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Épître aux Hébreux 4 / 14-16
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texte : Épître aux Hébreux, 4 / 14-16 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Genèse, 3 / 1-19 ; Évangile selon Matthieu, 4 / 1-11
chants : 37-01 et 48-05 (Alléluia)
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Tentation, épreuve, c’est le même mot, la même réalité. Être conduit dans la tentation, être mis à l’épreuve, c’est la même idée. Mais notre époque n’aime pas ça. Il a fallu retraduire la demande qui parle de ça dans le « Notre Père ». Nous ne voulons pas penser que Dieu nous met à l’épreuve. Ne l’a-t-il pourtant pas fait pour Abraham (Gen. 22 / 1) ? Ne l’a-t-il pas fait pour Jésus, comme vous l’avez entendu il y a quelques minutes ? Mais la différence, c’est que nous, dans l’épreuve, nous échouons ; nous, dans la tentation, nous tombons. Autre idée, autre image : le désir, qui fait tomber du côté où l’on penche, comme un truc mal équilibré, bancal ; laisser son centre de gravité sortir de la base et nous emporter vers… par terre ! Où est mon centre de gravité ?
Il y a ceux qui vous diront, sans doute avec d’autres mots, que leur centre de gravité est en eux-mêmes, et qu’ils savent se tenir, qu’ils savent être équilibrés et ne pas tomber. Ils oublient qu’on peut tomber pour des causes extérieures d’agression, et que bien peu de gens peuvent garder leur équilibre lorsqu’ils sont bousculés, parfois violemment, par ce qui leur arrive, à eux ou à leurs proches, ou par leur situation sociale, ou par la maladie ou la mort, ou par l’agression physique ou le harcèlement moral exercé par d’autres à leur égard. Ils oublient aussi que, par définition, on n’est pas maître de son inconscient, et qu’on peut soi-même se faire tomber, avec parfois plus de force et donc plus de mal que par une agression extérieure. Ils oublient, ceux qui prétendent être sûrs d’eux, qu’ils sont déjà tombés même s’ils ne s’en souviennent plus, et que, s’ils sont stables, c’est peut-être qu’ils sont déjà à terre et qu’ils s’y trouvent bien ! Ils oublient qu’ils sont mortels, simplement.
Mais il y a aussi ceux qui vous diront que leur centre de gravité est en Dieu, au-dessus d’eux, et que grâce à ça rien ne peut les atteindre, qu’ils ne peuvent pas fléchir, ni pencher d’aucun côté. Ne reconnaissez-vous pas là l’attitude que Jésus dénonçait chez les Pharisiens ? Ceux-ci se prennent pour des anges… Il semble à leurs yeux qu’aucune tempête ne peut les atteindre, et que d’ailleurs elles ne soufflent que sur les autres, sur les pauvres gens qui n’ont pas leur certitude. Eux n’ont pas besoin d’être éprouvés, ils sont en ligne directe avec Dieu qui, tout-puissant, peut et veut leur épargner tout souci, tout risque de souci, tout risque de chute. N’est-ce pas déjà ce que le diable essayait de suggérer à Jésus au désert, à l’aide d’un verset biblique, du psaume (91 / 11-12) qui a ouvert ce culte ? C’est autant chez eux de l’idolâtrie que chez les précédents, même si l’idole n’est pas la même… Croire en soi, ou bien croire en cette sorte-là de puissance de Dieu, c’est croire en des dieux qui n’en sont pas ou qui n’existent pas, qui ressortissent du fantasme…
Et puis il y a ceux qui tombent sans cesse, qui se traînent par terre sans parfois pouvoir ni savoir se relever, ceux qui ne réussissent aucune épreuve, qui à leurs propres yeux et – pensent-ils – aux yeux de Dieu, sont des ratés, des pécheurs irrémédiables. Parmi eux, il y a ceux qui s’en font une raison et ceux qui ne s’en satisferont jamais, mais les uns comme les autres restent en situation d’échec. Ils ont, comme on dit, « succombé à la tentation », ils ont échoué. Ils y sont rejoints par les gens des deux premières catégories qui, sauf chance extraordinaire ou inconscience manifeste, vont eux aussi se retrouver un jour à terre, car se confier en un dieu qui n’existe pas c’est se condamner à tomber quand soufflera la tempête. Car, rappelez-vous la fin du « Sermon sur la montagne » (Matth. 7 / 24-27), la tempête arrive de toute façon, quel que soit l’édifice, quel que soit le fondement sur lequel il a été édifié. Seul ce fondement fait la différence, la maison construite sur le sable et celle construite sur le rocher n’ont pas la même résistance au vent. Et si vous n’avez jamais lu ce texte, n’avez-vous pas au moins entendu l’histoire des « trois petits cochons » ?!
