Épître de Jacques 5 / 13-16

 

texte :  Épître de Jacques, 5 / 13-16   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Exode, 34 / 4-10 ; épître aux Éphésiens, 4 / 22-32 ; Évangile selon Marc, 2 / 1-12

chants :  43-06 et 45-20  (Alléluia)

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Chers amis, comme la vérité n’est jamais univoque, alors que je viens de vous faire chanter « Mon Dieu, mon Père, écoute-moi… », où tout est centré sur l’individu croyant lui-même – comme on pensait au XIXe siècle – je vais maintenant vous dire le contraire : c’est que sans les autres, sans la prière des autres, le croyant tout seul n’est rien. Pourquoi ? Parce que l’être humain est pécheur, il est malade de péché, et que personne n’est son propre médecin. C’est bien ce que nous disent les textes bibliques proposés ce matin. Le peuple que Moïse conduit est « un peuple à la nuque raide » qui a besoin de l’intercession de Moïse : « tu pardonneras notre faute et notre péché », est-il obligé de demander. Et d’ailleurs les tables de la Loi qu’il porte sont la deuxième version : il a cassé les premières au moment où il a découvert le veau d’or qu’adorait son peuple.

 

Peut-être croyiez-vous que les chrétiens n’en sont plus là ? Erreur grossière, aveuglement qui est loin d’être innocent lui-même… Car c’est bien à des chrétiens que l’apôtre Paul écrivait sur leur « conduite passée, la vieille nature qui se corrompt par les convoitises trompeuses », les exhortant à s’en dépouiller, reconnaissant ainsi qu’elle n’est pas seulement passée, mais hélas encore présente ! Saint Jacques, quant à lui, commence notre extrait en parlant de souffrance et de joie, deux réalités opposées, deux sortes de moments dans la vie du croyant. C’est là une captatio bene­volentiae, une manière d’accrocher ses lecteurs. Oui, souffrance, je connais, joie aussi, et je sais spontanément quoi faire comme croyant dans de telles circonstances : quand je souffre je prie le Seigneur, et quand je suis heureux je loue le même Seigneur. Cela vient naturellement – encore faut-il ne pas l’oublier… Mais l’auteur ici n’apprend rien à ses lecteurs ; il leur rappelle juste qu’on dit « s’il te plaît » et « merci » quand on est bien élevé !

 

Ceci étant posé, le lecteur s’étant donc rappelé qu’il se trouve face non pas au vide ni à lui-même seulement, mais face à Dieu qui est une personne – avec qui on peut parler, qui écoute, et qui parle lui aussi, et qu’on peut aussi écouter – le lecteur donc est prêt pour la suite ! La suite, c’est la maladie, avec ce verset fameux que tout le monde respecte, catholiques, pentecôtistes, orthodoxes, sauf nous : l’onction des malades ! Mais examinons un peu plus profondément ce qui nous est dit. Ce n’est pas qu’une reprise de ce qui était dit de la souffrance, et d’ailleurs l’exhortation n’est pas du tout la même. « Quelqu’un de vous est-il malade ? » Qu’il se pose donc la question de quelle maladie il s’agit… Nous ne sommes pas animistes, nous n’invoquons pas des esprits à la place d’aller consulter le médecin, et celui-ci ne procède pas par gestes magiques, mais par psychologie, pharmacopée, médecine ou chirurgie, selon ce que le patient requiert. Jacques ne nous demande pas de nous passer de médecin !

 

C’est donc que nous pouvons être malades d’autre chose que de maladie… Je ne vous dresserai pas une liste ! Ce qui vient en premier à l’esprit, comme hier matin lors du « temps pour la paix » du Festival de géographie à Saint-Dié, et comme tout au long de ce FIG d’ailleurs consacré à « la France demain », ce sont les maladies de notre monde : écologie, économie, injustice, guerre, recul de la démocratie jusque dans notre pays, etc. C’est intéressant, mais c’est bien facile, n’est-ce pas. Ça revient soit à battre sa coulpe sur la poitrine des autres, et ainsi se dire que nous, on n’y peut rien ; soit au contraire à se poser soi-même comme le grand méchant à cause de qui le pays, le monde, la planète, vont mal et vont mourir. Alors je peux à bon compte me poser en sauveur du monde en mangeant vegan et en triant mes poubelles. – Ceci dit, triez vos poubelles ! – Mais voilà, ce faisant nous avons éludé la question…

 

La question, c’est que c’est nous qui sommes malades, et pas seulement nous en général, mais aussi en particulier. Oh, certes pas tout le temps. Il ne faut pas jouer au « malade imaginaire », non plus ! Mais il est bon d’être lucide sur soi-même, et le texte de ce matin nous y invite. « Quelqu’un parmi vous est-il malade ? » Il ne s’agit pas non plus de lever la main à ce moment-là. En tout cas pas publiquement… Mais de savoir le faire au bon moment et devant les bonnes personnes. C’est qu’alors, comme pour les maladies physiques ou psychiques, nous avons besoin d’être soignés. Mais là, psychologues, médecins et chirurgiens n’y peuvent rien en tant que tels. « Cette sorte de démon ne sort que par la prière », dira Jésus (Matth. 17 / 21). Il y a donc des maladies de l’âme, des dysfonctionnements de notre être réel par rapport à celui que Dieu voit en nous à cause de Jésus, des décalages entre nous et notre vocation chrétienne, entre nous et nous, entre nous et Dieu, qui ont besoin de la prière, et, cette fois-ci, de la prière des autres.

