Première épître aux Thessaloniciens 5 / 14-24

 

texte :  Première épître aux Thessaloniciens 5 / 14-24

premières lectures :  Évangile selon Luc 17 / 11-19 ; épître aux Romains 8 / 14-17

chants :  36-29 et 31-20

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« En toute circonstance, rendez grâces. » C’est sans doute à cause de ce verset que ce texte a été retenu pour ce jour, car tout le culte de ce dimanche tourne autour de ce thème. Mais je ne suis pas sûr que ce soit la première chose que vous ayez remarqué dans cet extrait de ce qui est sans doute le plus vieux livre du Nouveau Testament. En fait, de plusieurs manières, il y est question du bien et du mal. Et c’est là que ça se complique, c’est là que nous sortons de l’angélisme. J’ai connu une étudiante en théologie – lorsque moi-même j’étais étudiant – qui « rendait grâces », c’est-à-dire qui disait merci à Dieu – quoi qu’il lui arrive, y compris les choses très négatives ou très mauvaises. Selon ce qu’on entend par là, ce peut être très évangélique, ou au contraire très superstitieux, voire païen. Car Dieu n’est pas le destin, mais c’est une personne vivante, avec qui nous pouvons parler. Sinon, d’ailleurs, que signifierait de lui dire merci ? Voyons donc quel est le cadre de cette exhortation de Paul à tous les chrétiens, y compris vous et moi…

 

Or le cadre, c’est que nous sommes dans une situation où du mal se produit, des choses négatives, nocives. Or Paul ne parle pas de la société, ici, mais de l’Église. Il nous montre une Église réaliste, réelle, et non pas fantasmée. Dans cette Église, il y a donc des gens qui « vivent dans le désordre », écrit-il, d’autres « qui sont abattus », d’autres qui sont « « faibles », d’autres qui usent notre « patience ». Vous entendez bien qu’on ne peut pas assimiler ces cas les uns aux autres. Car le mal est divers ! Il nous est donc demander d’abord d’ouvrir les yeux, de discerner ce qui se passe autour de nous, de l’analyser comme il faut et non pas avec nos propres lunettes. Et peut-être, bien que ce ne soit pas exprimé ici, d’ouvrir les yeux sur nous-mêmes. Rappelez-vous l’histoire de la paille et de la poutre : « Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil”, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans ton œil ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras à ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (Luc 6 / 42) Les exhortations de l’Apôtre sont bien sûr conditionnées par ça, si nous ne voulons nous faire rappeler vertement à nous occuper de nos propres affaires !

 

Or ce qui se vit dans l’Église, ce que vivent nos frères et sœurs, ce sont aussi nos propres affaires. Sinon l’Église n’est qu’une association religieuse et ses membres seulement des sociétaires ou des bénévoles. Mais vous savez bien que l’Église, ce n’est pas ça ! L’Église est une assemblée de frères et sœurs de Jésus-Christ, comme nous le rappelait la seconde lecture tout à l’heure. Nous sommes donc responsables les uns des autres. Certes nous avons la tentation de répondre comme Caïn : « Suis-je le gardien de mon frère, moi ? » (Gen. 4 / 9) Mais il est vrai que nous ne sommes souvent même pas capables d’être nos propres gardiens… C’est d’ailleurs pour ça que nous avons des frères et sœurs, pour exercer à notre égard à chacun ce que Paul demande à chacun de nous ! Car en fait, ça ne marche que si c’est mutuel et réciproque, sinon c’est du paternalisme de mauvais aloi, voire une surveillance policière, comme elle s’exerçait parfois, autrefois, dans les Églises de tradition calviniste ou évangélique. Alors, si nous comprenons bien cela, nous pouvons revenir à l’exhortation de Paul.