Ce ne sont pas la maladie, ou l’agression, ou l’échec social, ou sentimental, ou professionnel, ou pécuniaire, ou autre, qui sont des épreuves. Tout au plus peuvent-ils être l’occasion d’une épreuve. L’épreuve, comme pour Abraham, comme pour Jésus, c’est « en quel dieu crois-tu ? », « en qui mets-tu ta confiance ? ». C’est ce que l’épître aux Hébreux veut aussi nous dire ce matin : tiens bon dans ta confiance en Jésus, il n’y a pas d’autre choix, pas d’autre chemin – pour le dire avec les mots de ce texte : pas d’autre moyen « d’obtenir miséricorde et de trouver grâce ». Dans l’ancienne religion, le grand-prêtre – le « souverain sacrificateur » de la traduction de Louis Segond – offrait pour tout Israël le sacrifice prescrit le jour de Kippour, afin que tout le peuple et chacun de ses membres « obtienne miséricorde ». Ce grand-prêtre subissait évidemment, comme tout le monde, la tentation : il vivait toutes les occasions dans lesquelles un être humain, et plus encore quelqu’un qui prétend se tenir devant Dieu, risquait de tomber, de se tromper de dieu, de préférer sa propre voix ou celle du diable, de préférer la puissance telle que les hommes la conçoivent, plutôt que la voix du vrai Dieu, la puissance paradoxale du Dieu de Jésus-Christ.
Car en Jésus, c’est Dieu lui-même qui se soumet à la violence des tempêtes qui nous atteignent, nous. Le psalmiste pouvait à bon droit chanter que Dieu « sait de quoi nous sommes faits, il se souvient que nous sommes poussière » (Ps. 103 / 14), et non pas parce qu’il fut à l’origine de l’espèce humaine – ce qui, dit comme ça, n’a pas de sens – mais parce qu’en Jésus il a vécu lui-même cette condition ordinaire qui est la nôtre, il a vécu notre finitude – ce que nous chantons si fortement à Noël – et jusqu’à mourir comme l’un d’entre nous, connaissant aussi le sentiment de l’abandon de Dieu – le « désert ». Mais il a alors aussi connu que, malgré les apparences, Dieu n’abandonne pas ceux qu’il aime. Jésus a éprouvé – c’est bien le mot – toutes les épreuves qui interviennent possiblement dans une existence humaine. Et c’est dans un tel Dieu que nous croyons, c’est en un tel Dieu que nous mettons notre confiance. Oui, il est le grand-prêtre qui a officié pour nous, et qui l’a fait une fois pour toutes sans qu’il soit besoin d’y revenir. Il est celui qui nous offre le pardon de Dieu parce qu’il sait ce que nous vivons.
Mais il y a une chose qu’il n’a pas vécue : le fait de rater l’épreuve, ce que la Bible appelle « le péché ». Ayant vécu l’épreuve, il a bien vu la possibilité d‘une telle issue. Il a vu que pour nous autres, la plupart du temps, nous plongeons plus ou moins vite, plus ou moins consciemment, vers cette issue qui n’est qu’un puits sans fond, comme ont fait nos « ancêtres » au Jardin d’Éden. « Dieu a-t-il vraiment dit… ? », demandait le serpent (Gen. 3 / 1). Écouter la question, c’est déjà prendre avec la Parole que Dieu nous adresse une telle distance que nous sommes d’entrée incapables de la franchir dans l’autre sens ! Or Jésus a lui aussi entendu la question, mais il l’a refusée, tout comme il a refusé une lecture fondamentaliste du texte biblique qui y aurait enfermé Dieu. Or Dieu est libre, et quoi qu’il m’arrive son amour me soutient dans toutes les tempêtes, même dans la mort. Voici la réponse de Jésus. Voici en quoi a consisté le « sacrifice unique et parfait offert une fois pour toutes » : la confiance absolue même dans la mort. Le fait de ne pas se tromper de Dieu même face à la mort. La certitude qui si je tombe, je ne tombe jamais que par terre, et que Dieu me relèvera.
