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Exode 19 / 1-6
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texte : Exode 19 / 1-6 (trad. personnelle)
premières lectures : Évangile selon Marc 12 / 26-34 ; épître aux Romains 11 / 25-32
chants : 22-07 et 12-16
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Dans la liste alsacienne que nous suivons, ce dimanche s’intitule : « le Seigneur et son peuple ». Peut-être l’aviez-vous perçu à travers prières et lectures du début de ce culte ! Il y est question d’Israël, ce qui est bien normal notamment pour un extrait de l’Exode, mais aussi dans ce qu’écrit Paul. Et quand nous disons Israël, nous n’entendons pas parler de l’actuel État d’Israël ni de sa politique intérieure ou extérieure, naturellement, qui ne nous concernent pas en tant que chrétiens. Mais nous pouvons comme à chaque fois y entendre deux choses, nous pouvons lire à deux niveaux : l’Israël biblique, dont Jésus est issu – « le salut vient des Juifs », comme il le dit lui-même à la Samaritaine (Jean 4 / 22) – mais aussi le nouvel Israël, l’Église chrétienne rassemblant Juifs et non-Juifs qui suivent ce même Jésus – c’est-à-dire vous et moi ! Et c’est bien ce qu’écrivait Moïse, non ?
Dans le récit de l’Exode, nous sommes donc dans un entre-deux, qui dans tout le Pentateuque s’appelle « désert du Sinaï », ou « dans le désert ». L’Égypte, c’est du passé, du récit d’autrefois. Et ce dont il est question, c’est l’avenir, ce n’est pas encore arrivé, c’est ici seulement annoncé, et même, comme souvent dans l’Ancien Testament, c’est conditionnel : cela arrivera « si… » Je ne m’appesantirai pas aujourd’hui sur le rôle d’intermédiaire de Moïse, sur son dialogue avec Dieu qui l’institue comme son messager. C’est un autre sujet… Mais voyons donc ce que Dieu lui demande de transmettre à « la maison de Jacob », c’est-à-dire aux « fils d’Israël » qui sont restés en bas, au pied de la montagne.
Le premier élément, qui est et qui reste un commencement indispensable, est l’initiative de Dieu. « Nous aimons parce que lui nous a aimés le premier », écrira Saint Jean (1 Jean / 4-19). Dans la Torah, cela a pris la forme de la délivrance de l’esclavage en Égypte, du « sortir de la terre d’Égypte », dit notre texte. C’est certes une indication historique et géographique. Mais c’est aussi une indication plus claire encore d’un espace et d’un temps où l’esclavage est la règle, l’esclavage, c’est-à-dire un monde basé sur des relations de pouvoir, d’intérêt, de soumission. Regardez notre monde et votre propre vie, regardez en arrière, et réalisez de quelle « Égypte » Dieu vous a déjà délivrés sans que vous l’ayez mérité par d’autres raisons que votre propre souffrance ou que votre propre aliénation. Comme c’est dit ailleurs, il a « entendu [votre] cri » (Ex. 3 / 7). Mais l’essentiel n’est pas de se rappeler d’où l’on vient, de quoi on est sorti, mais qui l’a fait, qui a accompli cette délivrance : Dieu, le Dieu de la Bible, le seul Dieu, celui qui affirme : « à moi toute la terre » !
