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Deuxième épître aux Corinthiens 6 / 1-10
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texte : Deuxième épître aux Corinthiens 6 / 1-10
premières lectures : Genèse 3 / 1-19 ; Évangile selon Matthieu 4 / 1-11
chants : 37-01 et 62-78
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Chers amis, le thème de ce dimanche, c’est : la tentation. Vous l’aviez deviné avec les deux premières lectures, j’imagine. Là tout est clair : le tentateur, c’est « le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan », comme le dit l’Apocalypse de Jean (Apoc. 20 / 2), réunissant ainsi des images quelque peu différentes qu’on trouve au fil de la Bible. On pourrait résumer ainsi : dans la Genèse, la tentation, c’est de se tromper sur Dieu et, du coup, se passer de lui, se prendre pour lui ; et dans la récit de Jésus au désert, c’est un peu la même chose sous trois formes différentes, sauf que là le but est plus clair : se prosterner devant le diable qui donne le pouvoir, plutôt que devant Dieu. Mais ça, c’était nos premiers ancêtres, mais ça, c’était Jésus. Et pour nous ?
La tentation est toujours la même. Et comme le premier couple, et à la différence de Jésus, là où nous penchons, eh bien nous tombons ! C’est bien pourquoi, dans le « Notre Père », nous prions d’être délivrés à la fois de la tentation et du tentateur, car nous savons que nous sommes la plupart du temps incapables de résister. Mais pour sortir des généralités, le texte de Paul nous emmène sur un autre chemin, il pose le problème d’une autre manière, et nous allons tâcher de le suivre.
Il y est d’abord question de la grâce. En bons protestants, vous savez bien que c’est un préalable : « c’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi », comme l’écrivait le même Paul dans une autre lettre (Éph. 2 / 8). Sauf que souvent nous faisons concrètement comme si ce salut, c’était pour demain, voire pour l’au-delà, après notre mort… C’est la première forme de la tentation que Paul décrit ici aux Corinthiens. Nous ne « restons [pas] attachés à ce que nous reconnaissons publiquement », comme dit dans l’épître aux Hébreux – c’est le texte qui a ouvert ce culte (Hébr. 4 / 14-16). Nous oublions ce que signifie cette grâce que pourtant nous opposons tout intellectuellement à la théologie catholique. Or, la grâce, c’est ce que Dieu a fait pour nous en Jésus-Christ, et qui nous est rendu actuel, dans nos existences particulières, par le Saint-Esprit, à travers la confiance que nous accordons à cette Parole.
Rendu actuel. Voilà ce sur quoi Paul insiste avec d’autant plus de raison que c’est là que pour nous le bât blesse. « Voici maintenant le temps vraiment favorable, voici maintenant le jour du salut. » Cette affirmation massive commente une citation d’Ésaïe (És. 49 / 8), laquelle s’appliquait au Serviteur. Mais à la suite de Jésus, qui est le Serviteur, comme il l’affirmait lui-même – « le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup » (Matth. 20 / 28) – nous sommes nous aussi ces serviteurs pour qui il a donné sa vie, ceux pour lesquels la parole est accomplie. Car elle l’est, nous dit Paul. C’est « maintenant ». Paul, certes, va ensuite parler de lui-même en tant que serviteur particulier, ô combien particulier. Mais je crois bien que nous sommes nous aussi concernés par ce qu’il dit, en tout cas en général, et aussi sur plusieurs points particuliers, ceux qui s’appliquent à nous…
Car si la grâce est première, alors c’est effectivement que pour nous c’est fait, puisque nous y accédons et répondons par la foi. Notre vie est donc bien déjà au bénéfice de cette grâce, au bénéfice de la vie offerte de Christ en rançon pour nous : « vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre héritée de vos pères par le sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache », écrivait l’apôtre Pierre (1 Pi. 1 / 18). Cette grâce qui a transformé notre identité nous oblige, non pas dans le sens où nous devrions payer quelque chose : les versets que je vous cite au fur et à mesure disent le contraire ! Nous ne devons rien à Dieu, puisque nous lui devons tout ! Mais tout comme des enfants qui doivent la vie à leurs parents ne leur doivent rien, nous avons à profiter de ce cadeau, à le réaliser concrètement, à vivre comme des gens « nés de nouveau » (cf. Jean 3 / 3-8) et non comme ceux qui se débattent avec la mort et qui sont donc les victimes toutes prêtes du diable.
Ainsi la grâce reçue nous oblige en quelque sorte à la liberté. Notre tentation serait alors – non, il ne faut pas mettre le conditionnel… – notre tentation est alors de n’en pas profiter, de préférer nos prisons sans oser regarder la porte qui en est ouverte. Le tentateur a alors la partie belle, lui qui aime nous voir en prison : il surfe sur nos peurs, nos peurs de changer, nos peurs de vivre comme des hommes et des femmes libres, libres parce qu’enfants du Père du Jésus-Christ. C’est tellement plus facile de vivre comme tout le monde, agrippés à ce que nous croyons être la défense de nos propres intérêts, esclaves de notre psychologie ou de notre condition culturelle, familiale et sociale. Nous vivons si souvent comme si nous étions prédéterminés, coupables mais pas responsables, incapables d’échapper à nos réactions et à notre instinct de conservation. Or à l’inverse nous ne sommes pas prédéterminés par la nature, mais, comme Paul écrivait ailleurs : « nous savons que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein ; car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils… » (Rom. 8 / 28-29)
Dieu nous a donc destinés d’avance à être ses enfants, à vivre libres dans la communion avec lui. Le tentateur n’aime pas ça, évidemment ; il n’aime pas que nous échappions à la tentation, il préfère que nous y succombions. La tentation ? Il suffit de reprendre l’inverse de tout ce que Paul nous montre : être sujet de scandale aux yeux des gens ; ne pas persévérer dans les situations qui prétendent nous faire céder ; vivre le contraire de « la pureté, la connaissance, la patience, la bonté, l’Esprit Saint, un amour sans hypocrisie, la parole de vérité, la puissance de Dieu, les armes offensives et défensives de la justice » ; résister par orgueil à ce qui prétend nous abaisser, etc. Paul au contraire nous appelle à la résilience, à vivre en adulte libre et non pas en esclave.
