Deuxième épître aux Corinthiens 9 / 6-15 (1)

 

texte :  Deuxième épître aux Corinthiens, 9 / 6-15   (trad. Louis Segond)

premières lectures :  Ésaïe, 58 / 7-12 ;  Évangile selon Luc, 12 / 15-21

chants :  42-08 et 41-17

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Malgré mon envie de prêcher sur le premier texte, la prophétie d’Ésaïe, je vais tâcher de résister pour le garder pour l’an prochain, Dieu voulant. Quant au texte de saint Luc, nous pourrions l’appliquer peut-être à bon escient à notre richesse en bâtiments, encore qu’on puisse en débattre, mais pas ce matin ! Le texte du jour dans la liste que je suis habituellement est donc bien le dernier que je vous ai lu, celui de l’apôtre Paul, dans la lettre qu’il écrivit aux chrétiens de Corinthe. Ceux-ci avaient lancé l’idée d’une grande collecte au bénéfice de ceux de Jérusalem éprouvés par une sécheresse, manifestant ainsi la solidarité de tous les chrétiens quelles que fussent leurs origines et leurs théologies. Mais à la fin de cette collecte réalisée avec grand succès en Macédoine, eh bien les Grecs eux-mêmes n’avaient encore rien donné ! Dans les exhortations de saint Paul à ses frères, nous trouvons ainsi des phrases qui furent chères au cœur et aux lèvres des trésoriers de paroisse autrefois : « Que chacun donne comme il l’a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie. » Phrase toujours valable certes, faite non pas pour retenir l’offrande, mais pour susciter la joie de l’offrande… !

 

Mais je voudrais revenir à la première phrase de notre extrait : « celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. » Je me suis dit : eh bien oui, il n’y a pas de miracle ! Mais ce n’est pas vrai, bien sûr… En fait, le miracle est bien là, parce que, dans le monde, ça ne marche pas forcément comme ça. Il y a des « puissances », pour le dire comme Paul, qui se mettent en travers, qui sont donc proprement « diaboliques ». Si ça se passait comme le dit le verset, alors ce serait bien triste, les situations économiques n’évolueraient jamais, les pauvres resteraient pauvres, et riches les riches ; et même les pauvres s’appauvriraient encore, et les riches s’enrichiraient de plus en plus. Vous me direz : ça y ressemble, quand même… Mais non. Heureusement, l’autonomie des individus, la particularité des histoires personnelles, les dons de chacun, tout ceci contribue à ce que la logique ne soit pas totale, et à ce qu’un peu d’inattendu émerge. Un exemple ? Le texte de Luc, justement, où la mort du personnage est l’inattendu qui change tout et qui relativise tout.

 

Que ce soit donc la logique du monde ou son contraire, selon ce que vous considérez, peu importe. Quant à nous, il y a dans ce verset une constatation spirituelle et une garantie spirituelle : c’est que Dieu établit là une justice qui fait qu’il fera peu gagner à celui qui investira peu, et beaucoup à celui qui risquera beaucoup. Dieu serait-il un ultra-libéral ? Je crains que la question ne soit pas là… La question me concerne moi, et chacun d’entre nous, tout comme elle concernait les Corinthiens d’alors : qu’est-ce que je suis prêt à investir, à risquer, à mettre dans le pot commun – dites-le comme vous voulez – pour gagner davantage ? – Théologie du mérite ? Non pas. Dans le verset qui précédait et que je n’ai pas lu, Paul écrivait : « J’ai donc jugé nécessaire d’inviter les frères à se rendre auparavant chez vous, et à s’occuper de votre libéralité déjà promise, afin qu’elle soit prête, de manière à être une libéralité, et non un acte d’avarice. » C’est que la libéralité, pour reprendre cette traduction, est déjà un « fruit de la grâce », et non un calcul afin de mériter et donc d’obtenir plus.

