Actes des Apôtres 16 / 23-34

 

texte :  Actes des Apôtres, 16 / 23-34

premières lectures :  Ésaïe, 12 / 1-6 ;  épître aux Colossiens, 3 / 12-17

chants :  92 et 271  (Arc-en-ciel)

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« Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ! » (Ps. 98 / 1) « Sous la grâce, chantez à Dieu de tout votre cœur. » L’invitation au chant, entendue dès le début de ce culte, retentit en chacun des textes bibliques qui nous sont proposés. Augustin, évêque de Bône, aurait dit que « bien chanter, c’est prier deux fois… » Alors, chers amis, sous votre douche ou bien au volant de votre voiture, en faisant la cuisine ou le ménage, au travail ou au supermarché, chantez-vous les louanges du Seigneur ? Quant à moi, à part au volant, j’y ai de la peine… mais je ne sais pas faire deux choses en même temps ! Il est vrai que je prie mieux en chantant des cantiques qu’en silence ou en paroles simplement dites ou pensées. Pour la prière, chacun se débrouille, n’est-ce pas ? Chacun le fait comme il le sent : l’essentiel n’est pas la manière, pas même le contenu d’ailleurs, mais c’est la relation vécue avec le Père. C’est ça, la prière.

 

Mais le sujet de ce matin, c’est le chant. Dans la tradition liturgique, ce 4e dimanche après Pâques s’appelle « Cantate », « chantez ! » Allons donc voir, ou plutôt entendre, ce qui se passe dans les cachots de la prison de Philippes, capitale de la Macédoine. Après avoir désenvoûté une esclave dont les soi-disant dons rapportaient beaucoup à ses maîtres, et avoir ainsi causé une émeute, Paul et Silas ont été torturés et mis au cachot, dans l’incapacité de se déplacer. Au fond de la nuit et du silence, que va-t-il se passer ? N’importe qui aurait répondu : « rien », parce qu’il n’y a rien à faire, rien à dire, seulement espérer que ce ne sera pas encore pire l’heure suivante ou le lendemain matin. Pour plus de détails, adressez-vous à Lisette ou à Jean-Louis qui vous parleront de l’ACAT et des gens qui vivent dans la peur, dans le cauchemar interminable 24 heures sur 24, qui tremblent au moindre bruit de clefs ou de pas dans le couloir…

 

Paul et Silas ont sans doute éprouvé tout ceci, tout comme Jésus entre son arrestation et sa mise en croix. Mais ils ont fait et fait entendre autre chose. « Vers le milieu de la nuit, Paul et Silas priaient et chantaient les louanges de Dieu, et les prisonniers les écoutaient. » Bien sûr, à l’époque, on ne priait pas en silence. Comme pour la lecture, on le faisait à haute voix. Mais, bon, ils auraient pu chuchoter, tout juste exprimer leur prière pour que Dieu l’entende. Peut-être que, si ç’avait été une supplication, une demande de délivrance, ils auraient fait ainsi. Encore que, non, ils auraient sans doute crié et pleuré, et ça se serait entendu, jusqu’à ce que leurs gardiens les fassent taire. Or, ils n’ont rien fait de tout ceci. Ils ne se sont pas tus. Ils n’ont pas gémi. Ils n’ont pas crié. Ils n’ont pas pleuré. Ils ont certes prié, mais leur prière consistait en chants de louanges !

 

Louange. Louer, célébrer le Nom du Seigneur. Clamer son bonheur d’avoir Dieu pour dieu, et le lui dire ! « Oh ! que c’est chose belle de te louer, Seigneur ! » Vous savez, les gens – les autres – pensent que les gens pieux louent Dieu, c’est-à-dire le remercient pour ce qu’il leur a donné de bon ; et donc, qu’ils ne louent Dieu que quand tout va bien, quand ils ont tout ce qu’il faut. Certes, il y a bien cet aspect d’action de grâces, c’est-à-dire de remerciement, dans la louange. Mais ce n’est pas le principal. La louange n’est pas intéressée. Bien sûr, quand quelqu’un vous fait du bien, vous l’en remerciez. Mais quand quelqu’un vous aime et que vous l’aimez, lui dites-vous essentiellement « merci », ou bien lui dites-vous plutôt « je t’aime » ? Eh bien c’est ça, la louange. Dire à Dieu « je t’aime ». Et comme on ne sait pas faire, généralement on chante les psaumes, qui sont là pour ça. En hébreu, le psautier biblique ne s’appelle pas « Psaumes », il s’appelle « Louanges ».