 

Il y a donc des frères ou des sœurs « qui vivent dans le désordre », que ce soit dans leur corps, dans leur tête, dans leur couple, dans leur foyer, dans leur travail, dans la société, etc. Je ne vous en ferai pas le détail, mais vous voyez bien de quoi il s’agit : adultères, drogues, violences conjugales, complotisme, amour de l’argent, mais aussi tant et tant d’autres choses… Généralement nous le savons – même si le pasteur, toujours naïf, est souvent le dernier à s’en apercevoir… Paul nous dit que ces choses sont mauvaises, et qu’elles doivent être soignées – d’abord dénoncées, puis soignées, car c’est par amour qu’il convient de le faire, et non par moralisme. Évidemment il ne viendrait à l’idée de personne de « rendre grâces » pour de tels « désordres » ! De même, mais parfois de manière moins visible, nombreuses sont les personnes « abattues » pour toutes sortes de raisons ou souvent par un cumul de causes auxquelles elles n’arrivent pas ou plus à faire face. Il peut nous sembler plus facile d’intervenir dans ces cas, mais on peut aussi y faire plus de dégâts : c’est plus délicat. De même « supporter les faibles » risque de les enfermer encore plus dans leur faiblesse en en faisant la définition de ce que sont ces personnes… Bref, les exhortations de l’apôtre Paul ne sont pas faciles à mettre en œuvre.

 

Le seraient-elles que Paul n’aurait sans doute pas eu besoin d’en écrire ! Mais l’enjeu est important. Il s’agit, dans la mesure du possible, de permettre la transformation de quelque chose de négatif, de mauvais, en quelque chose de positif, de bon ; de transformer la situation mortifère d’un frère ou d’une sœur en une situation de vie meilleure ; d’être en quelque sorte agent de bénédiction. Or Dieu ne bénit pas le mal ou la mort, il bénit le bien et la vie, il bénit ce qui fait passer du mal au bien, de la mort à la vie. « Prenez garde que personne ne rende le mal pour le mal », écrit Paul. Bien sûr cela veut dire de ne pas se venger, comme il l’écrit ailleurs dans un texte qui ressemble beaucoup à celui-ci (Rom. 12 / 9-21). Mais dans le contexte de ce passage-ci, cela veut aussi dire que si nous laissons subsister une situation mauvaise pour un frère ou une sœur en n’y intervenant pas, nous renforçons ce mal, nous concourons à une œuvre de mort en nous abstenant de la combattre. Quand je suis devenu protestant, une phrase dans un livre d’histoire m’avait frappé : je crois que c’était l’épouse de l’amiral de Coligny qui disait à son mari quelque chose comme « vous serez meurtrier de tous ceux que vous n’empêcherez pas d’être meurtris ». C’est bien cette logique-ci. Laisser un frère ou une sœur prisonnier quand on pourrait l’aider, c’est rajouter à ses chaînes.

 

Par contre, la « recherche du bien » peut alléger bien des fardeaux. Bien des gens qui vivent dans le désordre ne peuvent plus s’en sortir seuls, quelles que soient les apparences. N’était-ce pas la raison d’être de l’Armée du Salut, de la Croix bleue, des œuvres d’entraide du protestantisme, etc. ? Paul ne parle pas ici de choses d’une telle ampleur, qui sont pourtant une conséquence claire de l’Évangile, mais déjà de ce qui est le premier pas : vivre la fraternité en paroisse de telle sorte que ceux qui sont prisonniers de quelque chose, voire d’eux-mêmes, puissent sortir de leur prison. Nous serons ainsi bons témoins de celui qui libère et qui sauve, et qui est notre commun Seigneur : Jésus-Christ. C’est aussi là que notre joie et nos action de grâces prennent sens : non pas dans la prison des autres, mais dans la libération des prisonniers. Tout comme chacun de nous peut aussi être joyeux et rendre grâces à Dieu lorsque l’une de ses propres chaînes tombe enfin !

