Psaume 42

 

texte :  Psaume 42

première lecture :  Évangile selon Luc 6 / 39-46

chants :  36-13 et 35-07

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Avez-vous, avons-nous soif de Dieu ? Le son déchirant du brame de cerf est-il une bonne image de notre attente de Dieu, attente concrète dans notre existence ? Notre existence, notre vie tout entière, est-elle assoiffée de Dieu, de sa présence ? C’est bien la question à se poser, à se poser toujours. Et là, on ne peut pas faire semblant. On peut certes faire semblant en pratiquant sa religion. On peut faire semblant de croire. On peut faire semblant de prier. On peut faire semblant d’être là. Tout ça, ce sont des formes d’absence, non pas d’absence de Dieu, mais d’absence de soi à Dieu. Ça peut faire illusion, y compris sur soi-même… Mais Dieu sait, Dieu voit. Or, on ne peut pas faire semblant d’être assoiffé, d’être au bord de périr de soif. Direz-vous peut-être qu’un tel croyant doit être dépressif ? Mais il n’est pas question ici de psychologie, il est question de relation, d’une relation vitale, et dont le croyant en question est en manque. Et vous, avez-vous une telle soif ?

 

Au Conseil presbytéral, avant-hier, tout comme à la précédente réunion en mai et à la suivante en septembre, nous avons essayé de répondre aux questions de la mission de l’Église dans notre contexte actuel. Et nous n’avons pas réussi à savoir si nos familles, nos voisins, nos amis, les gens qui vivent au même endroit que nous, avaient cette soif ou pas… Le nombre de chrétiens en France a chuté vertigineusement ses dernières dizaines d’années, et quant au nombre de membres de notre Église, vous pouvez vous compter chaque dimanche ! Même si vous y rajoutez ceux qui ne peuvent pas se déplacer ou qui sont momentanément absents, ça ne fait de toutes façons qu’un « petit troupeau » (Luc 12 / 32), un tout petit troupeau… Alors, avons-nous soif, ou bien attendons-nous patiemment la mort ?

 

Le pire – déjà à l’époque du psalmiste – c’est cette question que nous renvoient les moqueurs : « Où est ton Dieu ? ». Vous en avez tous l’expérience autour de vous, et pas seulement dans la bouche de vos enfants, petits-enfants, filleuls, voire conjoints… Certes, dès que quelque chose ne va pas dans le monde, on nous renvoie cette question. Là, il est assez facile de répondre que notre Dieu n’est pas un magicien, qu’il ne prend pas notre place dans la gestion de ce qui est à notre portée dans les affaires du monde, et que si mal il y a, c’est souvent conséquence de faute humaine, car il nous a créés libres pour « cultiver et garder le jardin » (Gen. 2 / 15). Mais tous les maux ne se résument pas à cela, et il devient alors difficile de répondre, sauf à faire des réponses toutes faites qui ne satisfont personne, pas même ceux qui les prononcent. Eh bien, « où est ton Dieu ? » Et lorsque cette question retentit au fond de nous, nous prions : « Pourquoi m’as-tu oublié ? Pourquoi dois-je marcher dans la tristesse… ? » Et parfois, comme Job, nous crions : « Quel est le nombre de mes fautes et de mes péchés ? Fais-moi connaître mon crime et mon péché. Pourquoi caches-tu ta face Et me prends-tu pour ton ennemi ? » (Job 13 / 23-24)

 

Ou alors, comme le psalmiste dans la première strophe du psaume, nous évoquons un passé plus glorieux ! « Voici pourtant ce dont je me souviens avec effusion de cœur : Je marchais avec la foule Et m’avançais avec elle vers la maison de Dieu, Au milieu des acclamations et de la reconnaissance D’une multitude en fête. » Quelqu’un au Conseil évoquait le nombre de confirmands lors de sa propre confirmation, par rapport à celui de ces dernières années dans notre paroisse… et reconnaissait qu’il en était de même dans l’Église catholique aujourd’hui, d’ailleurs. Souvenirs, souvenirs, sûrement embellis par la distance, la nostalgie de la jeunesse, etc. Mais quand même… Lors de la dernière journée de notre Synode régional, il y a huit jours, le pasteur Pierre-André Schaechtelin, de Bar-le-Duc, a prêché sur ces deux versets de l’Ecclésiaste : « Ne dis pas : “D’où vient que les jours d’autrefois étaient meilleurs que ceux-ci ?” Car ta question ne proviendrait pas de la sagesse. […] Au jour du bonheur, jouis du bonheur, et au jour du malheur, réfléchis. » (Eccl. 7 / 10. 14)

