Évangile selon Jean 6 / 25-35

 

texte :  Évangile selon Jean 6 / 25-35

premières lectures :  Genèse 3 / 17-19 ; Deuxième épître aux Thessaloniciens 3 / 6-12 ; Exode 20 / 8-11

chants :  22-07 et 47-13

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« Le travail, c’est la santé. Rien faire, c’est la conserver ! » « Travailler plus pour… manger plus ! » « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. » Ces expressions, originales ou déformées, sont bien connues. Que pouvons-nous en faire un jour de 1er-Mai, fête syndicaliste et internationaliste des Travailleurs devenue fête très officielle du Travail en France, chômée et payée, mais qui tombe bêtement un dimanche cette année ! En fait, pas « bêtement », puisque nous avons saisi, David et moi, cette occasion pour parler Bible, travail et repos avec vous ce matin. Et comme nous l’avons entendu, il y a pluralité de textes bibliques sur le sujet – encore ne les ai-je pas tous cités… Il faut donc tendre l’oreille pour « écouter, entendre la voix de Dieu », comme nous venons de le chanter, cette voix qui parfois est tonitruante dans nos têtes et dans nos vies, mais bien souvent si discrète que notre cœur a besoin d’être tout ouvert pour en saisir le murmure.

 

Dans le texte de Jean, les gens ont rattrapé Jésus après qu’il les a nourris, mais Jésus n’est pas dupe : ils viennent à la source de la nourriture, c’est leur ventre qui les guide ! Il va en profiter pour dire autre chose sur lequel je reviendrai. Mais reprenons les choses dans l’ordre. Dans les discours politiques actuels, le travail est connoté comme une valeur très positive, d’autant que plusieurs millions de personnes en manquent. Et une valeur positive non seulement parce qu’il permet de manger – eh oui, encore manger – mais aussi parce qu’il permet de s’accomplir, paraît-il. Les protestants sont très sensibles à cet argument, qui évidemment ne s’applique qu’à certaines professions, certaines autres n’y correspondant pas du tout – qui peut s’accomplir à la chaîne ? encore que… – et certaines autres encore ayant été tellement dévastées, telle l’agriculture familiale, que beaucoup des quelques professionnels encore concernés ne s’y retrouvent plus guère. Alors, s’accomplir par le travail ? S’épanouir par le travail ? Qu’en pense la Bible ?

 

Les textes de la Torah, les premiers livres de la Bible, sont assez clairs, me semble-t-il. Certes, il est raconté que « L’Éternel Dieu prit l’être humain et le plaça dans le jardin d’Éden pour le servir et pour le garder. L’Éternel Dieu donna ce commandement à l’être humain : “Tu pourras manger de tous les arbres du jardin…” » etc. (Gen. 2 / 15-16) Vous connaissez la suite ! Là encore, d’ailleurs, il est question de manger… Mais si vous retournez lire ce texte, vous verrez que c’est Dieu qui fait tout pousser, c’est lui le jardinier à l’œuvre dans le jardin d’Éden ! L’humain n’en est que le gardien, actif certes : il doit le « servir » : c’est le verbe qu’on peut aussi traduire « travailler », « rendre un culte », « cultiver » … Quelle est la nuance ici ? L’être humain rend-il culte au Créateur en prenant soin de la Création ? Est-ce là son travail ? Certains théologiens aujourd’hui le disent comme ça.

 

Mais il y a eu la Chute, et la fermeture du jardin. La situation n’est plus la même, vous l’avez entendu avec le premier texte lu. Suite à la transgression de l’interdit par l’être humain, tout est bouleversé, le travail devient pénible et nécessaire pour avoir quelque chose à manger, bien difficile à obtenir, avant de finir par en mourir. Nous ne sommes plus au jardin, il ne faut pas rêver ni critiquer ceux qui se tuent au travail toute leur vie sans parfois profiter beaucoup de leur retraite : le travail selon Genèse 3 est une malédiction ! Ceci dit, les plus favorisés peuvent néanmoins trouver dans leur travail un moyen d’épanouissement pas seulement social, mais aussi personnel. La nourriture qu’on y gagne n’est pas seulement pour le ventre ou le porte-monnaie, mais aussi pour l’estime de soi. C’est bien ainsi que les Compagnons du Devoir vivent leur existence comme ouvriers ou artisans, généralement excellents et donc estimés.

 

Dans cette optique, que des chrétiens, que des missionnaires en particulier, profitent de leur foi ou de leur ministère pour se faire entretenir sans rien produire semble purement scandaleux à l’apôtre Paul. Ça se voit encore aujourd’hui, paraît-il, en Afrique, mais pas seulement… Il suffit de s’autoproclamer pasteur et de promettre la richesse aux gens pour la voir arriver chez soi. Cette richesse – due à ses paroissiens – semble confirmer sa prédication d’un « Évangile de la prospérité » ! Ça ne rend pas service au véritable Évangile, ça déconsidère tous les ministères de l’Église ! D’où la parole qui semble dure de l’Apôtre adressée à ces mauvais missionnaires : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ! » Aujourd’hui et appliquée plus largement, cette phrase n’est pas du tout politiquement correcte… !