 

Mais alors ? C’est comme le pardon dans le « Notre Père », vous savez bien : « Pardonne-nous nos offenses comme aussi nous pardonnons… » (Matth. 6 / 12. 14-15) Le refus de pardonner entraîne l’impossibilité, quasi physique, d’être soi-même pardonné. Ce n’est pas qu’il y ait des conditions au pardon, sinon ce n’est plus un pardon, mais il y a, je dirais, des « conditions de possibilité ». Si l’on m’offre quelque chose gratuitement, mais que je ne me tourne pas de ce côté-ci, comment le recevrais-je ?! De la même façon, « celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. » La mise en parallèle de ces deux questions : celle de l’offrande et celle du pardon, vous indique d’ailleurs opportunément que notre texte de ce matin ne concerne pas que les sous ! Il les concerne aussi, certes… Ce culte n’est pas un culte d’offrande, mais une « fête des récoltes », comme on la célébrait autrefois. C’est un culte d’action de grâces pour les dons très concrets que Dieu nous fait.

 

Comme Luther le disait dans son Petit catéchisme pour expliquer le premier article du « Credo » : « Je crois que Dieu m’a créé ainsi que toutes les autres créatures. Il m’a donné et me conserve mon corps avec ses membres, mon esprit avec ses facultés. Il me donne chaque jour libéralement la nourriture, le vêtement, la demeure et toutes les choses nécessaires à l’entretien de cette vie. Il me protège dans tous les dangers, me préserve et me délivre de tout mal ; tout cela sans que j’en sois digne, par sa pure bonté et sa miséricorde paternelle. » C’est d’abord une affirmation de foi. C’est la confession d’une confiance absolue en Dieu notre Père : quand bien même je serais handicapé, pauvre, en danger de mort, je pourrais dire cette déclaration. Je ne sais pas si vous avez entendu parler d’un prédicateur qui s’appelle Nick Vujicic, australien d’origine serbe sans bras ni jambes : c’est par cette confiance en Dieu qui donne tout ce dont on a besoin, qu’il peut vivre et être heureux… et dire merci ! Ce n’est donc pas seulement pour les fruits de la terre qu’il convient de remercier le Père céleste…

 

Une des conséquences de cette foi, de cette confiance, c’est de risquer ce qu’on a reçu – en sachant donc que c’est sans risque ! Le risque, c’est de n’avoir confiance en personne d’autre qu’en soi-même : je sais que je fais bien, que j’ai de la chance, ou le comportement adéquat, ou les bons atouts, donc je risque… Bon, mais moi je ne sais pas si je fais bien, je ne crois pas à la chance qui ne découle que du hasard et de la nécessité, je crains d’avoir souvent un comportement inadéquat, je connais un peu de mes atouts, mais pas assez pour me risquer ! « Me » risquer : c’est ce que je vous disais… Dans la foi, je sais que je ne « me » risque pas. C’est Jésus qui a tout risqué, et qui à vues humaines à tout perdu. Mais je sais que cette perte-là a été un gain, pour lui et pour moi… et pour chacun de vous ! Je puis donc risquer sans rien risquer, puisque lui a vaincu pour moi, déjà !

 

Vous savez, j’ai pu « donner ma cotisation », comme on disait jadis, à partir du moment où je l’ai donnée en début de mois et non plus à la fin. Quand je le donnais en fin de mois, il manquait toujours quelque chose, je n’y arrivais pas… Depuis que je me suis mis à me dire que Dieu pourvoirait, et que j’ai donc versé cette offrande en début de mois, je n’y ai plus de problème ! Bien sûr, c’est une question de bonne gestion de mes recettes et dépenses ! Mais surtout, je vous le dis, c’est une question de confiance : « Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé » (Marc 11 / 24), disait Jésus. Et si vous l’avez reçu, alors vous pouvez le dépenser… ! Les trésoriers et financiers me diront peut-être que je suis irresponsable. Je ne le nie pas, mais n’en ai pas souci non plus. Si quelques-uns d’entre nous n’avaient pas cette irresponsabilité – ou cette confiance en Dieu – il y a longtemps que les trésoriers en question auraient mis la clef sous la porte.