 

Il est donc temps de réfléchir ! Si du moins nous éprouvons ce temps comme celui du malheur, dès lors que nous tenons à notre relation avec le Dieu de notre salut, dès lors que nous tenons à vivre cette relation dans notre Église avec nos frères et sœurs. Réfléchir sans que cette réflexion soit perturbée, obscurcie, par la nostalgie ou par la culpabilité. Car ces deux ne servent à rien, sauf au diable qui nous les souffle à l’oreille. Mais nous ne voulons pas l’écouter, n’est-ce pas ?! Considérons donc la réalité telle qu’elle est : Dieu a maintenu dans nos vallées quelques chrétiens, et même quelques Églises dont les noms varient : protestants unis (c’est nous), catholiques romains, évangéliques, mennonites, pentecôtistes, « frères », etc. Pourquoi Dieu a-t-il permis que nous soyons encore là ? Voilà une meilleure question, sans doute, que de prêter l’oreille au diable et à ses suppôts ! Notez qu’il en serait de même pour chacun d’entre nous devant l’appel de la mort : pourquoi Dieu nous a-t-il maintenus quand d’autres sont partis, ou quand notre cadre de vie s’est détruit ? Mais aujourd’hui, c’est de l’Église que je vous parle…

 

Il nous faut donc entendre le refrain du psaume : « Pourquoi t’abats-tu, mon âme, Et gémis-tu sur moi ? Attends-toi à Dieu, car je le célébrerai encore ; Il est mon salut et mon Dieu. » C’est donc non seulement de l’Église que nous parlons, mais de celle d’aujourd’hui et de demain. Car Dieu est le Dieu de l’avenir : le mien, le nôtre, et celui du monde. Et le principal sujet de mon attention ne doit pas être moi. Et le principal sujet de notre attention ne doit pas être nous. Mais Dieu. Dieu qui nous a placés dans ce temps et ce lieu, afin que nous y fassions quelque chose. Car de notre salut point n’est besoin qu’il soit encore question : il tient à Dieu, à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ. « C’est fait », comme le reconnaît l’Apocalypse (Ap. 21 / 6). « Il est mon salut et mon Dieu », confesse notre psaume. Si cette question est réglée, si nous n’avons pas à gagner ni à mériter notre salut – serait-ce a posteriori – alors à quoi sert notre existence ?

 

À témoigner de lui auprès de ceux qui nous disent : « Où est ton Dieu ? » La question est bien celle que nous nous posons en Conseil presbytéral et en Synode, ce n’est pas un hasard ! Non pas la question de savoir où est notre Dieu, mais celle de proclamer qu’il est Dieu et qu’il sauve ! Ce qui suppose que notre soif de lui ait été étanchée. Rabelais, dans son Gargantua, écrivait que « la soif s’en va en buvant » ! Voilà la sagesse ! Il nous faut boire à la source de la vie, Jésus-Christ. Celui-ci nous dit d’ailleurs, dans son dialogue avec la Samaritaine : « celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. » (Jean 4 / 14) Nous avons là la réponse à la question de pourquoi Dieu nous laisse ici : c’est afin que nous devenions des sources d’eau pour ceux qui ont soif, des sources non pas d’une eau qui viendrait de nous, mais de la sienne qui nous a désaltérés comme elle peut en désaltérer d’autres. Si certains d’entre vous se demandent donc à quoi ils peuvent encore servir, vu leur âge, leur faiblesse, leur handicap, leur petite foi, etc., voilà la réponse pour eux aussi !

