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Évangile selon Jean 6 / 47-51
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texte : Évangile selon Jean, 6 / 47-51 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Ésaïe, 54 / 7-10 ; deuxième épître aux Corinthiens, 1 / 3-5 ; Évangile selon Jean, 12 / 20-24
chants : 45-06 et 46-08 (Alléluia)
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L’un des thèmes que je pourrais développer à partir de ces textes, c’est celui de l’amour inconditionnel de Dieu. Le prophète Ésaïe nous y pousse fortement, tout comme l’apôtre Paul qui reprend cela en en tirant une conclusion pour lui-même, apôtre. En effet, le fruit de la compassion de Dieu, c’est la compassion elle-même ; non pas en circuit fermé, ce qui n’aurait aucun sens, mais si cette compassion, cette consolation, je les ai reçues, c’est, dit-il, afin qu’elles vous profitent à vous – et l’on peut élargir, naturellement : c’est afin qu’elles profitent à d’autres ! C’est même le signe que « le Fils de l’homme est glorifié », comme Jésus le dit lorsque des autres justement, des Grecs, demandent à le voir. Comme il le dira sur la croix : « tout est accompli » (Jean 19 / 30). Avec Paul, nous sommes en quelque sorte à une intersection, nous sommes le moyen d’une rencontre, tout comme Philippe de Bethsaïda et André l’ont été pour ces Grecs étrangement venus pour la Pâque à Jérusalem…
Alors c’est plutôt ce thème-ci que je retiendrai pour ce matin. Car il traite d’une vraie question : à quoi servons-nous ? C’est une question pour nous chrétiens, mais aussi pour notre Église, ici à Saint-Dié ou partout ailleurs, une question pour sa mission. En fait, la réponse est à plusieurs niveaux, en plusieurs étapes plutôt. Et d’abord ce qui nous est une joyeuse certitude, issue de toutes les Écritures – pour qui ne les lit pas avec l’obsession de bien faire, mais qui les lit avec le désir d’entendre ce que dit Dieu ; bref, lorsque nous ne sommes pas Marthe, mais Marie ! (Luc 10 / 38-42) – Jésus réaffirme donc, au début de notre extrait de ce matin, que « celui qui croit a la vie éternelle. » C’est un incontournable, et la Réforme protestante s’est faite non pas sur le fait que la Bible ne se trompe pas, comme le pensent certains évangéliques, mais sur le fait que, dans cette Bible qui fait autorité, se trouve cette Bonne nouvelle qui est le point de départ de tout. Comme Paul l’écrira : « C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. » (Éph. 2 / 8)
Jésus ici le dit plus simplement : « celui qui croit a la vie éternelle. » Mais qu’est-ce que c’est, croire ? Qu’est-ce que c’est, la foi ? Je peux vous redire une fois de plus que la foi, ce n’est pas une doctrine, mais c’est de faire confiance. Oui, mais à qui ? Si la foi était de l’ordre de la croyance, il suffirait de signer le bon papier, la bonne confession de foi. Il suffirait de dire : « je suis d’accord ». Mais prenez n’importe quel exemple dans la vie de tous les jours, et vous verrez bien que ça, ça ne sert à rien. Votre conjoint, votre ami(e), vous dit : « je t’aime », et vous lui répondez « je suis d’accord » ? À de nombreuses reprises, le peuple d’Israël, tout au long de l’histoire biblique, a dit et répété qu’il était d’accord avec ce que lui disaient ses chefs : Moïse, Josué, Samuel, etc. Ce qui ne l’a pas empêché le reste du temps de faire le contraire ! Accepter la religion biblique ne fait pas vivre, ça ne permet même pas de rester fidèle à cet engagement…
