Épître aux Galates 5 / 1-6 (1)

 

texte :  Épître aux Galates, 5 / 1-6   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Évangile selon Matthieu, 5 / 1-12 ; Michée, 6 / 6-8 ; épître aux Romains, 3 / 21-28

chants :  537 et 622  (Arc-en-ciel)

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Je n’ai pas l’habitude de citer de grands auteurs, hormis les quelques dont je vous parle souvent… Mais pour ce culte de la Réformation, je vous citerai exceptionnellement Mark Twain : « C’est par piston qu’on entre au paradis. Si c’était au mérite, mon chien y entrerait et moi je resterais dehors. » Voilà, tout est dit, en tout cas l’essentiel. Je ne prêcherai pas sur le salut de vos chiens et chats – oui, oui, c’est pareil pour les chats, et même pour les lapins ! Mais ce qui est dit par cet auteur sur lui-même est valable pour chacun de nous. Comme l’apôtre Paul l’écrivait aux Romains : « il n’y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce. » En 1517, Martin Luther a risqué sa réputation et sa vie là-dessus, la chrétienté occidentale et maintenant mondiale en a été divisée, sans doute pour toujours. Or ce n’est pas une question de dénomination chrétienne, mais bien de confession de la foi, car la tentation est forte à toutes les époques et dans toutes les Églises de renoncer à cet Évangile, sinon il n’y aurait pas besoin de prêcher à nouveau là-dessus dans une Église censément « réformée selon la Parole de Dieu » …

 

Comme l’apôtre Paul, encore, l’écrivait aux Galates, ce salut gratuit, gracieux, est la condition et la réalité de notre liberté. Il ne nous est pas acquis par nous-mêmes, en aucune manière, mais seulement par l’amour débordant de Dieu notre Père, qui a donné pour nous sa vie en son Fils Jésus-Christ. Sa mort nous a ouvert la porte de la prison, sa résurrection nous en a fait sortir, nous sommes dehors, dans la vraie vie, libres. Mais l’expérience des Hébreux au désert nous a appris, nous a fait réaliser, que nous aimions nos prisons. Et celles-ci sont nombreuses. Il y a celles que nous avons choisies. Il y a celles que nous choisissons encore aujourd’hui, ou peut-être que nous choisirons encore demain. Il y a aussi celles que nous subissons malgré nous, qui nous sont imposées, que ce soit par d’autres gens ou bien par notre propre corps. Il y a celles que la vie nous impose. Notre vie est constituée par toutes ces prisons, au point qu’il nous est courant de dire ou de penser que « nous n’y pouvons rien », que « c’est la vie », que « à mon âge on ne change plus », etc. D’autant que ces prisons nous définissent, et si nous en sortions, nous ne serions plus les mêmes.

 

Oui, c’est bien ce que l’Évangile de Jésus-Christ nous propose : de ne plus être les mêmes ! Or il est vrai que « nous n’y pouvons rien », à tout ce qui nous arrive, en tout cas à beaucoup de choses. Pas à toutes, c’est vrai… Mais qui est prisonnier de son inconscient, de sa santé, de ses amours, de ses finances, de son travail ou de son absence de travail, etc., sait bien qu’il est difficile, ô combien, de s’en extraire. Celui qui peut, eh bien qu’il fasse, qu’il s’en sorte ! Mais alors, il constatera que ces prisons n’étaient pas réelles, puisqu’il a pu en sortir. Des vraies, on ne sort pas… On ne sort pas par soi-même. Il y faut de l’aide, comme lorsque l’ange en fit sortir Pierre, à l’époque du roi Agrippa Ier… (Actes 12 / 7-11) D’ailleurs tous ceux qui ont quelque addiction le savent bien : on a beau essayer, faire effort de volonté, comme vous le conseillent toutes les bonnes âmes qui, elles, n’ont pas essayé, on n’y arrive pas. Dans son épître aux Romains, Paul déclare ainsi que les commandements de Dieu sont là pour nous montrer, justement, à nous qui connaissons ceux-ci et voulons les mettre en pratique, qu’ils ne nous mènent qu’à prendre encore plus conscience de notre péché, et en tout cas pas à être plus libres. Seulement plus préoccupés de nous-mêmes.