Mais ce faisant, Dieu ne nous a pas seulement délivrés de l’oppression du monde en nous et alentour. Il nous a aussi « fait venir vers [lui] » ! C’est d’autant plus important de se le rappeler que les valeurs de notre culture disent le contraire. Pour notre monde, la liberté consiste en l’autonomie, à ne dépendre de personne d’autre que de soi et à avoir à choisir sa propre vie. Outre que c’est là un fardeau trop lourd à porter pour la plupart, c’est un mensonge éhonté – le même mensonge, le même fantasme, qui remplit les rues les samedis après-midi en ce moment. Et pire qu’un mensonge entretenu par tous les complotismes, c’est la définition-même du péché originel : définir soi-même ce qui est bien et mal en se passant de Dieu (cf. Gen. 3) ! Pour la Bible, pour la foi juive et chrétienne, la liberté consiste à dépendre de Dieu seul, ce qu’affirme l’une des expressions le plus connues de la Réforme, avec laquelle Jean-Sébastien Bach signait ses partitions : « soli deo gloria », « à Dieu seul la gloire » ! Pas seulement dans le ciel, mais dans l’Église et dans notre vie…
Mais comment en serions-nous capables ? Mauvaise question : c’est Dieu qui nous a « fait venir vers [lui] », ce n’est pas notre courage, notre force, notre piété, notre capacité à nous abandonner à lui – laquelle est à peu près nulle… ! Et quant à nous, nous savons comment il s’y est pris : en nous donnant son Fils, en nous offrant la vie de Jésus-Christ, en nous délivrant du péché par sa mort et en nous faisant vivre l’existence nouvelle par sa résurrection. Ces événements, je n’y suis pour rien. Et pourtant ils ont eu lieu pour moi, et ce sont eux qui ont modifié et qui modifieront encore mon existence jusqu’au jour où la défaite de l’oppression, du péché et de la mort sera manifeste. Tout comme l’Exode hors d’Égypte, ou le retour de l’Exil de Babylone, qui en étaient des annonces, ont fait pour Israël. Tout le reste de la Bible et de l’Évangile est incompréhensible, toute obéissance et toute mission sont impraticables, si n’est pas d’abord venue la délivrance : venue de Dieu, de son Christ, et, au jour le jour, de son Esprit. Les meilleures de mes œuvres, si elles existent, ne font que m’éloigner de Dieu si Dieu n’est pas d’abord venu me délivrer et m’appeler à lui, si Christ n’est pas mort et ressuscité pour moi.
Mais si j’ai « vu » l’œuvre de Dieu, comme Moïse doit le rappeler à Israël, alors il me faut, il nous faut, écouter la voix du Seigneur. La phrase insiste lourdement : « si vous écoutez d’écoute ma voix », comme on peut essayer de le traduire… « Dans le désert », il y a donc une condition qui permettra un avenir. Car, comme Dieu le fait dire à Jérémie : « Je connais, moi, les desseins que je forme à votre sujet, desseins de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir fait d’espérance. » (Jér. 29 / 11) Mais cette condition d’un tel avenir promis par Dieu est relève d’une évidence : comment reconnaître son propre passé et la délivrance venue du Seigneur, si l’on n’écoute pas sa voix ? La nôtre alors, la voix de l’Accusateur, la voix du diable qui est notre propre voix contre Dieu, cette voix reprend alors le dessus et nous mène à nouveau vers « l’Égypte », quelle qu’elle soit pour chacun de nous ou pour toute l’Église. « Écouter la voix » de Dieu et « garder [son] alliance » sont donc synonymes pour la plupart des gens, hormis ceux qui la rejettent sciemment tout en l’ayant entendue. L’alliance de Dieu avec nous consiste non plus en observances ou en sacrifices, en œuvres des croyants, mais dans la mort et la résurrection de Jésus. « Écouter » l’Évangile et le « garder » sont donc bien synonymes, ce qui n’était pas le cas dans l’Ancienne Alliance. Encore une fois, ce qui nous est demandé, c’est de nous en remettre à ce Dieu si bon pour nous, de faire confiance – ou, comme on disait, « d’accorder foi » – à sa parole. « C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. » (Éph. 2 / 8-9)
La conséquence n’est pas notre liberté au sens de l’humanisme qui la proclame et qui fait le contraire en son nom-même. La conséquence est que nous appartenions à Dieu, non pas par naissance mais par foi, « à partir de tous les peuples », dit le texte, « car à moi toute la terre ». C’est exactement ce que l’apôtre Paul expliquait aux chrétiens de Rome dans la seconde lecture de tout à l’heure. Ce que l’Israël historique, le judaïsme, n’a pas entendu, bien sûr… Or cette appartenance à Dieu n’est pas pour nous un esclavage – puisqu’il nous en a délivrés ! – mais une mission, une vocation. L’apôtre Pierre reprendra les mêmes termes que Moïse dans sa première lettre : « Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté afin d’annoncer les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ; vous qui, autrefois, n’étiez pas un peuple et qui, maintenant, êtes le peuple de Dieu ; vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde et qui, maintenant avez obtenu miséricorde. » (1 Pi. 2 / 9-10)
« Royaume de sacrificateurs, nation sainte. » Est saint ce qui appartient à Dieu, ce que Dieu a mis à part pour lui ; c’est ce que disait notre texte une phrase plus haut. Mais « royaume de sacrificateurs » ou « de prêtres », qu’est-ce que c’est ? De sacrifices il ne saurait être question pour nous : le seul sacrifice agréé par Dieu, c’est celui qu’il a offert lui-même en son Fils sur la croix ! Dans ce sens, Christ seul est prêtre, « sacrificateur pour l’éternité », comme l’expose aussi l’épître aux Hébreux (7 / 21 p.ex.) … Mais avec ou sans sacrifice – et c’était d’ailleurs la vraie fonction du prêtre – celui-ci est un intermédiaire, un intercesseur. Cette fonction n’est pas celle de témoin de Dieu auprès des autres humains – cela, c’est l’apôtre Pierre qui le rajoute à cet office – mais cette fonction est d’abord celle de représentant des autres auprès de Dieu. Bien sûr, le Christ Jésus remplit aussi cette fonction, car il les remplit, les accomplit, toutes !