Est-ce là ce que Jésus veut signifier en parlant de la manne ? Cette nourriture était un don de Dieu, et elle a permis au peuple d’Israël de vivre au désert pendant 40 ans. La religion réformée n’a-t-elle pas permis aussi aux Huguenots de vivre un autre désert pendant plus d’un siècle ? Mais rappelez-vous aussi les « murmures » d’Israël contre Moïse et contre Dieu ! Et combien d’abjurations pendant les persécutions, ou même seulement par lassitude. Combien aujourd’hui qui pourtant disent ou ont dit qu’ils étaient d’accord avec la religion ne se sont-ils pas éloignés d’elle et de Dieu ! Nos fichiers de paroisse en sont pleins, nos familles aussi ; et encore, je ne parle que des protestants… « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts. » C’est une constatation amère. Ce n’est pas une condamnation ; cette fausse foi qui ne tient pas la route porte en elle-même sa sanction : elle ne vaut que pour cette vie-ci, elle ne vaut que pour tenir à peu près ici-bas, comme le ferait n’importe quelle autre religion ou idéologie. En fait, croire que Dieu existe et qu’il s’occupe de nous, c’est une idolâtrie qu’on abandonne bien vite, ou bien par laquelle on cherche vainement à se protéger de la pluie… de la vie…
Pourquoi donc ? La religion ne fait pas vivre. Elle masque peut-être les problèmes, les questions. Mais quand questions ou problèmes reviennent en force, lorsqu’on tourne en rond dans le désert, alors les certitudes s’effritent. La religion est une œuvre du cœur de l’homme, censée répondre à Dieu, mais en fait elle ne répond qu’à l’homme, elle construit un dieu à l’image de l’homme… et nous savons ce que ça vaut… ! Pour garder l’image que Jésus utilise, nous avons besoin d’une autre nourriture. Nous avons besoin de nous nourrir non pas de nos convictions, seraient-elles inspirées par Dieu, mais d’autre chose. Nous n’avons pas besoin d’adhérer à une doctrine, qu’elle soit poussière ou béton, mais à une personne. Comme les Grecs le disaient à Philippe : « nous voudrions voir Jésus. » Je ne m’attarderai pas sur ce « voir », puisque Jésus ici donne un autre verbe : « manger », qui va scandaliser ses auditeurs.
Qu’est-ce que c’est, manger ? La première fois que ce verbe apparaît dans la Bible, c’est à propos des « arbres du jardin », vous savez bien : les humains pouvaient manger de tous, y compris de « l’arbre de vie » … sauf de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gen. 2 – 3). Discerner bien et mal, pénétrer la connaissance qui fait mourir : telle est la religion. Manger, c’est faire un avec ce que l’on mange. C’est donc un autre manger, une autre nourriture, que Jésus propose, afin que celui ou celle qui en mange devienne autre chose, quelqu’un d’autre, qu’un mort en sursis. Il re-propose « l’arbre de vie » dont il avait fallu éloigner l’être humain afin qu’il ne devienne pas éternellement mort. Mais maintenant, cette nourriture, cet arbre qui est « bon à manger », lui, vraiment, pas comme l’autre, cet arbre va se dresser à travers la mort, victorieux contre elle. Il redevient comestible parce qu’à cause de lui, la mort est morte. « C’est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure pas. »
« Croire », « manger », deux synonymes ici. « S’unir à… » Vous savez que Chouraqui traduisait le verbe « croire » par « adhérer », le mot « foi » par « adhérence ». C’est encore un synonyme. « Manger […] le pain vivant », c’est faire un avec lui, et donc c’est être vivant comme lui. D’ailleurs, la confiance ne cherche pas à discerner le bien et le mal, elle ne cherche pas à pénétrer, mais elle reçoit, elle… fait confiance ! Les gens veulent des preuves : « les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse : nous, nous prêchons Christ crucifié… » (1 Cor. 1 / 22-23) Il n’y a pas d’autre preuve de la foi que la foi, il n’y a pas d’autre preuve de l’amour que l’amour… Depuis toujours Dieu se livre aux humains pour susciter en eux la vie, et depuis toujours les humains y résistent, nous y résistons, nous préférons ce que nous appelons notre liberté, qui est en fait notre prison. Nous ne saisissons pas la nourriture de vie éternelle, le « médicament d’éternité », comme disaient les anciens théologiens.
