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Actes des Apôtres 12 / 1-11
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texte : Actes des Apôtres, 12 / 1-11
premières lectures : Lamentations, 3 / 22-26. 31-32 ; deuxième ép. à Timothée, 1 / 7-10 ; Évangile selon Jean, 11 / 1. 3. 17-27
chants : 34-15 et 48-05
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La vie, la mort, tout ça… C’est dans quel ordre, d’après vous ? Bon, si je pose la question, c’est que la réponse n’est pas celle qu’on croit, évidemment ! La réponse logique que ferait tout un chacun, croyant ou pas, serait de dire : la vie va vers la mort. Ensuite, selon qu’on est croyant ou pas, on rajoute : après la mort, il n’y a rien, ou alors on confesse qu’après la mort, il peut de nouveau y avoir quelque chose. C’est ce que dit Marthe de Béthanie à Jésus après la mort de son frère : « Je sais, il ressuscitera à la Résurrection, au Dernier jour… » On l’entend presque soupirer de devoir ainsi se faire une raison avec ce qui ne la console pas vraiment, ou même vraiment pas ! Jésus lui dira autre chose… C’est cette autre chose que l’épisode rapporté par les Actes des Apôtres ce matin nous montre aussi.
C’est qu’il y a d’abord les ténèbres, et qu’ensuite vient la lumière ! C’était déjà écrit à la première page de la Bible (Gen. 1 / 2-5), il n’y a pas de surprise pour qui la connaît ! Rappelez-vous aussi le « cantique d’Anne », la mère du petit Samuel (1 Sam. 2 / 6-8) : « L’Éternel fait mourir et il fait vivre, Il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter. L’Éternel appauvrit et il enrichit, Il abaisse et il élève. De la poussière il redresse l’indigent, Du fumier il relève le pauvre. » Le mouvement est important, il va de bas en haut, et non pas l’inverse, il va de la mort à la vie : voilà le vrai mouvement qui nous est révélé dans l’Écriture. Nous avons de la peine à y croire, parce que c’est le contraire de ce que nos sens nous montrent. Dès que nous sommes conscients, nous voyons la lumière : il n’y a pas d’avant. Et dans notre expérience, petit à petit les ténèbres s’approchent, parfois plus brutalement, et tout s’achève dans une obscurité d’autant plus totale qu’aucune connaissance ne nous en est donnée.
Notre expérience est trompeuse. Comme le dit le mauvais jeu de mots : « le senti… ment. » Pour reprendre dans l’ordre les textes bibliques de ce culte : l’Exil vient d’abord, le salut vient ensuite ; la timidité vient d’abord, la force vient ensuite ; la mort vient d’abord, la résurrection vient ensuite ; et, donc, la persécution et la prison, pour les disciples de Jérusalem, viennent d’abord… Que viendra-t-il ensuite ? C’est comme dans notre culte, si l’on fait attention à ce qu’on y met, moi pour vous le proposer, vous pour le célébrer : la confession de notre péché précède l’annonce de la grâce, car notre péché précède la grâce de Dieu. Les ténèbres avant la lumière. Penser l’inverse serait pervers et générateur de grande et irrémédiable tristesse, car si la grâce vient d’abord, puis mon péché, alors, quelles ténèbres ! Mais non. L’amour de Dieu vient d’abord, certes, mais les ténèbres qui sont miennes m’empêchent de le recevoir. Il y faudra quelque chose de plus : la grâce de Dieu en Jésus-Christ, sa mort créatrice de vie.
Pierre est donc en prison, au moment-même où le peuple juif, son peuple, célèbre la Pâque, c’est-à-dire la libération ! C’est un comble… Le roi Hérode, petit-fils de celui du « massacre des Innocents », neveu de celui qui renvoya Jésus à Pilate, vient compléter la série des adversaires de l’Évangile. Il ne fait là qu’œuvre humaine, comme le rappelle le nombre 4 des escouades qui gardent le prisonnier, un 4 élevé au carré : 4 fois 4 soldats pour garder Pierre ! Vous avez entendu quelle fut l’efficacité de ces gardiens : parfaitement nulle. Pourtant un seul aurait suffi à garder cet artisan pêcheur galiléen. Mais justement, l’Évangile annoncé par des humains à des humains n’est pas affaire humaine, mais affaire divine. L’Évangile prêché à Jérusalem dans les années 40 du premier siècle de notre ère est encore prêché aujourd’hui, et dans le monde entier. Les descendants d’Hérode le Grand ont tous disparu, y compris Agrippa et les siens. Ce qui n’empêche pas l’Église de Jésus-Christ d’être persécutée largement dans les pays athées et dans les pays musulmans, hindous voire bouddhistes.