 

Voilà pourquoi, même dans la nuit et le silence, même dans l’angoisse et le dénuement, le chant des psaumes est possible. Pour les croyants, bien sûr. Pour ceux qui savent qu’il y a quelqu’un au bout du fil, et quelqu’un qui n’est pas insensible mais aimant. Jésus sur la croix n’a-t-il pas chanté ou crié le psaume 22 (Matth. 27 / 46) ? Alors oui, Paul et Silas, dans leur prison, eux aussi ont pu chanter les louanges du Seigneur : louange au Père de ce qu’il était leur Dieu, louange au Fils de ce qu’il avait donné sa vie pour eux, louange à l’Esprit qui a mis ces louanges dans leur cœur et dans leur bouche. Je ne sais pas quelles étaient les convictions des autres prisonniers du cachot, le texte ne le dit pas : étaient-ils des compagnons de Paul et de Silas, étaient-ils des Juifs, étaient-ils des païens emprisonnés pour d’autres affaires ? Le texte dit seulement qu’ils « les écoutaient ».

 

Ce chant n’était donc pas chuchoté, mais bien audible, fait non seulement pour atteindre les oreilles de Dieu, mais aussi pour atteindre les oreilles des autres personnes présentes. Si c’était des chrétiens, cela a dû les encourager, leur remonter le moral : quand on n’arrive pas à prier, savoir que d’autres le font est une bonne nouvelle, cela réchauffe le cœur, et ça peut même vous pousser à vous joindre à ceux qui le font… Si c’était des Juifs, et si Paul et Silas chantaient des psaumes, l’effet aura pu être le même. Et si c’était des païens, des gens dont la religion consiste à s’attirer les bonnes grâces des dieux, ils ont dû être interpellés : pourquoi ces chrétiens chantent-ils leur amour à un dieu qui les a envoyés au cachot ? Quel est donc ce dieu, quelle est donc cette foi ? Évidemment nos deux apôtres n’étaient pas masochistes : ils ne disaient sans doute pas « merci » ni « encore » pour la torture et la prison, mais ils se confiaient en Dieu plus fort que les ténèbres et la mort.

 

Je ne sais pas si vous avez déjà éprouvé ceci, si vous avez déjà loué le Seigneur au cœur de la détresse… L’effet est étonnant – et même ici détonnant ! – « Il se produisit un grand tremblement de terre, au point que les fondements de la prison furent ébranlés ; au même instant, toutes les portes s’ouvrirent, et les chaînes de tous se détachèrent. » Je ne crois pas que ceci ait été indépendant de la louange, ni même une réponse de Dieu. Je crois que c’est une conséquence directe de la louange. Car Dieu est de toutes façons présent là où on le prie, là où on le loue, là où on le chante, vous savez bien, Jésus nous l’a dit : « là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Matth. 18 / 20) La louange du Seigneur produit donc tout ce chamboulement, et je veux croire qu’il est d’abord intérieur : la louange – comme toute prière faite dans le Nom de Jésus, en lui – la louange change celui qui loue. Bien sûr, on peut dire « je t’aime » sans y croire, sans y penser. C’est dommage… On peut chanter des cantiques sans penser à ce qu’on dit : qu’importe alors qu’ils soient censés s’adresser au Dieu de Jésus-Christ, on chanterait des sourates du Coran ou des vers de la Bhagavad-Gita de la même façon !

 

Mais non. Ici nous parlons de la vraie prière, celle qui met l’orant en communion avec Jésus-Christ, et par lui avec le Père. C’est la prière de l’Esprit, lorsque nous le laissons nous emporter vers Dieu. Eh bien oui, cela fait trembler la terre ! Et dans notre récit de ce matin, ce chamboulement n’est pas seulement intérieur, il s’étend à la prison elle-même, au point d’en réveiller le directeur ! Mais quant à lui, il devra attendre encore un peu. Car avant qu’il n’apparaisse, comme vous l’avez entendu vous aussi, « toutes les portes s’ouvrirent, et les chaînes de tous se détachèrent. » Comme pour nous dire que la louange des apôtres au cœur de la prison a rendu caduque la prison ! Qu’est-ce qu’une prison dès lors que ses portes s’ouvrent ? Que sont des chaînes qui ne retiennent plus rien ni personne ? La louange a libéré tout le monde, aussi bien ceux qui louaient Dieu que ceux qui les entendaient : voilà le vrai miracle ! Voilà la véritable efficacité de la louange !

