Lamentations 3 / 21-33

 

texte :  Lamentations de Jérémie 3 / 21-33

premières lectures :  Évangile selon Jean 11 / 1.3.17-45 ; deuxième épître à Timothée 1 / 7-10

chants :  34-15 et 34-18

téléchargez le fichier PDF ici

 

Dieu fait grâce ! Pas d’autre bonne nouvelle que celle-ci, pas d’autre possibilité de salut, pas d’autre moyen de mettre fin à l’insurmontable distance entre moi et moi, entre moi et les autres, entre moi et Dieu. La Réforme protestante s’est faite là-dessus, et non pas sur les dérapages de la pratique romaine, quoique celles-ci fussent une conséquence d’une grâce mal prêchée, mal comprise, sans effets concrets. La grâce en effet n’est ni le coup de pouce pour faire des œuvres méritoires, ni au contraire la licence pour faire n’importe quoi. La grâce de Dieu, c’est ce qui me fait vivre, aimer, agir, sans que je le mérite, et sans que j’y gagne quoi que ce soit aux yeux de Dieu. La grâce de Dieu, c’est pour moi, c’est cadeau, c’est pour en vivre ensemble. C’est pour en être ressuscité !

 

Cette grâce, c’est ce qui est traduit par « sa bienveillance » dans le texte que je vous ai lu. Et ce mot est même au pluriel en hébreu dans ce passage. Chouraqui traduisait « ses chérissements », ce qui n’est pas du français, mais est bien plus évocateur. Pourrait-on parler alors d’actes d’amour ? La « bienveillance » de Dieu est efficace, elle produit de l’amour, elle produit du bonheur, elle produit de la vie. Mais nous autres, qui pensons toujours que nous voyons mieux les choses que Dieu ne les voit lui-même, nous voyons nos existences qui n’ont pas l’air si graciées que ça ! Et encore ne vivons-nous pas dans Jérusalem saccagée par les Babyloniens et leurs alliés… Mais restons-en à aujourd’hui. La grâce de Dieu nous semble bien lointaine, bien théorique. Ce n’est pas un hasard si la plupart des gens préfèrent « gagner leur vie », faire des « œuvres méritoires », travailler eux-mêmes à leur salut et à celui de leur famille, qu’ils croient en Dieu ou pas… Et comme ça ne marche pas, le résultat, c’est le désespoir : on vit juste pour mourir, en attendant de mourir…

 

Notre lamentation, dans le passage que je vous ai lu, veut résister à cela. Car on peut pleurer sur ce qui nous arrive, sans pour autant désespérer ! L’auteur affirme sa volonté de résister au désespoir, et pour ce faire il se tourne évidemment vers Dieu et non pas vers ses propres forces, qui ont été mises par terre ! Ainsi sa lamentation est une attente des « bienveillances » et des « compassions » de Dieu, qui, dit-il « se renouvellent chaque matin ». Quand on est dans la nuit, il est bien de se souvenir que « le matin vient » (És. 21 / 12). Comme dit le proverbe fameux : « après la pluie vient le beau temps ». Sauf que cela peut ne pas être vrai. Et puis, dans la vraie vie, celle que les proverbes figent et méconnaissent, la nuit peut durer longtemps, elle peut durer toujours… Or pour l’auteur du texte il ne fait aucun doute que la grâce de Dieu se réalise pour le croyant quand il en a besoin, même si celui-ci trouve que ça tarde trop !

 

L’auteur pose, et nous propose, un acte de confiance dans la « fidélité » de Dieu – on peut aussi traduire sa « vérité ». La parole de Dieu est quelque chose de solide, auquel on peut se fier. Et plutôt que d’en déplorer l’absence ou le retard, il nous propose de l’attendre, de nous y attendre. C’est toute une orientation de l’existence qui change : non plus pleurer sur nous-mêmes, mais attendre une consolation dont on est sûr et certain qu’elle vient. Dans l’évangile de Jean, à plusieurs reprises il est question de Jésus comme « celui qui doit – ou qui devait – venir », c’est un participe futur, ce qui n’existe pas en français. La foi qui s’exprimait ainsi est justement la même que celle de la lamentation de ce matin : une attente confiante sans qu’on ne sache ni quand ni comment. La bonté de Dieu ne peut d’ailleurs s’exercer qu’envers celui qui s’attend à elle. Comment celui qui lui tourne le dos pourrait-il l’apercevoir, comment pourrait-il la recevoir et en profiter ?!