Évidemment, je ne puis moi-même vous servir d’exemple là-dedans, il y a plusieurs cases que je ne coche pas, hélas… Je sais : il faudrait. Mais comme Paul se l’est entendu répondre par le Christ dans la même épître : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » (2 Cor. 12 / 9) Le sujet, l’exemple à suivre, n’est donc pas moi, mais Paul dans la parole qu’il nous adresse au nom du Christ. Et le premier point est donc « la persévérance ». Il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’engagement d’Église, de « militantisme », que de manière de se poser devant les événements de l’existence et aussi devant les éventuelles attaques contre la foi qui nous fait vivre – si effectivement nous en vivons. Car lesdits événements peuvent aussi être des attaques du diable, même si leurs causes sont diverses. Le tentateur est attentif à ce que ce qui nous arrive soit pour nous des occasions de chute. Et ça l’est bien souvent.
Mais nous avons la chance qu’en France on ne nous batte pas et ne nous mette pas en prison à cause de notre foi, encore que la situation dans notre pays ne soit pas si tranquille que ça à cet égard… Dans les pays où les chrétiens sont persécutés en tant que tels, ils font souvent preuve d’une confiance en Dieu bien supérieure à la nôtre, et vivent alors un vrai martyre – mot qui signifie « témoignage » ! Ce qui nous pose en retour la question à nous, et c’est bien celle de l’apôtre Paul : en quoi consiste notre témoignage non pas en paroles ou en solidarité humaine, mais dans la manière dont nous recevons les événements de l’existence. Le tentateur aime lorsque nous répondons concrètement que notre bien-être et notre sécurité ou ceux des nôtres passent avant. Car alors il peut constater que notre foi n’est qu’une croyance qui ne change rien en profondeur à notre vie. – Mais le tentateur a tort, vous le savez bien, il est menteur ! Ne l’écoutons donc pas lorsque nous tombons : notre Seigneur nous relèvera !
Mais aussi, tâchons de ne pas tomber. Exerçons-nous aux autres vertus chrétiennes que Paul évoque dans notre texte et que je vous rappelais il y a quelques instants. Et après tout, parce que le corps du Christ n’est pas constitué d’un ramassis de cellules indépendantes, mais qu’il est vraiment un corps avec membres, organes et articulations, nous pouvons donc nous y exercer ensemble, en cessant de considérer que nos frères et nos sœurs sont de potentiels ennemis. « Pureté, connaissance, patience, bonté, Esprit Saint, amour sans hypocrisie, parole de vérité, puissance de Dieu, armes offensives et défensives de la justice… » Que des mots agréables à entendre, mais ô combien plus agréables à vivre, à réaliser, à recevoir, à profiter ! Ensemble, puisque seuls nous sommes infirmes. « Celui qui avait plus n’avait rien de trop, et celui qui avait moins n’en manquait pas. » Ceci nous est dit à propos de la manne qui nourrit les Hébreux au désert (Ex. 16 / 18). Mais c’est vrai aussi, je le crois, de toutes ces « vertus ». Car les recevoir de l’autre fait autant de bien que d’en offrir à l’autre. Et celui qui manque de l’une n’en est alors pas dépourvu, s’il la reçoit d’un frère ou d’une sœur, et qu’il y réagit non pas en pécheur égoïste, mais en frère ou en sœur reconnaissant.
Nous ne pouvons alors plus dire « je suis impur », « je ne connais pas la Bible », « je ne suis pas patient », « je ne suis pas bon », « je n’aime pas ni ne parle en vérité », « je suis hypocrite et vaniteux », « je néglige ce que donne le Saint-Esprit et je refuse de reconnaître la puissance de Dieu dans ma vie et dans le monde, et je renonce à vivre la volonté de Dieu ». Parce que tout ceci est souvent vrai. Mais lorsque nous sommes ensemble, lorsque nous formons Église devant celui qui en est le chef, alors je puis recevoir avec reconnaissance ce dont je suis naturellement dépourvu ou incapable. Nous professons que l’Église n’est pas un intermédiaire entre Dieu et chacun de nous. C’est vrai. Elle est une famille, elle est le moyen qui nous est donné par Dieu afin que nous puissions nous empêcher les uns les autres de succomber à la tentation, de glisser sur les pentes savonneuses que le tentateur et nous-mêmes nous fabriquons sans cesse.
Alors, ensemble, puisque nous nous ramassons les uns les autres, nous pouvons tenir debout, devant Dieu notre Père, devant nos frères et sœurs chrétiens, devant le monde qui risque d’en être étonné – pas forcément content, mais étonné. Le tentateur quant à lui n’en sera certes pas content, et peut-être lui aussi étonné ! Car ainsi « nous sommes toujours joyeux », « nous possédons tout », nous annonce Paul. Car « voici maintenant le temps vraiment favorable, voici maintenant le jour du salut », le temps de vivre pleinement la grâce de Dieu en Christ, qui nous rend vainqueurs. Ainsi soit-il dans nos vies et dans notre Église ! Et tant pis pour le tentateur ! Amen.
Senones – David Mitrani – 6 mars 2022