« Le trône de la grâce », dont parle l’épître en nous invitant à nous en approcher, n’est donc pas un quelconque siège céleste, naturellement royal et judiciaire en même temps, où seraient pesées mes fidélités et mes infidélités. Nous ne sommes pas dans le Livre des morts égyptien ! Ce trône certes royal est celui où règne « Jésus le Fils de Dieu », celui-là-même qui s’est offert en sacrifice pour ceux qui connaissent les mêmes tentations que lui a connues, et qui, eux, y ont succombé – c’est-à-dire vous et moi. Il est le vrai Dieu qui rachète ceux qui se sont trompé de dieu… Son trône, c’est sa croix. Le lieu de sa défaite à vues humaines, c’est le lieu de son triomphe aux yeux du Père. « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jean 3 / 17) Il « est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19 / 10)
Ne pensez donc pas : « je suis perdu, donc Dieu n’y peut rien. » Ne pensez pas non plus : « je n’ai pas besoin d’être sauvé, je ne suis pas perdu. » Ne vous illusionnez ni sur Dieu ni sur vous-mêmes, faisant, dans un cas comme dans l’autre, œuvre d’idolâtrie – comme je vous le disais tout à l’heure. Considérez vos « faiblesses » – pour le dire comme l’épître –, vos dérapages, votre péché, votre misère devant Dieu, mais sachez que ce Dieu est un Dieu « compatissant et qui fait grâce » – selon les mots de l’Ancien Testament (Ex. 34 / 6 ; Ps. 103 / 8 ; etc.). Et s’il est tel, ce n’est pas comme un souverain lointain mais débonnaire, c’est parce qu’il a vécu la même vie que vous et qu’il vous connaît comme quelqu’un qui lui ressemble. Alors vous-mêmes, connaissez Dieu comme quelqu’un qui vous ressemble, mais sans le péché ; quelqu’un qui passe par les mêmes chemins que vous, des chemins tordus sans qu’il l’ait voulu ni fait lui-même, des chemins périlleux pour lui comme pour vous.
Il pardonne et il « fait grâce » non pas pour satisfaire je ne sais quel principe général ou quelle idée théologique. Mais il fait grâce afin que cela vous serve, que cela vous soit une aide, un secours, quand vous en avez besoin. C’est ce que dit notre texte. Sa « miséricorde » n’est pas faite pour qu’on dise : « ouf ! plus de problème… », mais pour qu’on la saisisse pour sortir de la fosse, pour se relever, pour trouver une dignité qu’on n’avait pas, dont on n’était pas capable : celle de frère ou sœur de Jésus, celle d’enfant de Dieu. « Au bon moment », comme on pourrait traduire, à l’instant où on me rattrape ou bien je péris à jamais, c’est à ce moment-là, c’est dans ces moments-là, que lui, Jésus, se trouve à mes côtés pour prendre ma place, pour se confier dans le vrai Dieu à ma place, alors que moi, je me serais trompé de dieu, j’aurais mis mon espoir dans des fantasmes, des illusions, ou bien nulle part…
Hier, à la formation des prédicateurs à Lunéville, l’aumônier de la séance a bâti sa méditation sur le psaume 27, qui se termine ainsi : « Oh ! si je n’étais pas sûr de contempler la bonté de l’Éternel sur la terre des vivants ! … Espère en l’Éternel ! Fortifie-toi et que ton cœur s’affermisse ! Espère en l’Éternel ! » (Ps. 27 / 13-14) C’est la Parole que nous pouvons recevoir à travers notre texte : oui, tu peux compter sur Jésus, parce qu’il vit ta vie avec toi, parce qu’il la rachète pour toi, parce que lui se confie dans le Père et que tu es au bénéfice de cette confiance quand tu t’accroches à lui par la foi. Les catholiques chantent ce refrain : « Je mets mon espoir dans le Seigneur, je suis sûr de sa Parole ! » C’est bien. Ils ont raison. « Fais cela, et tu vivras », dit Jésus (Luc 10 / 28). « Fais cela, et tu vivras… » Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 10 mars 2019