 

Le don que je fais à l’Église, l’offrande que je fais à Dieu, me rapporte ! Et je ne parle pas de mon traitement en tant que pasteur ! Non. Dieu ne me doit rien, mais j’ai plaisir à vivre de ses dons. Je n’ai rien à lui offrir qui soit digne de lui, je n’ai rien non plus d’ailleurs à offrir à mon Église qui soit digne d’elle… À mon Église aussi je suis redevable sans aucune possibilité de régler cette dette. Mais je fais ce que je peux – parfois – pour manifester ma reconnaissance. Mon offrande, et pas que d’argent, n’est en aucune manière un sacrifice. C’est un humble cadeau, un tout petit signe, de quelqu’un qui a beaucoup reçu. Et en retour je sais que je recevrai encore, et encore plus ! Hors de tout calcul, la confiance en Dieu fait grandir et s’enrichir celui qui en a reçu la grâce et en tire les conséquences. Car Dieu « vous fournira et vous multipliera la semence, et il augmentera les fruits de votre justice. » C’est le contraire de la malédiction du Jardin d’Éden (Gen. 3 / 17-19). Dans la foi, nous avons été libérés du péché originel !

 

Hormis les offrandes d’argent, qui après tout sont presque les plus faciles, il y a notamment deux domaines où notre texte me semble devoir s’appliquer pour nous (il y en a sans doute bien d’autres). Le premier, bien sûr, c’est notre engagement dans l’Église, c’est-à-dire dans la pratique cultuelle, dans la lecture communautaire de la Bible, dans les activités de nos communautés… Chacun fait ce qu’il peut, naturellement, et aucun d’entre nous n’est le juge de ses frères et sœurs. Mais n’oubliez pas ce qu’avec Paul je viens de vous dire : « celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. » Mais après tout, puisque vous et moi sommes ici ce matin, c’est bien que nous le savons ! Il faut juste, lorsque vient la tentation de l’oublier, se raccrocher à cette confiance en Dieu que j’évoquais il y a quelques instants, afin de persévérer au lieu de baisser les bras… comme semblent l’avoir fait les Corinthiens à propos de la collecte en faveur de Jérusalem.

 

Plus important sans doute, le second domaine dans lequel nous devrions veiller à profiter de l’exhortation de l’apôtre Paul, c’est celui de notre mission. Vous savez que celle-ci ne consiste pas à venir au culte (ça c’est un outil), mais à témoigner de l’Évangile. Or bien souvent nous n’y croyons pas. Oh ! pas à l’Évangile, mais à la mission. Nous ne la croyons pas possible pour nous, nous ne nous pensons pas à la hauteur, ou pire, nous croyons que ça ne marchera pas de toute façon. Et donc, évidemment, ça ne marche pas. Si vous voulez manger cuit et que vous ne faites rien cuire, vous mangerez cru ou vous mourrez de faim… Dieu étant plus grand que nous, il « ajoutait chaque jour à l’Église ceux qui étaient sauvés », comme dit la Bible (Actes 2 / 47). Mais il n’en demeure pas moins que « celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. » Si donc nous voulons que des gens adhèrent à Jésus, fassent confiance à Dieu pour la vie et pour la mort, et que la croix du Christ porte fruit dans leur vie, alors il faut « semer ».

 

Et c’est là que la suite du texte, notamment le refrain de nos anciens trésoriers, est bien précieux : il parle aussi de tout ce pour quoi nous pouvons, avec l’aide de Dieu, nous botter les fesses pour avancer : « Que chacun donne comme il l’a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie. » Ainsi, que la confiance que nous faisons à Dieu nous mette au cœur la résolution d’avancer dans la « mission de Dieu » avec joie et peut-être inconscience relativement à notre âge, à notre piété, à nos différents handicaps personnels, familiaux ou sociaux, etc. Mais lorsque toute la création célèbre le Créateur en chantant ses louanges de manière audible, nous n’allons quand même pas nous taire ! Nous avons des temples à remplir, et plus important : nous avons des frères et des sœurs à trouver. Ça va le faire, parce que c’est Dieu qui agit. « Grâces soient rendues à Dieu pour son don ineffable ! » Amen.

 

Senones (Fête des Récoltes)  –  David Mitrani  –  2 octobre 2016

 

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