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Actes des Apôtres 4 / 32 – 5 / 13
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texte : Actes des Apôtres 4 / 32 – 5 / 13
premières lectures : Évangile selon Luc 16 / 19-31 ; première épître de Jean 4 / 16-21
chants : 36-02 et 36-08
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Chers amis, j’étais un peu embêté en voyant le texte proposé pour ce matin dans la liste que je suis ordinairement. C’était donc le texte des Actes des Apôtres, mais il s’arrêtait après la mention de Barnabé. Or comment s’arrêter là ?! Après avoir vérifié que la suite ne nous serait pas proposée avant longtemps, je l’ai donc rallongé comme vous l’avez entendu, avec Ananias et Saphira. (Pour les amateurs de fantasy, je précise que cette Saphira n’est pas une dragonne !) Découper ainsi le texte va sans doute vous décevoir. La fin du chapitre 4, prise sans le début du 5, était belle. « La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. » Quelle Église fantastique, dans laquelle il n’y a pas de pauvres, pas de dissidents, pas de solitaires, pas d’hérétiques, aucune pensée adultère ou idolâtre. Quelle Église fantastique, dans laquelle des apôtres purs et saints rendent un fort témoignage à Jésus ressuscité, par la parole et par les actes ! Oui. Mais c’est trop beau. Il y a des vices cachés. Il y a forcément des vices, et ils sont souvent cachés… Combien d’assemblées évangéliques n’en ont-elles pas fait la douloureuse expérience lorsqu’elles ont constaté que leurs ministres n’étaient pas si irréprochables que ça ! Combien de paroisses réformées ne se sont-elles pas fragmentées, parfois à l’infini, sous prétexte de styles de piété différents, chaque groupe accusant les autres de n’être pas de vrais chrétiens ! Etc.
Sommes-nous donc condamnés à lire ces quelques versets seulement pour nous faire envie, sans jamais les voir se réaliser dans notre propre paroisse ? Certes le péché de chacun d’entre nous y participe lourdement. Nous avons toujours tendance – c’est la nature humaine telle qu’elle s’exprime dans notre culture – à rester entre gens qui se considèrent mutuellement comme fréquentables, laissant les autres de côté avec notre indifférence ou notre agacement en cadeau. Si notre cercle de relations est large, tant mieux ; s’il est étroit, tant pis. Mais comment aller vers ceux qui sont manifestement si différents de moi ? Et pourquoi vouloir y aller, d’ailleurs ? Je suis si bien chez moi, nous sommes si bien entre amis… Certains se disent peut-être que l’Église du chapitre 4 n’est, après tout, qu’un cercle d’amis, elle aussi. Peut-être notre propre Église, lorsqu’elle vit des moments communautaires heureux, ne manifeste-t-elle alors que la sympathie qui lie ses membres – enfin… ceux qui sont là ce jour-là… Qu’en est-il donc de la vision idyllique que donnent de l’Église les Actes des Apôtres dans les chapitres 2 à 4, depuis la Pentecôte jusqu’au texte de ce matin ?
Je voudrais donc d’abord vous dire de garder au cœur cette vision. Je ne crois pas que nous soyons capables de la réaliser, bien sûr. Mais je crois que le Saint-Esprit, lui, peut la réaliser parmi nous. Nous allons y résister, évidemment. Mais l’Esprit du Dieu vivant ne se décourage pas vite… ! Nous venons de le chanter : « Que ton Église fasse honneur à ta Parole, Dieu sauveur ! » C’est notre prière que notre communauté se rapproche, concrètement, de ce que le Livre nous montre et nous offre comme modèle. Et la prière elle-même transforme ceux qui la prient : peut-être cette prière arrivera-t-elle non pas à nous faire honte, ce qui nous démobiliserait, mais à nous rendre suffisamment disponibles à l’Esprit pour que nous agissions selon la volonté du Père ! Et sans culpabiliser, parce que ce qui nous est montré se produit déjà, un peu, parfois, dans notre Église. Et si vous connaissez le monde, vous savez bien que, dehors, ça ne se passe pas comme ça, loin de là ! Notre Église, et toutes les communautés chrétiennes, peuvent s’honorer de l’action de Dieu au milieu d’elles, et chacun de nous devrait pouvoir le faire quant à sa propre existence. C’est ce que la lettre de Jean exprimait aussi pour sa part : l’œuvre de Dieu pour nous et dans son Église, c’est l’amour. C’est ce que le riche anonyme de l’histoire que racontait Jésus n’a pas compris pendant sa vie – et après, c’est trop tard !
