n’a la réponse, ni quant à la date, ni quant à la manière ! Jésus répond par des images et des histoires. C’est l’une d’elles qui nous est proposée pour ce culte. Et ne pensez pas que Jules est le seul concerné : nous le sommes tous. Bien sûr, Dieu n’a pas donné à chacun une telle quantité d’argent – car les « talents » étaient de l’argent, et une grosse somme, en tout cas à mes yeux. Un « talent », c’est l’équivalent de 20 ans de travail payés au SMIC ! Le mot a changé de sens justement à cause de cette histoire que Jésus raconte. Il ne répond pas sur la fin du monde, mais sur ce qui nous concerne, nous, aujourd’hui, pour notre vie dans ce monde, dans cette existence-ci. Car souvent les craintes ou les espoirs liés à la fin du monde sont un prétexte pour fuir la réalité quotidienne. Or c’est elle qui compte, n’est-ce pas ?

 

Une première chose à retenir, c’est que « l’homme » de cette parabole est parti, il n’est pas ici, « il a confié ses biens » à ses serviteurs, « à chacun selon sa capacité ». Le temps de cette absence du « patron », c’est le temps de la liberté des serviteurs pour accomplir leur service. Après, il sera trop tard ! Quelle est la capacité de Jules à accomplir un certain service ? À lui de le découvrir, auprès de Dieu et avec son aide ; et c’est peut-être lorsqu’il recevra sa mission qu’il comprendra qu’il en sera capable, plutôt que de se poser des questions dans le vide. Nous sommes dans le temps de cette absence de celui qui nous a « confié ses biens », nous sommes dans le temps qui nous a été offert pour accomplir notre service, notre mission, chacun d’entre nous, et peut-être aussi nous tous ensemble en tant qu’Église chrétienne. Que chacun donc comprenne, si ce n’est déjà fait, à quoi Dieu l’a appelé, dans sa vie affective, familiale, professionnelle, sociale, associative, etc., et aussi ecclésiale. Qu’ai-je reçu, qu’avez-vous reçu, comme « bien » appartenant à Dieu, et qu’il nous a confié ? Ce n’est pas du tout forcément religieux : Dieu est Seigneur du monde, et de toute notre vie !

 

Dans la petite histoire, dans laquelle aucun des serviteurs n’est au-dessus ou au-dessous d’un autre, mais où ils ont reçu différentes sommes selon ce qu’ils pouvaient faire d’après leur patron, deux attitudes sont montrées. La première attitude consiste à faire confiance à la fois au jugement du patron et à sa propre capacité à accomplir soi-même le service demandé. La seconde attitude consiste à avoir peur et à ne rien faire. Car le « talent » est de l’argent, je vous l’ai dit, et dans la Bible l’argent est fait pour servir, pas pour être enterré à l’abri. D’avoir reçu x « talents », le service consiste à les faire travailler. Celui qui a peur n’accomplit aucun service, il garde l’argent comme si c’était, je ne sais pas, un tableau ou une œuvre d’art – encore que de tels cadeaux se montrent pour le plaisir de tous, ils ne se cachent pas ! Mais les serviteurs n’ont pas reçu de cadeaux, ils ont reçu des services à accomplir !

 

Ceux d’entre vous qui, comme les parents de Jules, sont engagés dans la vie associative, font bien la différence entre les deux. Il y a ce que j’ai reçu et dont je me sers pour moi, comme de gagner des championnats ! et il y a ce que j’ai reçu pour les autres et dont je me sers pour eux, comme d’organiser des championnats ! L’apôtre Paul utilise parfois des images sportives pour parler de la vie chrétienne, de la foi à vivre dans cette existence… Imagine-t-on un boulanger ne faire du pain que pour lui-même ? Imagine-t-on un politicien ne faire des lois que pour se protéger lui-même ? Imagine-t-on un chrétien sachant méditer les Écritures bibliques s’en contenter pour lui-même ? Ces pratiques seraient absurdes, n’est-ce pas ? Le boulanger fait du pain pour les autres, tel est la vocation qu’il a reçue, le talent qu’il fait fructifier. L’homme d’État gouverne pour le bien public et pour protéger « l’immigrant, l’orphelin et la veuve », comme disaient la Bible et les anciens serments des dirigeants chrétiens. Le chrétien au fait des Écritures s’en sert selon ce verset : « Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour redresser, pour éduquer dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit adapté et préparé à toute bonne œuvre. » (2 Tim. 3 / 16-17) Bref, chaque vocation est un service pour les autres.