Mais pour nous autres, si nous sommes Pierre, quelle est donc notre prison, quelles sont nos ténèbres ? Peut-être la lettre à Timothée nous le dit-elle un peu : « Ce n’est pas un esprit de timidité que Dieu nous a donné, mais de force, d’amour et de sagesse. N’aie donc pas honte du témoignage à rendre à notre Seigneur. » L’auteur du livre des Actes nous le présente de manière plus implicite, dans la seule phrase prononcée par Pierre, à la toute fin de l’extrait que je vous ai lu : « il m’a délivré de la main d’Hérode et de toute l’attente du peuple juif. » Qu’attendait donc « le peuple juif » dont parle ce Juif qui n’attendait manifestement plus la même chose désormais ? Des Juifs attendaient peut-être la mort de Pierre après celle de Jacques, et l’élimination de cette hérésie que les disciples de Jésus appelaient « la Voie ». Mais ne supposons pas… Dans les Évangiles, les Juifs attendent un messie, roi ou prêtre pur qui restaurera l’indépendance et la sainteté d’Israël, et individuellement, à la suite des Pharisiens, ils attendent et recherchent la vie éternelle. C’était la question du « jeune homme riche » que je vous cite si souvent (Luc 18 / 18) ou du Pharisien à qui Jésus parla ensuite d’un « bon Samaritain » (Luc 10 / 25) : « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? »
« Que dois-je faire ? » Faire… Homo faber, disent les philosophes, l’humain capable de fabriquer… L’humain décidé à être lui-même l’artisan de sa propre vie, de son propre salut… et, pourquoi pas, le chrétien voulant être lui-même l’artisan de son propre témoignage. L’être humain qui veut prendre, sans même en avoir conscience, la place de Dieu dans sa propre vie et dans le monde. Que dois-je faire pour grandir ? Que dois-je faire pour aider les autres ? Que dois-je faire pour protéger les miens ? Que dois-je faire pour que l’Église soit plus nombreuse ? Que dois-je faire pour sauver la planète ? Que dois-je faire pour gagner… ? Faire, gagner. Moi, moi, moi… Voilà « l’attente du peuple juif » : accomplir les œuvres, tout ce qui est prescrit, et s’abstenir de tout ce qui n’est pas permis.
Pierre comme les autres ? N’a-t-il pas fait des miracles (Actes 5) ? Et déjà alors, il avait été jeté en prison… Ne s’était-il pas heurté à un autre Simon, comme en un miroir, un Simon qui lui aussi voulait pouvoir faire de la magie avec la foi (Actes 8) ? Ne serait-ce pas de cela – et non pas seulement d’Hérode Agrippa – que Pierre est prisonnier ? Le livre des Actes ne vient-il pas tout juste de parler de la question qui opposera Paul à d’autres chrétiens quelques pages plus loin : justement celle de l’observance des commandements pour les nouveaux chrétiens non Juifs ? (Actes 15) En effet, tous n’ont pas été ravis que Pierre ait baptisé le capitaine romain Corneille et sa famille sans les faire juifs (Actes 10-11). Pierre aurait-il commencé à percevoir que la Loi juive comme moyen de salut était une prison ? Aurait-il entraperçu que dans la foi chrétienne ce n’est pas le croyant qui fait le travail, mais Dieu lui-même, en la mort de son Fils ?
