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Épître aux Galates 5 / 1-6 (2)
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texte : Épître aux Galates 5 / 1-6
premières lectures : Deutéronome 6 / 4-9 ; Évangile selon Matthieu 5 / 1-10 ; épître aux Romains 3 / 21-28
chants : 47-03 et 34-15
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Chers amis, la Réforme protestante n’est pas une œuvre de réforme de l’Église, c’est une œuvre de libération ! Fêtant cette « Réformation », il ne s’agit pas de commémorer l’histoire, encore moins de commémorer ce qui a divisé l’Église chrétienne en Occident, mais de nous rappeler le fondement de notre foi. Le protestantisme est parfois présenté comme un puritanisme chrétien… mais ça, c’était hier ! Nos Pères ont parfois pensé et agi comme s’ils étaient sous la Loi du fait de leur foi chrétienne, or c’est une hérésie, fort commune depuis 20 siècles et qui apparaît dans toutes les confessions. Le protestantisme n’est pas un esclavage, c’est la religion de la liberté. Mais ça, vous le savez. Sauf que, parfois, on confond la liberté avec le libéralisme théologique, ou encore avec la possibilité d’être croyant non pratiquant, ce qui ne veut rien dire – mais vous n’êtes pas de ceux-là, puisque vous, vous êtes ici ce matin et bien souvent. Notre ancienne Déclaration de foi de l’Église réformée, après la louange inaugurale, poursuivait ainsi à propos de notre Église : « Fidèle aux principes de foi et de liberté sur lesquels elle est fondée… » De quoi est-il donc question ? C’est ce que l’apôtre Paul nous explique aujourd’hui.
C’est qu’au commencement, au fondement de notre liberté, au fondement de notre foi et de notre vie, il y a Christ ! « C’est pour la liberté que Christ nous a libérés. » Cela ne révoque en rien l’histoire de l’ancien Israël, depuis Abraham jusqu’à Jean-Baptiste en passant par le don de la Loi à Moïse et Esdras. Mais dans cette succession, à travers cette histoire, c’est Jésus qui est le sommet, l’accomplissement, le sens de cette histoire : elle mène à lui, et elle se termine avec lui, puisqu’il est ressuscité, actuel, vivant à jamais. Il a ainsi inauguré une incroyable nouveauté : la victoire de la vie sur la mort. Oui, incroyable, et de tout temps même des chrétiens ont eu du mal à y croire. Je ne dis pas du mal à comprendre : personne ne le peut ! Mais même à y croire, à faire confiance à cette affirmation folle que Jésus n’est pas venu donner un enseignement nouveau, ni même un enseignement ancien plus radical, mais qu’il est venu donner sa vie pour que ma mort et la vôtre soient vaincues !
Or c’est dans cette seule conviction que nous sommes libres, libérés de la mort et du péché, libérés de devoir gagner notre vie, nous sauver nous-mêmes, construire notre identité au détriment des autres, nous défendre de tout et mourir quand même. Devant notre incapacité, de toute façon, à nous sauver nous -mêmes, à franchir le fossé que nous créons et recréons sans cesse entre nous et Dieu, c’est Dieu qui a fait tout le chemin, qui a comblé le fossé, qui nous a reçus dans ses bras comme ses enfants par trop prodigues de ses dons (cf. Luc 15 / 20-24), et ce une fois pour toutes en Jésus : « c’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés ! » (Éph. 2 / 8) Mais encore faut-il l’accepter, accepter de ne plus être notre propre maître – un maître esclavagiste – mais que nous en soyons gratuitement libérés par Dieu. Car « c’est pour la liberté que Christ nous a libérés. » Ce n’est pas pour que nous changions de joug, pour passer d’un esclavage à un autre, pour passer des mirages et des dégâts du péché aux mirages et aux dégâts de l’obéissance aux commandements. Les commandements ne nous révèlent jamais que notre désobéissance, quand bien même nous serions bons et généreux – ce que nous ne sommes pas tous ni tout le temps… !
