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Première épître aux Corinthiens 1 / 18-25
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texte : Première épître aux Corinthiens 1 / 18-25
premières lectures : Genèse 12 / 1-4a ; Évangile selon Luc 5 / 1-11
chants : 43-05 et 46-08
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Que dit la parole de Dieu ? Selon l’histoire d’Abraham, elle lui dit un ordre de départ, et à plusieurs reprises une promesse, une promesse de grandeur. Parole puissante, sans doute, puisqu’elle obtient l’obéissance sans faille d’Abraham. Parole puissante, puisqu’elle libérera, guidera, punira et sauvera les descendants d’Abraham. Et quand « la foule se pressait autour de [Jésus] pour entendre la parole de Dieu », quelle était donc cette parole ? Parole puissante encore, parole d’enseignement – de sagesse, nous dirions – et parole miraculeuse accomplissant les signes de la puissance agissante de Dieu en Jésus : la pêche miraculeuse, comme on l’appelle… Parole aussi puissante que celle dite à Abraham, puisque le résultat est le même : Simon Pierre, mais aussi Jacques et Jean, obéissent et, comme Abraham, quittent tout !
Et pourtant, lorsque cette parole nous est adressée – en tout cas le croyons-nous – nous ne voyons pas agir sa puissance, et ce à deux niveaux : elle ne nous obéit pas, et nous ne lui obéissons pas… ! Bon, si je dis ça comme ça, vous comprenez déjà que le responsable de cet échec n’est peut-être pas Dieu ! Peut-être que ça vient un peu de nous, non ? Car déjà nous avons aperçu que la parole adressée à Abraham, puis à Pierre, est une parole de déplacement, de changement. Mais parfois nous faisons comme si la parole de Dieu consistait à répondre à nos prières à nous ! Or ce n’est pas ce qui nous est montré dans les deux premiers textes de ce matin, et guère dans d’autres… Ce n’est pas alors sa parole qui est impuissante, c’est la nôtre.
Quant à l’autre constatation, elle est plus grave. Dieu parle, et Abraham obéit sans poser de questions. Jésus parle, et devant le signe que cette parole a déjà accompli, Pierre et ses compagnons obéissent sans poser eux non plus aucune question. Mais voilà : depuis le berceau pour certains d’entre nous, nous entendons la parole de Dieu à travers la Bible lue assidûment, et prêchée à nos oreilles le dimanche, et force nous est de constater que, souvent mais pas tout le temps, pas tout le temps mais souvent, cette parole ne produit pas sur nous l’effet qui était escompté. Certes il arrive que cette parole de changement nous change ! Mais c’est bien loin d’être le cas tous les dimanches… Par contre, il arrive qu’elle nous fasse comprendre certaines choses, ou plutôt qu’à son écoute nous comprenions certaines choses. Il m’est déjà arrivé, en m’écoutant prêcher ou en animant une étude biblique, de comprendre des choses qui ne m’étaient pas apparues jusque-là, à mettre ensemble des pièces d’un puzzle dont la figure n’était pas claire pour moi auparavant…
Mais voici que je nous caractérise à la fois comme des Juifs et comme des Grecs, selon les mots de l’apôtre Paul. Nous voulons voir agir la parole de Dieu, voir des miracles, comme les Juifs – et les gens de notre temps, en ce sens, sont Juifs : ils nous reprochent que notre Dieu n’agisse pas, ne fasse pas disparaître le mal, ne redresse pas ce qui est tordu, etc. Et nous voulons aussi comprendre qui est Dieu, à quoi ressemble la résurrection, et les rapports entre la Loi de Dieu et sa grâce, etc., tout comme les Grecs philosophes cherchaient à comprendre à la fois le comment et le pourquoi du monde – et les gens de notre temps, même les moins philosophes, restent des Grecs, et s’amusent, quand ils y pensent, de l’absurdité de notre confession de foi : un seul Dieu en trois personnes, la résurrection des morts – à commencer par celle de Jésus – etc. Le fait que leur propre sagesse ne fasse guère de miracles ni ne donne une compréhension claire de la vie et du monde ne les gêne pourtant pas, quoique cela contribue sans doute à leur abstention massive pour élire ceux qui ne leur donnent plus de sens…
Juifs ou Grecs dans notre tête, Juifs et Grecs tout en même temps, voulant souvent le beurre et l’argent du beurre, nous n’avons finalement rien, sinon une parole de Dieu que nous voyons comme impuissante, faible, folle… Mais voilà que l’apôtre Paul revendique pour elle ces qualificatifs ! À condition que nous n’oubliions pas le premier verset de l’extrait que je vous ai lu : « La parole de la croix est folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est puissance de Dieu. » Cette phrase nous dit plusieurs choses. D’abord, et c’est vraiment important, c’est que cette parole n’est pas faite pour ceux qui attendent d’elle des miracles ou une logique, et qui l’attendent de dehors. Ce qui est le cas de beaucoup de gens, à commencer par ceux qui nous reprochent la faiblesse ou la folie de la parole de Dieu, de l’Évangile, de notre foi. Abraham en son temps, Pierre, Jacques et Jean en leur temps, se sont laissé atteindre, toucher, par la parole de Dieu, ils ont reçu une parole de changement et cette parole les a changés.