 

Or celui qui rend vivante la fraternité chrétienne, c’est le Saint-Esprit. Souvent nous comptons sur notre bonne volonté et sur la force de notre foi ou de notre amour. Ne nous étonnons pas alors que ça ne marche pas ! L’apôtre Paul est le premier à le savoir, et il ne nous demanderait pas de le faire, s’il ne nous donnait pas aussi le seul moyen efficace : demander à Dieu son Esprit afin qu’à travers nous – ou autrement – ce soit lui qui libère tel frère, telle sœur, de ses désordres, de son abattement, de sa faiblesse, de ce qui le rend insupportable, etc. Ne cherchons pas, même dans la Bible, des recettes : « la lettre tue, c’est l’Esprit qui vivifie ! » (2 Cor. 3 /6) Cherchons-y donc l’Esprit qui parle en elle. N’y cherchons pas des lois ou de la morale ou de la psychologie. Mais cherchons-y et demandons à Dieu « l’Esprit qui fait vivre ». C’est d’ailleurs à cette fin que les lois y sont écrites : pour que nous sachions ce que Dieu condamne afin non de lapider les coupables, mais de les libérer tant de leur faute que de leur culpabilité. Car c’est « le Dieu de paix » qui s’y exprime.

 

Pour le dire autrement, il nous faut accepter notre propre faiblesse, notre propre finitude, pour ne pas nous ériger en juges, mais en secouristes. Verrait-on un secouriste rester debout devant quelqu’un qui est à terre, ou s’adresser à lui de loin, voire se désintéresser de lui ? Non. Le secouriste vient au plus près de la personne à secourir. Il vient à terre lorsque la personne est à terre. Quand on est hospitalisé, y a-t-il rien de plus désagréable qu’un médecin qui passe sans s’adresser à vous, mais en vous considérant comme un cas à traiter ? Mais la compassion, la sympathie, ne consistent évidemment pas à se laisser gagner par le même mal qu’on prétend soigner sous prétexte de mieux comprendre ou de se faire entendre. Ce n’est pas en buvant avec un buveur qu’on l’aide à sortir de l’alcool, non plus qu’en le condamnant, mais c’est en s’abstenant avec lui ! À chacun donc de trouver la bonne manière de venir en aide à son frère, à sa sœur, non pour tomber dans le puits, mais pour aider à en sortir celui ou celle qui y est tombé.

 

Et c’est pour ça que nous avons été sanctifiés, c’est-à-dire mis à part, protégés du mal dont vous savez aussi bien que moi qu’il continue à nous agresser sous toutes les formes. C’est pour que nous ayons des motifs de « rendre grâces » non seulement à cause de cette mise à part, de ce salut qui nous a été acquis indépendamment de ce que nous faisons, avons fait ou ferons, mais aussi à cause des guérisons dont nous serons spectateurs, à cause des fraternités retrouvées, à cause des libérations auxquelles nous aurons peut-être participé ; bref : à cause de l’action de l’Esprit saint autour de nous et à travers nous. Notre prière sera alors, outre l’intercession pour les frères et sœurs concernés, que Dieu nous rende suffisamment humbles et transparents pour que son Esprit puisse se servir de nous plutôt que ce soit nous qui nous servions de lui. Que Dieu nous rende disponibles à lui et aux autres, à son Esprit et à nos frères et sœurs. Afin que nous ne considérions jamais nos propres problèmes comme plus importants que ceux des autres, prétexte à ne pas nous intéresser à eux.

 

Car Dieu nous garde, et nous le savons. Nous pouvons alors être témoins auprès de ceux qui en ont besoin que, malgré les apparences, il les garde eux aussi. Être simplement témoins, témoins du bien, amis. Et rendre grâces au Dieu qui se tient auprès de ceux qui en ont le plus besoin, et qui leur offre la guérison que peut-être ils n’attendent plus. Pour reprendre mon image de tout à l’heure, nous ne sommes pas médecins, tout juste secouristes amateurs. Pas pour rester les bras ballants à se demander comment contacter le médecin, mais d’une part en le contactant effectivement, et d’autre part en administrant ceux des premiers secours dont nous sommes capables. Oui, voilà notre rôle les uns à l’égard des autres en Église : la prière et les premiers secours. Pas seulement la prière, car Dieu nous a mis là pour quelque chose, pas pour faire joli. Et pas seulement les premiers secours, car que pourrions-nous faire sans le médecin ? Mais pas de souci : il répond à la prière, il vient. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  5 septembre 2021

 

 

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