 

Bien sûr, cela ne nous éclaire pas sur les moyens que nous avons à utiliser, nous, ici, en Déodatie ! Les moyens que Dieu utilise avec nous, nous les connaissons : « la chaire et l’autel », comme disent les luthériens, ainsi que la lecture de la Bible et la prière ; bref : ce par quoi l’Esprit vivifiant agit en nous et nous transforme à l’image du Fils unique. Les Actes des Apôtres indiquaient : « l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et les prières » (Ac 2 / 42). La pandémie qui se poursuit nous a presque fait oublier « la communion fraternelle », ou plutôt elle nous en a laissé la nostalgie douloureuse. Mais avec le psalmiste et l’Ecclésiaste, je vous ai dit de ne pas écouter notre nostalgie ! Regardons, là encore, vers aujourd’hui et demain, regardons devant nous, là où sont les autres : comment désormais retrouver cette communion, qui fait que nous sommes frères et sœurs les uns des autres et que nous partageons fardeaux et joies, et pas seulement nos repas et nos cultes… ? Car « à ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres », disait Jésus (Jean 13 / 35).

 

Que nous appelions ceci fraternité chrétienne, ou que nous l’appelions diaconie lorsqu’elle s’exerce à l’égard d’autres personnes que les seuls membres de notre paroisse, cette « communion » que nous vivons en Christ est le meilleur moyen pour témoigner de l’Évangile qui nous fait vivre. Si nous cessons de « gémir », comme dit le psalmiste, pour marcher désormais à la lumière de Dieu, Dieu accomplira par nous, par notre petite paroisse, ce qu’il a promis. Sinon, il l’accomplira autrement, et nous ne lui aurons servi à rien, ce qui n’est certes pas très glorieux ! Mettons donc notre gloire à le servir, c’est-à-dire à lui amener d’autres gens que nous, non par force – qui le pourrait ? – mais par témoignage en parole et en amour, témoignage de Christ et non de nos œuvres. Le psalmiste exprimait sa nostalgie de l’époque où il « s’avançait vers la maison de Dieu ». C’était tourner son regard et mettre sa gloire dans une vanité ! Par contre, demandons-nous qui nous aidons ou voulons aider à trouver ce chemin-ci. Et faisons-le, aidons-le, aidons-les !

 

Tel est la mission de l’Église, telle est même sa raison d’être. Dieu n’a pas besoin de nous pour lui rendre un culte religieux, les anges le font au ciel et c’est bien ! Il nous envoie dans le monde, par et avec son Esprit, pour que s’y exerce le culte qu’il nous demande (cf. Rm. 12), celui du service des autres et du témoignage de Jésus. À nous d’inventer les moyens d’aujourd’hui, selon ce que sont les autres aujourd’hui, au lieu de ressortir les moyens d’hier qui ont marché sur nous, mais ne marchent plus sur les autres. Satisfaisons-nous de notre pratique religieuse pour nous, puisqu’elle nous va, et inventons-en d’autres avec et pour nos jeunes, nos amis, et tous ceux qui croisent nos routes. Puisse notre Église s’ouvrir à demain sans renier hier, puisse-t-elle être aujourd’hui pleinement Église, assemblée convoquée par Dieu et envoyée dans le monde. Le savez-vous ? des gens nous y attendent, peut-être sans s’en rendre compte, et Dieu, lui, à coup sûr, nous y attend, là-bas, dehors.

 

Dieu nous y attend, Dieu nous attend au cœur de la mission de l’Église. Et nous, comme le chante le refrain du psaume, nous attendons-nous à lui ? Attendons-nous de le trouver dehors, dans la « charité », comme on disait autrefois, qui nous fait « considérer les autres comme étant au-dessus de nous-mêmes » (Ph. 2 / 3) ? Nous avons un rôle à remplir dans le monde, dans la société d’aujourd’hui, auprès des gens d’aujourd’hui, et ce n’est pas un rôle de pouvoir ni de représentation sociale, c’est un rôle d’humbles témoins. Réfléchissons, soyons imaginatifs, ne pensons pas que d’autres le feront à notre place. Je vous le dis : Dieu nous y attend, notre « Dieu, le Dieu vivant ». Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  27 juin 2021

 

 

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