 

Mais revenons aux travailleurs, que ce soit ceux qui s’épuisent ou ceux qui trouvent sens à leur vie dans leur travail. C’est pour eux, pour nous croyants, que Dieu a donné ses « Dix paroles », ses « Dix commandements », et nous l’avons aussi entendu tout à l’heure. Il y a bien assez de six jours pour « faire tout son ouvrage », tout comme Dieu lorsqu’il a créé le monde. Car l’important est là : non pas dans mes six jours à moi, mais dans les six jours de Dieu : c’est lui qui a fait le boulot ! Mon travail risque de m’enfermer dans ce que je fais, de me tourner vers moi, vers mon intérêt, vers ce qu’il me faut acquérir pour manger et le reste. Et là, que j’aie du travail ou que j’en cherche, j’oublie le Créateur et sa création, j’oublie que je suis moi-même une créature de Dieu et non pas un produit de moi-même. Je corresponds tellement à ce que Dieu me disait à mon sujet à la fin de l’épisode du jardin… « Tu n’es que poussière »

 

Dieu a donc institué un « shabbat pour l’Éternel », mais qui est un repos obligatoire pour tout être vivant : non seulement moi, mais ceux qui sont avec moi, ceux que je fais travailler, ceux que j’entretiens, et même les bêtes de somme ! Ce repos est nécessaire à l’existence humaine : la version des « Dix commandements » qu’on trouve dans le Deutéronome relie le shabbat à l’esclavage d’Égypte. Or la vie que Dieu veut pour son peuple n’est pas l’esclavage, mais au contraire il pose une limite au travail, il fait le contraire de Pharaon ! Le but de la vie du croyant et du peuple croyant, c’est de connaître et reconnaître Dieu, pas de travailler pour soi. Quant à travailler pour Dieu, qu’est-ce que ça voudrait dire ? Pour le commandement du shabbat, la question ne se pose pas : le shabbat est le commandement de ne rien faire, de se contenter de profiter de l’œuvre de Dieu.

 

Ah ! mais les gens qui discutent avec Jésus n’ont pas bien compris le shabbat, semble-t-il. On le voit bien dans d’autres passages aussi… Dans l’extrait de Jean que nous avons entendu, ils demandent : « « Que ferons-nous afin de travailler pour les œuvres de Dieu ? » C’est la même question que celle du « jeune homme riche » : « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » (Marc 10 / 17 // Luc 18 / 18) La réponse est la même : « arrête ! » – je le dis à ma manière… – Le travail que Jésus demande pour obtenir la nourriture vivifiante n’est pas de faire quelque chose, il n’y a pas de commandement supplémentaire à accomplir, comme le croyait le « jeune homme riche », il n’y a pas de commandement plus important que les autres, car tous se tiennent : le double commandement d’amour (Marc 12 / 30-31) est un résumé de la Loi de Dieu, pas moins, mais pas plus. Jésus parle d’autre chose : « l’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Eux persistent : si ce n’est pas à nous de faire, alors c’est à toi : « quelle œuvre fais-tu ? » Prisonniers du faire, qu’on soit travailleur ou fainéant c’est la même logique : moi au centre, pour manger !

 

Comme dans le commandement du shabbat, Jésus renvoie à Dieu, à l’œuvre de Dieu : « mon Père vous donne le vrai pain… » Pour le recevoir, à l’inverse du monde il faut arrêter de travailler – entendez : il faut arrêter d’être tourné vers soi, vers tout ce que j’ai à faire, vers tout ce que je dois faire, pour moi et pour les autres ; je n’ai plus de temps pour moi… Non. En fait, je n’ai que du temps pour moi en vivant ainsi, c’est pour Dieu que je n’ai plus de temps ! Alors oui, il faut que je m’arrête, que je prenne le temps de regarder au ciel, que je prenne le temps de m’apercevoir que Dieu me donne tout ce dont j’ai besoin pour vivre – et c’est lui qui sait ce dont j’ai besoin, mieux que moi. De quoi donc ai-je besoin ? De Jésus : c’est lui ma nourriture, la nourriture de mon corps et de mon âme, de ma personne et de ma vie sociale.

 

« Le shabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat, de sorte que le Fils de l’homme est seigneur même du shabbat. » (Marc 2 / 27-28) Jésus a ici bien résumé la question : j’ai besoin, moi, dans ma vie quotidienne – pas seulement spirituelle – j’ai besoin de m’arrêter de tourner autour de moi pour me reposer sur Dieu, et ça, ce n’est pas une œuvre de moi, ce n’est pas le fruit de mon travail, de mes efforts ; c’est un cadeau de Jésus lui-même, c’est ce que donne la communion avec lui, la foi en lui, la confiance en sa parole. Jésus « pain de vie ». Puisque le but du travail, c’est de manger, et que Dieu me demande d’arrêter de travailler, alors il me donne lui-même à manger, il se donne à moi comme nourriture. N’est-ce pas ce que nous lui demandons dans le « Notre Père » ? Non pas de bénir la nourriture que nous avons gagnée par nos efforts et notre peine, mais de « nous donner aujourd’hui notre pain “plus que nécessaire” » : Jésus lui-même.

 

Mais puisque nous sommes toujours dans un monde marqué par le péché, la nécessité du travail demeure. Cependant le travail spécifique du croyant n’est pas de faire pour Dieu, mais de recevoir Dieu de Dieu ! Jésus est le seul bien nécessaire à la vie du chrétien. Et il nous a été donné sur la croix. Grâces soient rendues à Dieu ! Amen.

 

Senones  –  Ghislaine Heyer (d’après David Mitrani) –  1er mai 2022

 

 

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