 

Cette confiance suppose une humilité non feinte. Si je pense sincèrement que je peux me passer de Dieu pour vivre, mais que je m’adresse seulement à lui si ça ne marche pas, c’est-à-dire en second choix, en dernier recours, je ne dois pas m’étonner qu’il y ait alors quelques problèmes de cohérence, quelques distorsions dans ma relation avec Dieu ! « L’Éternel est mon partage, dit mon âme… » Il me faut, il nous faut, en être convaincus – le sommes-nous ? Pour le dire comme le psalmiste : « L’Éternel est pour moi, je ne crains rien : que peut me faire un humain ? » (Ps. 118 / 6) Dieu est-il mon Dieu ? Vous savez bien, c’est à la fois le reproche et la promesse des prophètes, lorsque Dieu dit « je serai leur Dieu, ils seront mon peuple. » (p.ex. Jér. 31 / 33) C’est bien en ceci que consiste la grâce : non pas dans les petits détails – le fameux « tout est grâce » qui ne veut rien dire – mais dans le sens et la réalité de l’existence vécue devant Dieu. Pour le croyant, la grâce est le contraire de la culpabilité. C’est la vie avec Dieu, chaque jour, qui « se renouvelle chaque matin » quelle qu’ait pu être la nuit.

 

Il y a, au milieu du passage que je vous ai lu, 3 versets à la suite qui commencent chacun par le mot « bon », traduit par : « il est bon ». « Il est bon, l’Éternel… » ; « il est bon d’attendre en silence… » ; « il est bon pour le brave… » Nous avons là un chemin, une cohérence qui explique aussi pourquoi Dieu n’est pas concrètement à nos ordres, pour répondre quand on l’appelle et pour ce pour quoi on l’appelle. Tout ceci sous le signe du « bon », du « bien », pour nous, bien sûr. L’affirmation de la bonté de Dieu vient en premier, dès lors que je « le cherche ». Puis vient « attendre en silence », qui est notre situation ordinaire si l’on sait que crier que ça ne vient pas assez vite ne sert à rien ! Et puis, le silence sert aussi à se calmer, à écouter, à être attentif aux signes, aux autres, etc. Contrairement à ce qu’on pense parfois, le silence permet à l’existence de prendre toute sa place, lorsque ce silence est celui d’une attente et non pas d’un néant. Notre société ne connaît plus le silence, nous sommes gavés de bruit, d’information, de paroles qui ne veulent rien dire – pour les politiciens, on parle « d’éléments de langage » : des mots pour noyer le poisson !

 

Vient enfin le troisième « il est bon » : « il est bon pour le brave de porter le joug dans sa jeunesse » … Étrange phrase. Dans ma traduction, c’était écrit « pour l’homme », mais le mot désigne plutôt le héros, l’homme brave, le guerrier, celui justement dont on ne s’attend pas à ce qu’il porte un quelconque joug sur des épaules qui au contraire devraient être redressées. Mais la réalité de l’attente de Dieu est souvent là, dans la situation qui, à d’autres, causerait du désespoir, comme je vous le disais il y a quelques minutes. Serait-ce que la bravoure du croyant consiste à supporter les épreuves, ou plutôt à vivre les malheurs non comme des fatalités mais comme des épreuves, des épreuves dont il peut sortir vainqueur ? L’épreuve n’est insupportable que lorsqu’on est dedans, elle ne l’est plus lorsqu’on en est sorti. Encore faut-il en sortir. Mais justement, celui qui nous en fait sortir debout, vivant, c’est Dieu lui-même, comme notre texte l’affirme depuis le début. C’est bien alors l’épreuve qui n’est plus vue de la même manière. Elle est le moyen obligé de l’attente du salut, le mode normal de l’existence croyante. Car le croyant regarde vers la sortie, vers « celui qui vient ».