Il s’est passé en vrai, pour Pierre et pour chacun de nous, ce que l’action de l’ange montre de manière simple et banale : l’initiative et la réalisation de notre délivrance par Dieu lui-même. Dans cette scène, Pierre n’est acteur de rien, d’autant qu’il croit qu’il s’agit d’un rêve et non de la réalité. Le rêve aurait été suffisant pour comprendre. Mais la libération opérée par Dieu en Jésus-Christ n’est pas un rêve, c’est une vraie libération. Ainsi, la libération de Pierre de sa prison a-t-elle aussi été réelle ! D’aucuns pensent que Dieu n’existe pas ; mais ce sont les chaînes, les portes, les gardes, qui ici n’existent pas ! Ce sont les commandements et les interdits de la Loi juive qui n’existent pas, comme Dieu l’avait montré à Pierre juste avant que Corneille ne le fasse appeler (Actes 10 / 9-16). Il n’y a rien à faire, c’est shabbat : Dieu a l’initiative, il convient simplement de le laisser faire, de se laisser libérer par lui, comme Pierre par l’ange.
Il y a donc deux pentes à ne pas suivre. La première, peut-être la plus usuelle pour nous autres, c’est de dire : il faut faire, mais je ne peux pas, tant pis… La lucidité sur notre impuissance, ou au moins notre faiblesse, conjuguée à l’idée persistante que nous devrions faire, nous entraîne directement dans un mélange de révolte et de désespoir : Pourquoi donc ne puis-je pas ? Pourquoi Dieu ne me donne-t-il pas les moyens ? Alors, même si un ange venait nous secouer, nous « frapper au côté », nous ne nous lèverions pas, persuadés que c’est à nous de faire et que nous ne pouvons pas. Si Dieu avait écouté Moïse qui ne savait pas parler (Ex. 4 / 10-17), il ne l’aurait pas envoyé délivrer les Hébreux. S’il avait écouté Jérémie qui était trop jeune, il ne l’aurait pas envoyé « arracher et abattre, faire périr et détruire, bâtir et planter » (Jér. 1 / 10). Pierre s’est laissé faire, et ça, c’est un bon exemple, à suivre !
Car la seconde pente à ne pas suivre, elle non plus, c’est de croire que nous pouvons. C’est d’élaborer des stratégies de piété pour nous-mêmes, ou des stratégies d’Église, ou de charité. Je n’ose dire d’amour, car le mot stratégie ne va pas bien avec le mot amour… Comme les gens qui ont rencontré Jésus, dont je parlais tout à l’heure, nous voulons savoir quoi faire, pour le faire ! « Viens et suis-moi » ne nous suffit pas. C’est aussi ce que dit l’ange : « lève-toi [… habille-toi …] suis-moi. » Pierre, même en rêve, ne demande pas ce qu’il doit prendre – l’ange le lui dit – ni où il doit aller – il verra bien quand il sera dehors ! Simplement la confirmation de la prophétie : « Voici que j’envoie mon ange : il ouvre un chemin… » (Mal. 3 / 1) Comme Pierre qui avait commencé à le comprendre au chapitre précédent, il faut nous libérer de la dictature du « faire », qui nous transforme soit en esclaves de notre faiblesse soit en idolâtres de nous-mêmes, il faut nous rendre disponibles à la survenue du messager et à sa libération !
Ce qui est drôle, c’est que personne n’y croyait. Nous avons vu Pierre penser qu’il rêvait, et ne comprendre la réalité de sa libération qu’une fois dehors. Nous avons vu que « sans relâche, la prière montait de l’Église vers Dieu pour lui. » Mais lorsqu’il frappera à la porte deux versets plus loin, personne ne lui ouvrira, parce que ses amis n’avaient pas cru que leur prière serait exaucée ! (Actes 12 / 13-16) Pourtant Jésus avait dit : « Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé. » (Marc 11 / 24) Si nous ne le croyons pas, pourquoi le demander ? Si nous ne croyons pas que Dieu nous donnera les moyens d’accomplir sa volonté pour nous et pour son Église, pourquoi le demander ? D’ailleurs, le demandons-nous ? Oui, demandons-le, et croyons que cela nous est accordé : non pas notre volonté, mais la sienne (Marc 14 / 36). Que lui fasse en nous ce dont lui a besoin à notre égard, afin que sa mission à lui s’accomplisse, à travers nous si tel est son projet, ou autrement s’il le veut. Or son projet est un projet de libération, nous le savons, et celle-ci est déjà accomplie en Jésus-Christ.
Que la réalité nous en soit donc communiquée, Seigneur, au cœur-même de nos prisons, de nos comportements mortifères, de nos élans comme de nos défaites. Emmène-nous vers dehors. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 16 septembre 2018