 

On comprend bien alors les exhortations que Paul adressait aux Colossiens dans son épître, le lien qu’il faisait entre amour et pardon d’une part, chant et action de grâces d’autre part. En fait, le chant de louange libère pour aimer et pardonner, la louange là aussi fait tomber les chaînes et ouvre les portes fermées à clef, les portes des plus sombres cachots où nous sommes enfermés et où nous enfermons les autres. Souvent, quand on est conscients du problème, quand on se sait enfermés et enfermants, on essaye de faire des efforts. Ça ne marche pas, bien sûr ! Il faut au contraire arrêter de faire des efforts, et louer le Dieu qui nous libère et de nos prisons, et de nos efforts pour en sortir par nous-mêmes… Je reviens aux autres prisonniers : je ne sais toujours pas s’ils étaient chrétiens, s’ils se sont associés à la louange des deux apôtres. Mais ce qui est sûr, c’est que Paul et Silas les y ont associés, eux, et c’est pourquoi toutes les portes se sont ouvertes, et non pas seulement celles du cachot de Paul et Silas.

 

Le suivant à en profiter sera le directeur de la prison, le geôlier sur le point de se tuer pour avoir laissé s’échapper les prisonniers qu’on lui avait bien recommandé de garder étroitement. Lui pourtant n’a pas entendu la louange, n’en a pas été touché directement ; mais indirectement, oui. Prisonnier de son rôle, celui-ci le mène à la mort, et c’est bien la louange des chrétiens qui le lui a révélé, à travers ce qu’elle a produit : par raccourci, on pourrait dire qu’ils ont loué Dieu, et qu’il a réalisé finalement qu’il était voué à mourir. Mais ceux qui ont été déjà libérés par cette louange sont encore tous là. Quand les portes sont ouvertes, qu’on soit dehors ou dedans n’a plus d’importance. Comme Jésus le dit de ses brebis, lui le bon berger : « Moi, je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera des pâturages. » (Jean 10 / 9) Et comme Paul le dira aux esclaves devenus chrétiens : « As-tu été appelé en étant esclave, ne t’en inquiète pas ; mais si tu peux devenir libre, profites-en plutôt. Car l’esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur. » (1 Cor. 7 / 21-22)

 

Le geôlier comprend tout de suite, lorsque Paul lui montre la vraie liberté de ses prisonniers, il comprend qu’il est question de vie et de salut, c’est-à-dire de sa vie et de son salut. Finalement, c’est lui qui sera amené à louer Dieu à son tour : « [il] se réjouit avec toute sa famille d’avoir cru en Dieu », nous dit le texte. Voilà : la louange, c’est de se réjouir avec tous les siens de ce que ce Dieu est notre Dieu, de ce que Jésus a donné sa vie pour nous, et ce faisant nous a donné sa vie à nous. L’Esprit saint nous rend libres en toutes circonstances, et jusque dans la mort. C’est la « glorieuse liberté des enfants de Dieu » dont Paul parle ailleurs (Rom. 8 / 21). Comment cette liberté s’exprime-t-elle ? Par la louange, la louange portée aux oreilles – et, Dieu voulant, au cœur – de ceux qui nous entourent. Alors, pour vous en servir, rappelez-vous les psaumes, que ce soit dans la mélodie du XVIe siècle genevois, ou dans des mélodies plus modernes ! Mais rappelez-vous aussi cet épisode de la prison de Philippes, et chantez votre louange à Dieu, et ne le faites pas seul s’il vous est donné que des oreilles soient à portée de votre voix. Vous verrez alors que non pas une, mais plusieurs prisons pourront s’ouvrir… Dieu « est fidèle, c’est lui qui le fera » (1 Thess. 5 / 24). Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  29 avril 2018

 

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