Voilà pourquoi l’apôtre Paul insiste autant. Hors du Christ, il n’y a pas de liberté. La liberté de choix, tant vantée par notre société depuis les Lumières, est une liberté mortifère : c’est la liberté de choisir la mort, la mort de ceux que nous écrasons – serait-ce seulement de notre mépris ou de notre ignorance – et notre propre mort, notre propre échec. La soif de pouvoir qui engendre haines et guerres n’est qu’un autre nom de cette liberté-ci, soi-disant liberté que la littérature nomme hubris… Lorsque nous prétendons être libres, alors nous sommes esclaves ! En nous replaçant dans les mains du Père, Christ nous a libérés de cet esclavage, en refaisant de nous des enfants bien-aimés du Père céleste, et non des électrons libres sans autre amour que les amours humaines éphémères et intéressées. Mais cela nous fait souvent peur. La vraie liberté fait peur. Qu’est-ce que c’est, qu’être les enfants du Père ? Que faut-il faire pour ça ? Rien : il nous a adoptés en Christ. Mais alors, faut-il faire quelque chose à cause de ça, en tant qu’enfants ? Oui et non. D’abord et principiellement : non. La liberté n’est pas compatible avec une obligation de faire ! Et ensuite et pourtant : oui. La liberté oblige à être libre, à ne pas se comporter comme un esclave, et encore moins comme un esclavagiste !
Mais, je vous le confirme : cela fait peur. En fait, nous avons peur de nous-même, de notre nature toujours pécheresse, « encline au mal, incapable d’aucun bien », comme le confessaient humblement Calvin et Bèze. Que faisons-nous alors ? Nous pensons avoir besoin d’être cadrés pour éviter les dérapages, nous jouons les enfants obéissants, comme si c’était cela que le Père voulait. Ceux d’entre vous qui sont parents ont-ils souhaité plutôt des enfants adultes, ou bien des enfants obéissants ? Nous, nous nous remettons sous le joug des commandements – oh, pas tous les commandements, certes ! – et nous constatons à nouveau que nous ne les pratiquons pas librement, donc pas correctement, voire pas du tout : cercle vicieux, car tel est le péché… Les chrétiens de Galatie s’étaient laissé convaincre de se mettre sous la Loi de Moïse, pour les hommes de se faire circoncire, et pour tous de manger kasher et de ne plus fréquenter les païens, etc. Tout ça non pas en reconnaissance à Dieu, mais pour être bien vus de lui. Au moins, si on fait ce que Dieu demande, on est sûrs…
Sauf que, pour que ça marche, il ne suffit pas d’être gentil, mais il faut faire toute la Loi, qui est comme un château de cartes qui ne tient que si on n’enlève aucune carte – et si personne ne souffle dessus ou ne fait bouger la table ! Or, du vent et des tremblements de terre, il y en a beaucoup dans la vie d’un homme ou d’une femme, serait-il chrétien. Et même chrétien, on a soi-même tendance à vouloir enlever beaucoup de cartes dudit château… On se retrouve alors exactement dans la même situation que le judaïsme rabbinique, dans cette même impasse que tout le Nouveau Testament dénonce. Comme Paul l’écrit dans un autre passage de ses lettres, la Loi de Dieu, pourtant « sainte, juste et bonne », ne fait qu’augmenter le péché de ceux qui prétendent l’observer (Rom. 7 / 10-24). La Loi qui avait été donnée pour permettre aux croyants de vivre plus librement dans un monde pécheur est devenue l’agent privilégié du péché, le contraire de la liberté, car l’être humain, même croyant, était toujours sous l’emprise du péché.
Chers frères et sœurs, voilà ce dont le Christ nous a libérés. Et nous devons « tenir ferme » cette liberté, « tenir ferme » dans la foi au Christ mort et ressuscité en qui sont notre victoire, notre liberté, notre identité d’enfants de Dieu. Ne pas céder à la tentation de faire pour Dieu, mais recevoir avec reconnaissance ce que lui a fait et fait encore pour nous. Et, dans cette confiance, nous laisser aller. À dormir ? Certes pas ! Nous laisser aller à grandir dans la foi et dans la liberté. Nous laisser aller à aimer notre Père qui nous aime et les frères et sœurs qu’il nous donne. Se poser des questions là-dessus, c’est déjà s’être remis sous la Loi, c’est considérer l’amour comme un commandement – or l’amour ne se commande pas – et sous la Loi il n’y a que l’esclavage, le désespoir et la mort. Car malgré ce que dit le soi-disant bon sens, tous les chemins ne mènent pas au même sommet ; la Sagesse des Proverbes le disait déjà clairement (Prov. 9 / 13-18), le texte de Saint Paul le redit ce matin. Christ est le seul chemin, tout autre chemin ne délivre pas de la mort.