Or cette nourriture, c’est le Christ lui-même. Ce que Dieu nous propose, c’est de nous unir à lui, lui qui s’approche de nous pour ce faire, sans que nous ayons à aller le chercher ou à le mériter. Nous unir à lui pour que nous vivions avec lui pour toujours, dès maintenant et au-delà de la mort. « Celui qui croit a la vie éternelle. » Ce n’est pas un futur ! Tout se passe comme si la foi et la vie éternelle étaient une seule et même chose. La foi, pas la croyance. La confiance qui scelle l’union. Nous nourrir de l’autre non pas comme des cannibales, non pas comme des pervers dont la faim vide l’autre de ce qu’il est et le fait mourir. Mais nous nourrir de lui comme d’une nourriture inépuisable. Et si vous préférez boire, alors c’est l’image de la source jaillissante que la Bible vous offrira : « celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle », disait Jésus à la Samaritaine (Jean 4 / 14).
La première étape, c’était la certitude que la foi est le moyen de la vie éternelle. Après avoir dépoussiéré cette certitude, la seconde étape était de ne pas se tromper de nourriture, mais de ne regarder qu’au Christ, qui est nourriture et boisson pour ici et demain, pour la vie éternelle. Faire un avec lui. La troisième étape, c’est de bien voir les conséquences de cette union : nous sommes associés à tout ce qu’il fait, si nous sommes vraiment unis à lui. Or voici ce qu’il fait : « le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde. » Pas pour la vie de Mitrani ou de tel(le) autre qui s’en contente et ne fait rien de plus, mais « pour la vie du monde ». Le but du Christ, c’est « le monde », « l’univers », tout, c’est-à-dire tous ! Uni à lui, cela devient mon propre but, mais à ma place, pas à la sienne. C’est lui qui donne sa vie, moi je dois juste la proposer, la transmettre, à d’autres. Simple témoin, simple servant. « Donnez-leur vous-mêmes à manger », dit Jésus lorsqu’il nourrit les foules (Luc 9 / 13 et //). « Donnez-leur la nourriture que je vous ai donnée… Donnez-moi à eux… »
Oui, comme Philippe et André, nous ne sommes que des messagers, des anges, en quelque sorte. C’est notre travail. La vie éternelle nous a été donnée pour ça, pour cette mission-là. Car vivre éternellement, c’est vivre éternellement du Christ, c’est être éternellement transparent à lui, au don qu’il a fait de lui-même, à sa vie, à son amour. Transparent pour les autres, afin qu’ils puissent eux aussi s’en nourrir, s’en repaître, et arrêter de manger et de boire les poisons mortels qu’ils se proposent les uns aux autres en écoutant l’antique serpent… Il n’y a pas de distance entre notre foi et notre mission. Notre foi, c’est d’être unis à Christ, ce qui est le meilleur pour nous. Et notre mission, c’est d’être unis à Christ, ce qui se voit, ce qui ne peut pas ne pas se voir même un tout petit peu… « Le monde » a faim et soif, pas de nous bien sûr : de Christ ! C’est ce que Paul écrivait aux Corinthiens dans notre deuxième lecture…
Autant dire que nous avons besoin de Christ, un besoin vital, tant pour vivre que pour témoigner. La religion ne sauve pas, l’Église ne sauve pas. Christ seul. Mais en lui l’Église reçoit son sens et sa mission : nourrir du Christ ceux qui sont ainsi unis à lui afin qu’ils en nourrissent d’autres qui ne le connaissent pas encore. Nous avons besoin du Christ, et lorsque nous le prions, c’est lui que nous lui demandons. C’est le « Maranatha » qui conclut toute la Bible : « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! » (Apoc. 22 / 20). Non pas seulement qu’il vienne pour clôturer l’Histoire. Mais qu’il vienne en nous, qu’il vienne se faire nourriture nécessaire à nos existences, ce « pain quotidien » ou plutôt « au-delà de l’ordinaire » que nous demandons au Père dans l’oraison dominicale. Pourquoi prier pour autre chose, qui ne nous sera pas accordée si cela ne sert pas notre vie éternelle et le projet de Dieu pour nous ? Prions donc seulement de recevoir la vraie nourriture, chaque jour jusqu’en éternité. Prions donc de pouvoir profiter de cette nourriture au point d’en faire profiter d’autres, par « compassion », par « consolation », comme écrivait Paul. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 31 mars 2019