Mais on peut l’entendre, cette parole, et y rester extérieur, étranger. Par exemple, il y a des gens qui lisent la Bible pour savoir ce qui s’est passé autrefois, que ce soit lors de la création de l’univers, ou bien dans l’histoire du Proche-Orient ancien, ou qu’est-ce qu’a fait Jésus pendant sa vie terrestre, qu’ont fait les apôtres ensuite, l’histoire de la primitive Église, etc. Ceux-là n’ont pas compris que les textes bibliques ne parlaient pas de ça. Scientifiques et historiens s’y sont cassé le nez tant qu’ils ont essayé, et aujourd’hui qu’ils se sont libérés de cette lecture positiviste des textes, la science et l’histoire ne s’en portent que mieux, et elle peuvent à loisir questionner nos textes et même nous apprendre des choses ! Autre exemple, il y a des gens qui lisent la Bible pour savoir quoi faire dans telle ou telle circonstance, que penser de telle chose, de telle manière de vivre, de telle orientation théologique ou morale, etc. Ils y trouvent des réponses, mais à moins d’être Juifs et d’avoir rajouté le Talmud à la Bible, cela reste très insatisfaisant. Rappelez-vous « le jeune homme riche » qui était de ceux-là : il lui manquait le principal.
Car dans ces deux lectures, cherchant la science ou cherchant la morale dans la Bible, on passe à côté du principal, qui est justement la parole de changement que Dieu nous adresse. Et passant à côté de cette parole, on meurt, simplement. Il n’y a de vie véritable qu’en Dieu, sous sa parole qui agit en nous. Si je veux seulement que ma vie de païen soit éclairée de dehors par la Bible, ça ne marche pas, c’est alors que la Bible est tissée d’une parole qui ne me sert à rien, ou même qui me condamne ! Comment cette parole pourrait-elle me servir à quelque chose si je ne la reçois pas pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle veut faire en moi, de moi ? Comment une lettre d’amour peut-elle me toucher si, en la lisant, je ne m’intéresse qu’à sa grammaire ou à son lexique, ou si je cherche à y apprendre des choses pour ma satisfaction intellectuelle ? Évidemment alors cette lettre ne produira rien en moi, et je mourrai aussi bête que je suis né, seul et perdu sans même m’en être rendu compte !
Ça, c’est aussi notre cas à nous lorsque nous ne sommes pas ou plus en position adéquate pour recevoir la lettre d’amour en question, lorsque nous pensons que le mariage suffit et qu’il n’a pas besoin d’être consommé, ou lorsque nous pensons avoir tout compris – c’est alors que nous nous apercevons que nous n’avons rien compris, et que nous renonçons, en restant peut-être avec notre catéchisme ou avec les merveilleuses prédications d’Untel ou d’Untel autre qui nous avaient touchés, mais c’était il y a longtemps… Mais puisque nous sommes là, c’est aussi que nous avons éprouvé, serait-ce il y a longtemps, la puissance de cette parole de changement. Que nous l’avons éprouvé dans notre être, dans notre histoire, dans nos relations, bref : dans notre vie. Car alors, elle s’est avérée puissante et non faible, sage et non folle. elle nous a fait passer de la folie à la sagesse, de la mort à la vie.