 

Or, vous le savez bien, c’est en cela que consiste le péché, depuis toujours : être préoccupé de soi-même, placer ses propres projets, ses propres efforts, ses propres réussites et ses propres échecs au cœur de sa propre vie. Un chrétien ou supposé l’être pensera simplement que la grâce de Dieu va l’aider dans tout ceci, au milieu de tout ceci : Dieu au service de nos existences, Dieu au service de notre propre vision de ce que devrait être notre existence. C’est se méprendre sur ce qu’est la grâce de Dieu. Car selon l’Évangile, la grâce de Dieu ne consiste pas en sa Providence, mais en son salut : nous sommes « justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus. » Nous avons été rachetés en Jésus-Christ, « rachetés de la vaine manière de vivre, héritée de [nos] pères, par le sang précieux de Christ », selon ce qu’écrivait l’apôtre Pierre (1 Pi. 1 / 18-19). La grâce de Dieu ne nous aide pas à vivre comme tout le monde, mais en mieux ; elle nous offre autre chose, une autre vie. Et c’est à cela que nous résistons, comme autrefois les Hébreux au désert : oui, esclaves en Égypte, nous étions bien mieux nourris que libres dans ce désert à manger… « quoi donc ? » la manne ! (Ex. 16 / 3)

 

Les chrétiens de Galatie, c’est-à-dire du centre de la Turquie actuelle, s’étaient laissé intimider par d’autres venus de Judée et qui n’admettaient pas qu’on devienne chrétien sans se mettre aussi à respecter les signes extérieurs de la judéité, c’est-à-dire la circoncision et les interdits alimentaires. Et Paul se fâche. Non pas contre les Juifs : lui, il l’est ! Mais contre ces chrétiens, qu’ils soient ou non d’origine juive, qui pensent que certains rites, certaines actions, sont requises pour bénéficier du salut apporté par Jésus-Christ. « Il vous sauve, mais pour en profiter, vous devez… » En l’occurrence, vous faire circoncire. La question n’est plus du tout actuelle, bien sûr. Mais vous pouvez parfaitement remplacer cette obligation par une autre, croire que vous-mêmes la respectez, et chercher à l’imposer aux autres, serait-ce seulement dans vos reproches à leur égard. « Il se dit chrétien, mais… » Mais il ne fait pas ceci, mais il ne fait pas cela… Je ne vais pas décliner ces pensées que nous pouvons avoir les uns ou les autres, qu’il soit question de rite, de participation financière ou associative, de morale personnelle ou d’idéologie politique, écologique, sociale, etc. Chacun sait bien ce qu’il reproche à son frère ou à sa sœur.

 

Le fond est toujours le même : être chrétien consiste en ceci ou en cela, nécessite de faire ou d’avoir fait ou de s’abstenir de faire ceci ou cela… Pourtant, dans l’Ancien Testament, qui nous dit les commandements de Dieu, nous trions ! Je ne prendrai que trois commandements que nous ne respectons pas, ni vous ni moi. Or ce sont les trois plus importants. Le premier, qui est au centre des Dix commandements et le sommet du récit de la Création, c’est le shabbat. Qui donc ici respecte le shabbat, supposé être un commandement perpétuel (Ex. 31 / 16 ; Lév. 16 / 31) ? Ensuite il y a celui que Jésus considérait comme « le plus grand » : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. » (Deut. 6 / 5 ; Marc 12 / 30) Qui donc ici fait passer Dieu avant toute autre chose à chaque instant de son existence ? Et enfin celui dont Jésus disait qu’il était aussi grand que le précédent : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Lév. 19 / 18 ; Marc 12 / 31) Euh… Parlons d’autre chose…

 

Non, sérieusement, nous ne sommes pointilleux que sur des détails, jamais sur l’essentiel, car l’essentiel nous condamnerait. C’est pourquoi Paul écrit : « je l’atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire : il est tenu de pratiquer la loi tout entière. » Ce qu’aucun chrétien ne fait, et ce depuis 2.000 ans ! Si nous ne pratiquons pas l’intégralité des commandements, ne reprochons à personne de ne pas pratiquer l’un ou l’autre : c’est seulement que ce ne sera pas les mêmes que les nôtres… Mais bien sûr, disant cela, nous n’excusons rien ni personne : tout manquement révèle notre péché, notre situation d’humain pécheur, coupé de Dieu, « incapable par nous-mêmes d’aucun bien » – comme l’avaient écrit et prié Calvin et Bèze. Et c’est de cela que nous avons besoin d’être délivrés. C’est de ce statut de pécheur, d’irrémédiable incapable de satisfaire la volonté de Dieu, de condamné à perpétuité.