L’amour ne se commande pas, et chacun sait bien, pour s’y être essayé, que se forcer à aimer est impossible et rend l’amour impossible. L’amour se vit, et par amour on fait certaines choses qu’on n’aurait pas imaginer choisir, et on s’abstient de certaines autres qu’en-dehors de l’amour on aurait volontiers faites. L’amour n’est pas une action, c’est pour cela qu’il ne saurait être un commandement menant à la vie. L’amour est une manière de vivre, une manière devenue naturelle en lieu et place de notre nature. C’est la manière de vivre de Jésus, de vivre devant le Père et devant les humains. Et il suffit de regarder ce que les évangiles nous racontent, nous montrent, pour réaliser que ce n’est ni calme ni simple, que cela implique parfois des combats, des contradictions à affronter, des renoncements impensables et des joies nouvelles. L’amour ne se commande pas, il se vit. Il est la manière de vivre dans laquelle l’Esprit saint nous pousse – à laquelle nous résistons souvent, certes, mais il ne se lasse pas facilement !
Vous vous demandez peut-être pourquoi je suis passé de la foi à l’amour. En fait, je suis passé de la Loi à l’amour, qui sont donc deux manières de vivre contradictoires. Car l’amour est la pratique de la foi, c’est dans l’amour que se réalise la foi, puisque la foi est la certitude de l’amour de Dieu pour nous en Jésus-Christ, et que ce n’est pas un autre amour qui nous est proposé, mais simplement de vivre celui-ci. « La foi est agissante par l’amour », écrivait l’Apôtre. En réponse aux Pharisiens qui lui demandaient quel était le plus grand commandement, Jésus, après leur avoir donné la réponse que tout rabbin juif aurait donnée, leur a demandé ce qu’ils pensaient au sujet du Christ (Matth. 22 / 34-42). Car l’amour de Dieu et du prochain est impossible s’il n’est pas produit et offert par le Christ, et il l’a fait en mourant sur la croix pour faire mourir la mort. Si nous sommes associés à la vie de Christ par le baptême et la participation à la cène, si sa Parole entre en nous et porte fruit, alors ce qui dans nos bouches et nos cœurs s’appelle la foi devient amour dans nos membres, dans notre existence concrète.
C’est aussi pour cela que Dieu nous a donnés l’Église, c’est-à-dire des frères et des sœurs, des gens à aimer prêts eux-mêmes à aimer et à se laisser aimer. Alors oui, l’accent mis par les Réformateurs du XVIe siècle sur le Christ, son salut gratuit et l’importance nécessaire et suffisante de la foi, concerne bien l’Église, une Église qui n’est pas institution de salut, mais communauté fraternelle. Et si ces Réformateurs avaient entendu leurs héritiers prêcher l’individualisme et la défiance à l’égard de l’Église, assurément ils auraient été horrifiés ! La foi est certes personnelle et n’a pas besoin d’intermédiaires. Mais la foi est évidemment communautaire, parce qu’on n’aime pas tout seul, et que chacun d’entre nous a besoin des autres afin de se fortifier, de les fortifier, d’être fortifié par eux, dans une « chaîne d’amour », comme nous l’avons beaucoup chanté l’an passé et encore il y a 15 jours à Plainfaing (JEM 734). L’amour, c’est la liberté, puisque l’amour c’est Christ, c’est vivre Christ dans notre propre existence. Si nous sommes sauvés non pas par notre obéissance, mais « par grâce, par le moyen de la foi », c’est afin que plus rien ne nous empêche d’aimer librement, sans souci de nous-même. C’est alors seulement que notre témoignage chrétien sera reçu. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 31 octobre 2021