Ceci étant dit, que se passe-t-il donc dans l’Église de Jérusalem à la fin du chapitre 4 et au début du chapitre 5 des Actes des Apôtres ? D’abord un exemple. Ce qui vient d’être énoncé, eh bien il y en a un qui l’a fait ! Il a plusieurs noms. Il est Joseph. Les apôtres l’appellent Barnabé. Ce mot est traduit d’une manière qui rappelle le Paraclet, le Consolateur (Jean 14 / 26) : il est fils de l’œuvre du Consolateur, fils de la consolation, de l’exhortation, de l’assistance, apportée par le Saint-Esprit, ce que le vieux Siméon attendait avant d’avoir vu le Seigneur (Luc 2 / 25). Mais la traduction littérale de ce nom hébreu est « fils de prophétie ». Il accomplit ce qui avait été annoncé… au verset précédent ! Il accomplit ce qui avait été annoncé que les chrétiens feraient… Oui, il nous est donné en exemple. Notre culte d’aujourd’hui serait centré sur l’offrande, je vous dirais volontiers : « faites de même ». Ou plutôt : ce que l’Esprit vous suggère de donner à l’Église et à l’Entraide, temps et argent, donnez-le, afin que cela serve à qui en a besoin. On parlait dans la Bible de la dîme : le dixième des revenus… (Lév. 27) C’était un devoir. Barnabé, lui, a mis 100 % de ce revenu-là. C’est un cadeau.
Évidemment, si on peut citer un tel exemple, c’est aussi qu’il ne devait pas être fréquent ! Pourquoi en effet en citer un seul si tout le monde le faisait ? Tout le monde ne le faisait donc pas. C’est la première relativisation, implicite, que le texte lui-même nous donne. Il faut donc bien entendre : les actes de charité, comme on disait autrefois, l’exercice de l’amour fraternel, appartient à la liberté du chrétien, ce n’est pas une œuvre de la Loi au sens de l’Ancien Testament. C’est un commandement au sens du Nouveau Testament : l’amour fraternel naît dans nos cœurs et nos mains de ce que Dieu nous a aimés ; et c’est sans crainte, pour le dire comme Saint Jean, que nous aimons, c’est-à-dire c’est librement. N’en déduisez pas que nous pouvons donc ne pas le faire : la liberté n’est pas celle de décider seul, mais de se laisser porter par l’Esprit, ce qui produit une grande joie, car il nous porte les uns vers les autres, justement selon ce qui nous était montré dans les premiers versets de notre texte ! Celui qui décide seul est prisonnier de lui-même. Celui qui se laisse porter vers les autres est libéré de lui-même, il est libre !
Vient alors le contre-exemple : celui qui n’est pas libre. Ceux qui ne sont pas libres, en l’occurrence, puisqu’il s’agit d’un couple, mais qui selon Dieu est « une seule chair » (Gen. 2 / 24). Pierre l’expliquera à Ananias : sa liberté ne l’obligeait à rien, ce qui confirme que l’exemple de Barnabé était exceptionnel. Mais il a « retenu une partie du prix » qu’il prétendait donner à l’Église. Lui dont le nom signifie « Dieu fait grâce » a fait l’inverse de Dieu ! Que celui qui ne doit rien donne un peu, c’est déjà un immense cadeau. Mais que celui qui doit tout ne donne pas tout, voici ce qui est insupportable, indéfendable. Bien sûr, dans la vie ordinaire de l’Église, on ne rencontre jamais ce cas sous cette forme-là ! Certains donnent en disant « je ne peux pas plus ». Il y a ceux qui donnent ainsi beaucoup par rapport à ce qu’ils peuvent vraiment ; grand merci à eux ! Et il y a ceux qui ne donnent quasiment rien de ce qu’ils pourraient, en pensant être très généreux, alors qu’ils vont de ce pas dépenser beaucoup plus pour des vanités. Il y a aussi ceux qui promettent et ne tiennent pas. Mais il y a ceux qui n’ont rien promis et qui donnent sans qu’on s’y attende : grand merci à ceux-ci aussi ! Certes l’Église n’est pas le téléthon… La seule exigence énoncée par l’apôtre Pierre, c’est celle de la cohérence entre la parole et le geste. Si la parole est mensongère, le geste est sans valeur, quel que soit le montant apporté ! Et être menteur c’est être mort… Si la parole est droite, la valeur du geste est immense, là aussi quel que soit le montant !