 

La seule alternative à ce statut, c’est celui d’enfant de Dieu, adopté par lui à cause de Jésus-Christ. Il n’y a pas de statut d’enfant pécheur. Soit tu es pécheur coupé de Dieu, soit tu es enfant restauré dans sa communion. Le fait d’être un enfant désobéissant n’est pas la question ici. Mais celui qui dit « je veux gagner ce droit » n’a rien compris, et en réalité il se prive de ce statut. C’est comme de dire à Dieu : « je me fiche que tu m’aimes, je veux gagner le droit à ton amour. » Or à l’amour personne n’a droit. L’amour ne peut se recevoir et se vivre que comme un cadeau, jamais comme un droit. L’amour comme un droit aboutit au divorce et à l’éclatement des relations, parce que, pensons-nous finalement, l’autre ne le mérite pas. Évidemment : l’amour ne se mérite pas ! Il se croit…

 

Car la réponse à l’amour de Dieu qui nous prend comme ses enfants, c’est la foi, c’est-à-dire la confiance accordée à cet amour, et celle-ci est elle-même fruit de cet amour. Ne pas faire confiance, c’est refuser cet amour. Aussi notre salut, notre libération, se passe et se vit sur le mode de la confiance. « Pour nous, c’est de la foi que nous attendons, par l’Esprit, l’espérance de la justice. Car, en Christ Jésus, ce qui a de la valeur, ce n’est ni la circoncision ni l’incirconcision, mais la foi qui est agissante par l’amour. » Nous retrouvons dans cette phrase les « trois qui demeurent : la foi, l’espérance et l’amour. » (1 Cor. 13 / 13) Rendus justes aux yeux du Père – autre manière de parler de son amour et de son adoption –, notre confiance nous porte à aimer, puisqu’alors nous sommes débarrassés du souci de nous-mêmes – qui est ce qui nous empêche d’aimer ! Mais on n’est pas délivrés par notre amour, puisque notre prison, c’est de ne pas pouvoir aimer ! On est délivrés par l’amour de Dieu pour nous, un amour saisi par la confiance qu’il suscite en nous, et alors nous pouvons aimer, ce qui est de notre part un témoignage que nous lui rendons, puisqu’après tout son Évangile est parole d’amour pour tout un chacun dans ce monde qui s’y refuse.

 

« Justifiés par la foi », il n’est pas possible de se chercher soi-même dans l’obéissance à un quelconque commandement, qu’il soit rituel ou éthique. On n’est pas sauvé en venant au culte, on n’est pas sauvé en faisant le bien. Mais celui ou celle qui est sauvé a plaisir à en entendre le récit et à le partager avec ses frères et sœurs, comme il a plaisir à faire le bien quand il le peut, à aimer les autres sans se poser la question de « qui est [son] prochain » (Luc 10 / 29). Simplement, il ne faut pas confondre adoption, nourriture et relations : l’adoption (le salut) nous vient de la croix de Jésus-Christ, le culte qui nous la re-présente nous est nourriture, afin que nos relations avec Dieu, les autres et nous-mêmes soient nettoyées, vivifiées, enrichies. Il ne faut pas confondre ce que Dieu fait pour nous, qui nous donne la vie, et ce que nous pensons devoir faire pour lui, qui ne nous gagne rien de plus puisque nous avons déjà tout. Il ne faut pas confondre la foi et « les œuvres de la loi », l’amour et l’obéissance, la vie et l’esclavage. Il ne faut pas se tromper de Dieu. Car si Dieu n’est pas celui qui a donné son Fils pour prix de notre vie, alors il n’y a nul espoir, car il n’y a pas d’autre dieu, les autres sont des faux, ils n’existent pas. Si nous ne sommes pas « justifiés par la foi », nous sommes morts. Mais non : « c’est pour la liberté que Christ nous a libérés ! » Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  28 octobre 2018

 

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