 

Certains, comme l’auteur, considèrent parfois que cette épreuve est terrible et méritée – il parle de la chute de Jérusalem et de Juda ! Dans une autre prédication il n’y a pas longtemps, je disais que le pardon est l’autre nom de l’amour, et c’est bien alors ce qui se joue ici. Si l’épreuve est ressentie comme une punition, alors Dieu doit être regardé comme un Dieu qui pardonne, qui « ne rejette pas à toujours ». Dans ce qui paraît comme un jugement, une condamnation appelée à être levée, Dieu n’est d’ailleurs pas nommé « l’Éternel », mais simplement « le Seigneur ». Comme si penser Dieu ainsi ne lui correspondait pas vraiment, comme si c’était une manière de le voir mais pas la vérité qui réside en son nom. Toujours est-il que même là, c’est la grâce qui vient et non la condamnation éternelle. Et ce sont les mêmes mots qu’au début : la « compassion », les « bienveillances ». Là sont les caractéristiques de l’action de Dieu envers nous. Comme il est écrit dans le merveilleux chapitre 55 du prophète Ésaïe : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; invoquez-le tandis qu’il est près. Que le méchant abandonne sa voie, et l’homme de rien ses pensées ; qu’il retourne à l’Éternel qui aura compassion de lui, à notre Dieu qui pardonne abondamment. » (És. 55 / 6-7)

 

L’image paternelle de celui qui corrige le fautif s’efface devant l’image maternelle de celle qui nourrit de son amour même le fautif ! Car telle est la grâce de Dieu, et elle est venue à nous en Jésus-Christ, « celui qui vient », le Sauveur. C’est ce que chante le très fameux cantique « Amazing grace » que j’aurais pu choisir pour ce culte : « La grâce a mis le trouble en moi et m’en a délivré… » (in Alléluia 45-24, str. 2) Dieu me fait comprendre combien j’ai besoin de lui, et alors il vient et il délivre ! Sinon, que seraient la croix et la résurrection de Jésus, sinon de la mythologie, une explication mystérieuse de la destinée humaine ? Mais non. La grâce de Dieu en Jésus-Christ est pour moi, elle vient à ma rencontre dans mon existence concrète, au milieu des malheurs visibles ou cachés, au milieu des fautes secrètes ou publiques. Le pardon de Dieu, annoncé au début de chaque culte, m’est donné à moi personnellement pour ce qui en a besoin dans ma propre vie.

 

Et c’est bien une telle grâce que j’attends et espère, que « j’attends en silence » au creux de mon existence. J’attends et espère la victoire du Christ ressuscité sur mes propres défaites, j’attends et espère le matin de ses bienveillances, j’attends et espère le moment, les moments, où sa compassion m’atteindra et bouleversera mon cœur. N’est-ce pas cela d’ailleurs que la sainte cène nous permet de vivre ? Le pain et le vin agissent sur mon corps comme le Christ sur mon âme, ainsi pensait Calvin. Le fait de manger et de boire ne sont jamais anodins, ils peuvent être ambigus, mais les mots de la cène lèvent toute ambiguïté : ce que je ressens physiquement à ce moment-là, c’est la communion spirituelle avec le Christ que son Esprit me procure. La cène est le moment où le pardon annoncé au début, puis prêché maintenant, prend corps en moi, dans ma vie. Elle est ce par quoi nous devenons ensemble corps du Christ, corps du Christ ressuscité. Elle est donc ce moment à la fois fugace et éternel où je goûte déjà ma propre résurrection, et la défaite de tout ce qui m’oppresse.

 

M’attendre à Dieu, c’est donc m’attendre à ma propre résurrection, espérer la vie nouvelle et éternelle que le Christ m’a gagnée et offerte, et c’est déjà la vivre dès maintenant. Le pardon de Dieu est alors lui-même synonyme de résurrection, qui est l’acte d’amour suprême par lequel ma mort est révoquée, défaite, au prix de la vie de Jésus-Christ. Y a-t-il une plus grande espérance ? Comme le chantait le vieux Siméon : « Maintenant, Maître, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut. » (Luc 2 / 29-30) Vous et moi, nous pouvons aller en paix vivre nos existences au cœur du monde, car, oui, « [nos propres] yeux ont vu le salut » de notre Dieu. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  19 septembre 2021

 

 

 

Contact