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Évangile selon Luc 17 / 1-10
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Luc 17, 1-10
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La foi sembler résister au langage
Avez-vous entendu ?
Dans ce passage les disciples de Jésus lui demandent : « Augmente en nous la foi » …
Cette supplication arrive juste après que Jésus ait parlé de la radicalité du pardon, de cette radicalité de pardonner quelqu’un jusqu’à 7 fois dans une même journée… Je peux alors imaginer les disciples : les yeux écarquillés, ébahis, désarçonnés. Il font face à leur limite et demandent en toute urgence à Jésus d’augmenter leur foi !
Mais alors, cela veut-il dire que la foi se mesure ? À en lire ce passage de Luc, c’est en tout cas ce que pensent les disciples de Jésus. S’ils font cette demande c’est que, d’après eux, la foi est augmentable, qu’elle est quantifiable, qu’elle peut se mesurer.
Pourtant, vous serez peut-être d’accord avec moi : la foi est pourtant ce qui me semble difficile à circonscrire, à soupeser, à l’évaluer, à jauger. La foi est ce qui relève de l’intime. De plus, parler de notre foi, témoigner de notre foi, dans nos Églises Réformées, Luthériennes, il faut avouer que nous sommes habituellement assez frileux à ce sujet. Et, vous l’aurez remarqué, depuis le début de cette méditation sur la foi, je tourne déjà autour du pot, je tourne en rond… Pourquoi ?! Parce que je crois que la foi résiste au langage.
Allah : étonnement, envie et interrogations
En Égypte – le pays où j’étais envoyée en mission – le nom de Dieu (« Allah », en arabe, pour les chrétiens comme pour les musulmans) est évoqué sans cesse. Ainsi, la présence de Dieu, semble au cœur de tous les moments de la vie. On dirait là que la foi ne résiste, tout à coup, plus du tout au langage : on parle de Dieu tout le temps !
Deux exemples très classiques et redondants :
—> Le « Incha’Allah » « Dieu voulant » « Si Dieu le veut » dit toute la confiance posée en Dieu pour l’avenir.
—> Le « Al Hamdoulilah » « Grâce à Dieu ! » « Merci Seigneur » veut rendre gloire à Dieu pour tout ce qui arrive de bon au quotidien.
Entendre cela à longueur de temps provoque un tas de choses dans l’oreille de celui qui l’entends, surtout s’il n’est pas habitué. Pour ma part, il y a eu d’abord l’étonnement d’entendre parler si souvent de Dieu : à la boulangerie, dans la cour d’école, dans la salle des professeurs, chez le marchand de légume, dans le taxi… Dieu est partout !
Après l’étonnement vient l’envie : cette envie de pouvoir, moi aussi, faire appel à Dieu si régulièrement, parler de Lui souvent et avec assurance, et finalement Le faire advenir comme une réalité vraiment palpable dans ma vie. Parler de Dieu et entendre parler de Dieu si souvent fait de Dieu « quelqu’un » d’incontournable du quotidien.
Mais à force d’entendre dans la bouche de tous le nom de Dieu sans arrêt, s’ajoute à tout cela un sentiment mitigé, des interrogations : Et si cette récurrence du nom de Dieu était en fait un simple tic de langages ? Si parler de Dieu n’avait finalement plus aucun sens ? … Et voilà que très vite, à travers quelques questions, je me pensais être capable, justement, de mesurer la foi de celui ou de celle qui me parlait, en fonction de sa manière d’invoquer Dieu.
La foi comme besoin vital
Ce que j’ai décelé de mon expérience en Égypte c’est que là-bas, la foi est un besoin vital. Faire appel à Dieu, parler de Dieu au quotidien est vital. Au même titre qu’il y a besoin de nourriture et d’eau pour vivre, il y a ce besoin de foi ! Dans ce Caire surpeuplé, comment un humain pourrait-il avancer s’il n’a pas foi en ce qu’il fait, en ses projets, foi dans le fait qu’il y a une force, qu’il y a quelqu’un qui le pousse à vivre, à projeter, à avancer, quelqu’un qui est avec lui dans tout ce qu’il lui arrive et dans tout ce qu’il entreprends ? Comment un humain pourrait-il avancer s’il se pense seul sur la route ?
La foi chrétienne à cette particularité, qu’elle repose sur tout autre chose que sur l’être humain, ou sur les valeurs qu’il s’est construit lui-même. La foi qui nous anime est une force qui n’émane pas de nous. C’est une foi donnée par le Dieu de Jésus-Christ. En cela, on peut dire que les disciples en demande « Augmente en nous la foi » ne se sont pas trompés en se tournant vers Jésus et en s’adressant à lui. Par-là, ils ont reconnus que nous recevons notre foi d’un autre que nous-mêmes, qu’il ne s’agit plus de compter uniquement sur notre propre force. La foi amène à sortir de nous-même pour partir à la rencontre d’un Autre ! La foi amène donc à partir à la rencontre de cet Autre qui me demande radicalement de pardonner 7 fois d’affilé quelqu’un qui nous a blessé… et qui me dit que ce n’est pas impossible parce que nous avons été devancés par Dieu dans ce pardon. C’est le pardon de Dieu qui permet le changement radical, qui permet d’expérimenter un renversement des valeurs.
Serviteur inutile
La fin du passage que nous avons lu nous parle d’un « serviteur inutile », qui fait seulement ce qui lui a été demandé de faire. Lorsqu’on part en mission, la motivation première est souvent de, justement, « se rendre utile ». On désire en effet être utile pour la société, pour Dieu, pour les enfants qu’on accompagne, pour les paroissiens que nous rencontrons, pour les détenus que nous visitons… Pourtant, je peux dire que plus d’une fois, en Égypte, je me suis sentie telle une servante inutile ! Le texte biblique nous remet à notre place et en Égypte, c’est souvent que des événements m’ont bien remis à ma place, me rappelant ma certaine inutilité ! Le texte de ce matin nous renvoie au fait qu’être serviteur inutile, c’est être sans aucun mérite. Si quelque chose de bon et de bien a été fait, c’est malgré nous : nous sommes dans l’impossibilité de revendiquer que ce que l’on a accompli émane uniquement de nous-mêmes.
Les croyants égyptiens répète inlassablement « Inch’Allah » (Si Dieu le veut) et « Hamdoulilah » (grâce à Dieu). La sœur catholique, dans la maison d’accueil pour jeune fille où j’ai passé une partie de mon volontariat, le disait aussi à longueur de temps, pour placer le passé et l’avenir entre les mains de Dieu. Ces invocations de Dieu au quotidien me paraissent avoir un lien avec la demande des disciples « Augmente en nous la foi » : il s’agit avant tout d’un décentrement de soi nécessaire à la relation avec Dieu, nécessaire à la foi. C’est comme une prière, simple, quotidienne et humble : « Que ta volonté soit faite. Je sais que ce que je fais et ce en quoi j’espère ne sont pas en mon pouvoir, Seigneur, que tout cela te revient ! Permets que je ne l’oublie pas ! ». Amen !
Saint-Dié (culte des missions) – Éloïse Deuker – 13 janvier 2019