Nous sommes donc invités par Paul, à travers cette première phrase du texte de ce matin, à nous laisser de nouveau interpeller par la parole de Dieu. Non pas par ce que nous pouvons y apprendre, mais par ce qu’elle peut faire dans notre vie. Le monde actuel a au moins le mérite de nous mettre en grand sous les yeux l’inanité des sagesses humaines. Et pourtant ceux qui en sont privés, et ce sont beaucoup les jeunes, en deviennent fous. Le monde est fou, et il rend fou, et c’est terrible. Nous qui avons une autre sagesse, qui s’éveille en nous dans la fréquentation intime de Dieu et de sa parole, dans la relation intime entre Jésus et nous par son Esprit, nous ne pouvons pas laisser mourir le monde, c’est-à-dire les gens concrets que nous connaissons, sans tâcher de leur faire connaître cette sagesse, de leur raconter la puissance que cette parole a manifestée dans notre propre existence à nous.
Or nous n’avons rien d’autre à proposer à qui que ce soit que « Christ crucifié », pour le dire comme Paul. Mais comment les gens ne partiraient-ils pas en rigolant en attendant cela, si ce n’est pas accompagné de l’humble témoignage que, pour nous, cette parole n’est pas insignifiante, mais qu’elle dit la victoire de l’amour de Dieu pour nous sur le péché, le mal et la mort. Souvent les chrétiens persécutés, en terre d’islam ou d’athéisme ou ailleurs, en témoignent suffisamment, priant pour leurs bourreaux, appelant à la paix par le pardon et non à la vengeance. À la manière du Christ, à sa suite, et non pas parce que ceux qui le font sont vraiment extraordinaires, mais parce que, simplement, ils vivent dans l’intimité de leur Sauveur, ou plutôt c’est lui qui vit en eux. À la différence de certains prédicateurs, je ne vous prêcherai pas la morale, même si, comme le dit ailleurs le même apôtre, « tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai pas asservir par quoi que ce soit. » (1 Cor. 6 / 12) À la différence d’autres prédicateurs, je ne vous prêcherai pas non plus un « évangile de la prospérité », où la foi vous rendrait soi-disant beaux, riches et en bonne santé !
Je ne veux que vous prêcher que Christ est mort pour vous, et que c’est là une sagesse nécessaire et suffisante pour vous faire changer de vie, sans doute petit à petit, à condition que vous ne renonciez pas à laisser agir en vous le Saint-Esprit ! Certes vous risquez de perdre un jour votre beauté, votre santé, votre richesse. Mais le sens de votre vie n’est pas dans ces choses qui ne font pas vivre, qui ne mènent qu’à la fosse commune où se retrouvent tous ceux qui ont mis leurs espoirs en eux-mêmes ou dans la nature. Aujourd’hui le discours dominant est à la satisfaction des désirs individuels et à la promotion de l’individu, de l’auto-entreprise, etc. Cette sagesse est aussi mortifère que les précédentes – et vraisemblablement que les suivantes qui diront l’inverse. Nous sommes dépositaires d’une autre sagesse, d’une autre puissance, celles de Dieu que les gens ne voient pas et ne comprennent pas, eux qui ne voient dans la croix de Jésus que l’échec lamentable d’un idéaliste vaguement révolutionnaire. Or révolutionnaire il l’est toujours, car il est vivant. Mais c’est chacun de nous qu’il veut révolutionner. Il ne s’agit donc pas d’être des révolutionnaires, nous, mais de nous laisser sans cesse révolutionner par lui. Alors nous éprouverons, et peut-être nous rendrons visible, la puissance de la parole de Dieu, et nous manifesterons combien nous sommes sages de continuer à nous confier en elle ! Amen.
Senones – David Mitrani – 4 juillet 2021