Ah, mais dès qu’on parle d’argent, les raisonnements sont viciés. Vous allez ressortir de ce temple vexés, en pensant : « le pasteur veut des sous » ! Pas du tout ! Le pasteur n’est pas le « Hans im Schnokeloch », il est content de ce qu’il a ! Mais puisque ce texte est là, il faut bien le lire ! Il faut entendre ses enseignements, et ils sont nombreux. Il faut entendre cette exhortation à ce que les biens de tous servent à tous dans l’Église, et il s’agit d’argent, de temps, de compétences, de services… Il faut entendre qu’il n’est pas impossible de le faire, si on laisse l’Esprit guider notre vie de chrétien. Il faut entendre que d’ailleurs beaucoup ici le font ! Il faut entendre qu’on ne ment pas à Dieu, qu’alors c’est comme si on était mort, refusant que Dieu nous ait fait grâce en Jésus-Christ, car lui n’a rien retenu pour lui, il a donné sa vie pour nous, il ne nous demande pas notre vie en retour, il nous l’offre ! Ne la gaspillons pas en égoïstes, car alors nous nous privons de lui, malgré lui…
Et puis il y a un autre enseignement de ce texte : c’est que comprendre l’amour fraternel, la communion fraternelle, comme un commandement auquel nous devons obéir, c’est entrer dans un fonctionnement pervers, c’est se condamner à mort. Et c’est vrai d’Ananias et Saphira. Et c’est vrai de l’Église, comme vous l’avez peut-être entendu tout à l’heure : « et personne parmi les autres n’osait se joindre à eux ; mais le peuple les louait hautement… » Lorsque l’Église vit sous la Loi, elle ne peut plus se laisser porter par la grâce de Dieu, par son Esprit. Lorsque les trésoriers des générations passées citaient l’apôtre Paul : « Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Cor. 9 / 7), ils entendaient donc que sans joie, sans amour, l’argent comme l’engagement sont sans valeur. Je ne vous dirai donc pas « versez la dîme » ni même telle ou telle somme. C’est vous qui votez le budget de la paroisse, et l’argent ne vient pas d’ailleurs. Soyez donc libres et aimants, comme le dit le début du même verset de Paul : « Que chacun donne comme il l’a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte. » Et si cela porte certains à donner la dîme, voire plus, que ceux-ci et leur Seigneur en soient remerciés ! Et si ceux qui ne peuvent pas beaucoup donnent ce qu’ils veulent, c’est bien aussi, à condition que cela ne les fasse pas manquer du nécessaire.
L’amour et la crainte ne font pas bon ménage, comme l’écrivait Jean. L’argent est cette idole qui prétend réconcilier les deux : il est menteur, il ne faut pas le croire. Si vous donnez par crainte, ne donnez pas ! Si vous donnez par amour, n’hésitez pas ! La crainte mène à la mort, tandis que l’amour permet la vie, la vôtre et celle des autres. La clef de nos finances, tout comme celle de nos projets et de nos stratégies, est celle-ci : l’amour, celui reçu de Dieu et qui nous porte les uns vers les autres dans le respect, la liberté, la vérité. Là où il n’y a ni respect, ni liberté, ni vérité, alors il n’y a pas d’amour. Et s’il n’y a pas d’amour, il n’y a pas de foi, et nous nous trompons nous-mêmes. Et cela se voit alors, notre parole chrétienne est alors vidée de sens, elle devient creuse. Nous pouvons réaliser de grandes choses, cela ne trompera personne : le public sera admiratif, mais il n’entrera pas… Il dira seulement : « J’aime beaucoup ce que vous faites » ! Notre propre peur suscite la peur, pas la foi, pas l’amour. C’est le don de soi qui suscite l’amour. C’est parce que Christ s’est donné lui-même que nous aimons à notre tour, en lui. Laissons donc son Esprit nous y conduire, acceptons que sa liberté devienne la nôtre. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 14 juin 2020