 

Nous n’irons pas chercher Moïse, il est mort et sa tombe-même nous est cachée. Mais lorsque nous sommes paralysés sur notre lit, nous avons besoin de gens qui nous portent vers Jésus, jusques et y compris en traversant les foules et les toitures ! Cette paralysie est-elle celle de la foi ? Le problème serait-il donc entre nous et Dieu, que nous ayons besoin que d’autres nous portent vers lui ? Sans doute cela arrive-t-il souvent, à vous comme à moi. Ce n’est que dans les livres que ça n’arrive pas… Alors nous avons besoin, ces jours-là, que d’autres nous prennent en charge, prennent en charge notre prière, nous redisent notre qualité irréductible d’enfant de Dieu – ce que manifeste l’onction d’huile dans la lettre de Jacques – et nous présentent au Père puisque nous ne savons alors plus le faire, ou que nous pensons être indignes de nous adresser à lui. L’argument bien protestant comme quoi « tu peux bien t’adresser à Dieu tout seul, tu n’as pas besoin d’intermédiaire » reste vrai, mais ne peut plus alors s’appliquer, et il doit être retourné vers les responsables de l’Église ou vers telle ou tel chrétien de confiance : « je ne peux pas, mais toi tu peux, fais-le pour moi… »

 

Et si tu le fais pour un autre, rappelle-toi : « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et vous le verrez s’accomplir. » (Marc 11 / 24) Comme dans notre cantique de tout à l’heure, nous appliquons cette phrase à notre prière pour nous-mêmes. Cela n’est pas obligé ! Jacques nous écrit que « la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le relèvera ». C’est donc cette prière-ci qui sera exaucée par le Seigneur. Bien sûr ce n’est pas la prière qui sauve, mais le Seigneur ! Mais il faut bien lui amener le malade… « Prière de la foi », précise le texte : pas la prière magique, celle-ci ne marche jamais : « je prie, donc ça va marcher ! » Non, bien sûr. Si j’attends que « ça » marche, j’attendrai en vain. La « prière de la foi », c’est d’attendre de Dieu la guérison, le salut, c’est de lui faire confiance à lui, pas à moi. Lui faire confiance, croire qu’il exauce la prière faite en Jésus-Christ, dans l’humilité de celui qui s’en remet entièrement au Père : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux… » (Marc 14 / 36) C’est dans sa souveraine liberté que Dieu exauce la prière de ses enfants, pas par mécanisme automatique. Jésus le savait et avait confiance. Et nous ?

 

C’est qu’il est ici question de salut, et de résurrection. Certes, le verbe « sauver » veut aussi dire « guérir », et le verbe « relever » peut bien vouloir dire « ressusciter », il a aussi un sens plus courant. Pourtant, si je suis coupé de Dieu, malade dans ma foi, c’est bien de mon salut qu’il s’agit, d’une mort spirituelle qui a besoin de résurrection. Si nous sommes capables d’aller chercher le médecin pour quelqu’un qui ne peut pas le faire lui-même, si nous sommes capables d’aller lui chercher ses médicaments, à plus forte raison devrions-nous pouvoir le faire lorsque c’est encore plus important, encore plus vital ! De même, si nous sommes capables de demander, lorsque c’est nous qui sommes malades, ou au moins de supporter, que d’autres agissent ainsi pour nous, là encore : à plus forte raison lorsque c’est vital pour nous, c’est-à-dire lorsque ça concerne notre relation avec Dieu, relation qui est la condition de toute vie et de toute relation.

 

On comprend bien alors pourquoi Jacques enchaîne directement sur le péché : « et s’il a commis des péchés, il lui sera pardonné… » Ce n’est pas un plus, comme on peut être soigné pour une certaine maladie, et au passage aussi pour une autre qu’on découvre à l’occasion : tant qu’à faire, autant soigner ton rhume en même temps… Non ! Cette « suite » n’en est pas une, c’est une explicitation : la maladie en question, celle dont nous parlons depuis tout à l’heure, c’est bel et bien le péché, puisque le péché, c’est précisément la rupture de relation avec Dieu, qui entraîne la rupture avec les autres et avec moi-même. C’est le péché qui me mène à commettre des péchés… C’est contre lui que j’ai besoin de la prière des frères et sœurs, parce que c’est lui, ma maladie qui perturbe tout le reste. Et contre lui, moi tout seul je ne puis rien : comment pourrais-je me tourner vers Dieu puisque le péché me détourne de Dieu ? La conclusion de Jacques est alors totalement évidente : le chrétien, pécheur, doit pouvoir compter sur les autres chrétiens.

 

Y a-t-il des chrétiens qui ne sont pas pécheurs ? Peut-être. Je n’en connais pas… C’est donc bien chacun d’entre nous qui a besoin des autres, non pas seulement pour remplir un peu ce temple, ou pour assurer les finances de la paroisse ! Mais pour pouvoir se confier, pour pouvoir alors bénéficier de la prière des autres. Évidemment il ne s’agit pas non plus de faire secte ! Il n’y a pas dans ce temple un « banc des pénitents » où il faudrait s’asseoir dans certains cas et confesser publiquement sa faute… Mais il n’y a pas besoin de banc ni de public pour néanmoins pouvoir se confier à certains et demander leur prière, il n’y a pas besoin de publicité pour que des chrétiens prient pour d’autres chrétiens – qui en ont besoin non pas pour des raisons économiques ou médicales, mais pour des raisons spirituelles… La prière est efficace, nous rappelle Saint Jacques. C’est par elle que les puissances nous sont soumises, c’est par elle que les démons sont rendus impuissants, c’est par elle que les péchés sont pardonnés. Parce que la prière des chrétiens les associe à celle de Jésus : c’est lui le Juste qui est à l’œuvre dans nos intercessions, par le Saint-Esprit qu’il nous a donné. « Le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés », nous dit-il lui-même. Et ce qui se passe alors, c’est que le paralytique repart sur ses deux jambes, son lit sous le bras. Ça en vaut la peine, non ? Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  7 octobre 2018

 

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