 

Pour que ça marche, il faut se garder de chercher en soi-même, dans ses propres forces, voire dans sa propre imagination, ce à quoi nous sommes appelés et qu’il faut mettre en œuvre. Le patron n’a pas dit : « toi qui as un talent à la banque, fais-le fructifier et donne-moi les intérêts » ! Non. Ce sont « ses biens » qu’il « confie » à ses serviteurs, ses biens à lui. C’est lui qui donne à la fois la vocation et le « talent », qui est le moyen de l’accomplir. Tout comme, quand j’étais enfant, mes parents me donnaient de quoi aller acheter du pain, et j’y allais bien sûr… et il arrivait même qu’ils me laissent la monnaie pour moi ! Mais c’était après, c’était un plus ; ce n’est pas pour moi que j’y allais, mais pour la famille, comme un service pour lequel j’avais reçu non pas un salaire, mais le moyen de le faire. Si des parents aimants font ainsi, à plus forte raison notre Dieu qui nous aime ô combien plus !

 

La question qui m’est posée est celle-ci : est-ce que je fais ce pour quoi il m’a donné et la vocation et les moyens – car « Dieu donne ce qu’il ordonne », disait Saint Augustin – ou bien est-ce que « j’ai eu peur », comme répond le troisième serviteur, et donc je n’ai pas fait… ? « L’abondance » offerte à celui qui fait est une conséquence évidente : un patron est plus enclin à demander de nouveaux services à quelqu’un qui les accomplit avec profit, qu’à celui qui attend que ça se passe ; et d’autre part celui qui rend de tels services s’y trouve de mieux en mieux, avec de plus en plus de facilité et de confiance, puisque, comme on dit, « le mouvement se prouve en marchant ». Bon, je ne vous dis pas qu’une entreprise capitaliste fonctionne toujours ainsi, je vous dis ce qu’il en est quand on est au service du Dieu qui nous appelle à agir pour l’utilité commune.

 

Je me demanderai donc qu’est-ce que Dieu me donne qui puisse servir à lui-même et aux autres ; et comment, avec la force qu’il me donne, je peux mettre en œuvre ce service… afin qu’il serve ! Rien ne dit que ce soit une seule fois, ni le même toute ma vie. J’imagine bien que Sylia ou Bastien n’auront pas la même réponse pour aujourd’hui là où ils sont que leur arrière-grand-mère a pu avoir pendant toute sa vie ! N’est-ce pas, Éliane ? Le talent reçu sert à chacun, pas à tous de la même manière. Car Dieu demande et donne à chacun, rappelez-vous, à chacun et non pas la même chose à tout le monde, comme s’il n’était qu’un livre écrit une fois pour toutes. Non : la Bible est un livre écrit une fois pour toutes. Mais le Dieu qui nous parle à travers ses pages anciennes est un Dieu vivant aujourd’hui, et il a quelque chose de particulier à dire à chacun chaque jour. Écoutez-le !

 

Mais laisser le Livre fermé, se boucher le cœur et les oreilles à ce que Dieu peut dire, donner et ordonner, vivre dans la peur de Dieu, de soi et des autres, dans la peur du passé, du présent et de l’avenir, voilà où sont « les pleurs et les grincements de dents » dénoncés par Jésus. Ce n’est pas ce qui nous est promis. Ce qui nous est promis est dans ce qui nous est demandé : la confiance, « l’abondance », « la joie de [notre] maître » … Comptez bien les « talents » qui vous ont été confiés, comprenez l’immense valeur qu’ils représentent si vous vous en servez, et la bêtise insigne qu’il y aurait à ne pas s’en servir ! Comptez-les, et allez-y, faites ce que Dieu vous offre, dans l’Église et dans le monde, selon votre vocation particulière. N’attendez pas, faites comme le premier serviteur qui y alla « aussitôt » ! Ne laissez pas « la terre » « cacher le talent » que le Maître vous a confié. Amen.

Saint-Dié (baptême)  –  David Mitrani  –  14 août 2022

 

 

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