Mais de celle-ci nous ne sommes pas dispensés. Car si nous avons été rapprochés de Dieu, mis en communion avec lui par le sang de la croix, rachetés du péché et de la mort, cela ne s’applique à nous que dans la foi – je vous le rappelai tout à l’heure. Or, la foi n’est pas ce qui caractérise la plupart des gens, y compris en France. Et ne me parlez pas d’autres « fois », qui ne sont que chimères et illusions, pour ne pas dire mensonges, même lorsqu’on les a « de bonne foi » – quels abus de langage ! Il n’y a qu’une foi qui sauve, et qui n’est réductible à aucune autre. « Le salut ne se trouve en aucun autre [qu’en Jésus] ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4 / 12) Ceci est une bonne nouvelle pour nous qui croyons. Mais ce n’est nullement une condamnation pour les autres – je ne sais rien à leur sujet ! Par contre, cela crée une nécessité pour notre propre sacerdoce – pour ceux qui ont un ministère dans l’Église comme pour les autres – c’est de prier pour ceux qui n’ont pas la même foi que nous, ou qui n’en ont aucune. Tous les baptisés sont prêtres : ce n’est pas pour nous en glorifier, mais pour que nous tous exercions ce sacerdoce, qui est de porter devant Dieu, de lui présenter, ceux des humains que nous savons perdus dans « la terre d’Égypte », toujours esclaves, et ceux qui errent encore « dans le désert », libérés sans savoir vivre leur liberté, et qui tournent en rond…
Naturellement cela ne nous dispense pas de prier aussi en plus les uns pour les autres, pour les chrétiens, pour les Églises. Comme le disait un théologien libéral, « la prière exauce Dieu » (Louis Évely). C’est notre obéissance en tant que prêtres, c’est en le faisant que nous nous manifestons devant lui comme « nation sainte » lui appartenant en propre, et non à nous-mêmes ou à des idoles. Nous avons alors l’assurance que « l’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables ; et celui qui sonde les cœurs connaît quelle est l’intention de l’Esprit : c’est selon Dieu qu’il intercède en faveur des saints. » (Rom. 8 / 26-27) Quant à l’Église, animée justement par cet Esprit saint, elle est le lieu communautaire où nous pouvons prier ensemble : lors du culte certes – mais c’est un peu limité ! – mais aussi dans des groupes comme celui de l’ACAT à Saint-Dié ou celui de Salm à La Petite-Raon ; mais encore seul tout en se sachant en communion avec les autres. L’Église est le terrain d’entraînement dont nous avons besoin, moi comme vous, pour ne pas être laissés seuls avec « notre faiblesse », mais pour profiter plus pleinement de la puissance du Saint-Esprit. Alors oui, nous serons « un royaume de prêtres, une nation sainte ». Telles sont « les paroles que [je devais dire] aux fils d’Israël » ici présents, fils et filles du Père très-aimant de Jésus-Christ. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 8 août 2021