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Jonas 1 – 2
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texte : Jonas 1 / 1 – 2 / 2. 11
premières lectures : Jérémie 23 / 16-29 ; première épître de Jean 4 / 16b-21
chants : 35-07 et 36-30
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Que c’est difficile d’être prophète ! Que c’est difficile d’annoncer la parole de Dieu ! Que c’est difficile de savoir ce que Dieu veut ! Non ? B’en, non, pas tellement, quand on reste dans les généralités. Dieu est amour, Dieu veut la paix, Dieu « veut que tous les humains soient sauvés » (sans le reste de la phrase) (1 Tim. 2 / 4), etc. Oui, tout ceci est vrai, tout ceci est biblique. Car pour nous, n’est-ce pas, en matière de Parole de Dieu, le critère de la vérité, c’est la Bible. Sinon nous ne sommes pas des protestants. Comme le disait notre ancienne Déclaration de Foi : « Avec ses Pères et ses Martyrs, avec toutes les Églises issues de la Réforme, [l’Église réformée de France] affirme l’autorité souveraine des Saintes Écritures, telle que la fonde le témoignage intérieur du Saint-Esprit, et reconnaît en elles la règle de la foi et de la vie. » C’est le rôle des prophètes inspirés par le Saint-Esprit que d’être les porte-voix de cette autorité.
Sauf que, pour qu’il s’agisse effectivement d’une autorité, elle doit s’appliquer à des cas concrets. Comme je l’ai encore vu sur Facebook il y a quelques jours, « la Bible n’est pas un livre à lire, mais un livre à vivre. » Et c’est là que ça se corse. Pour chacun de nous dans son propre discernement quant à ce qu’il vit, bien sûr. Mais aussi pour ceux qui sont chargés de dire la Parole de Dieu dans des cas précis, dans lesquels la raison humaine ne suffit pas. Là où elle suffit, elle qui nous a aussi été donnée par Dieu, à nous et à tous les humains, pas besoin de prophètes, n’est-ce pas… Mais dans les cas graves, importants, parfois vitaux, que dit Dieu, que veut Dieu, que veut-il que je fasse, que nous fassions… ? Se contenter alors de répéter la Bible ne sert à rien : elle n’est pas la Parole de Dieu comme si Dieu avait écrit un jour, et puis plus rien. Dieu parle aujourd’hui, mais que dit-il ? Comment l’entendre à travers la Bible ?
La pratique hélas la plus courante, c’est de lui faire dire ce qu’on aimerait qu’il dise, ce qu’on pense qu’il dit parce que c’est conforme à nos propres idées, et comme on est chrétiens, n’est-ce pas, alors Dieu dit comme nous… Mais, à travers Jérémie, Dieu dit clairement ce qu’il pense des gens qui font comme ça, des gens qui se croient prophètes en suivant leurs propres idées ou en flattant leurs clients ! Notez que dire : « je suis chrétien et je crois que… », pourquoi pas ? Mais ne « mouillons » pas Dieu dans nos choix à nous, qu’ils soient des choix rationnels ou des choix inspirés par notre foi. Notre foi n’est pas parole de Dieu. Ce que Dieu dit par Jérémie, c’est que notre foi doit être écoute de Dieu, écoute de Dieu avant de parler ou de faire. Ainsi le prophète n’a pas à dire ce qui lui fait plaisir ni ce qui fait plaisir à ses auditeurs, mais ce qui est conforme à la Parole de Dieu, ce qui est Parole de Dieu sur tel événement, tel choix, tel contexte… Même si le prophète doit en souffrir, même si le chrétien doit en souffrir !
Est-ce pour ça que Jonas a fui ? Pourtant il ne semble pas craindre la souffrance ni la mort, dans ces deux premiers chapitres du livre qui porte son nom ! Mais la fin du livre révélera autre chose : il craint d’être pris pour un imbécile, par Dieu mais aussi par les gens… C’est que Jonas, lui, connaît bien la Parole de Dieu d’une part, les « Saintes Écritures » d’autre part. On dirait – il dira lui-même – qu’il connaissait la fin de l’histoire, qu’il s’attendait à ce que ça se passe comme ça ! Ce que Dieu lui demande, pourtant, devait bien correspondre à ses propres attentes : condamner à mort les païens, les méchants. Encore que ce ne soit pas clair dans le mandat que Dieu lui donne : « Lève-toi, va vers Ninive la grande ville et proclame sur elle, car elle est montée, sa méchanceté, jusqu’à moi… » « Proclame sur elle », ou « crie contre elle », la nuance est peut-être subtile, mais quand même ! Proclamer quoi ? Quand les prophètes bibliques le font, ce ne sont généralement pas des vœux de bonheur…
Toujours est-il que, plutôt que d’obéir, Jonas prend la fuite au bout du monde – Tarshish, peut-être Tartessos, au-delà du détroit de Gibraltar ! Tout ça pour ne pas « faire vers [Ninive] la proclamation dont moi, je te parle », dira Dieu la seconde fois (3 / 2). Car il y a un risque, un risque grave aux yeux de Jonas : que Ninive se convertisse, se détourne de « sa méchanceté » et se tourne vers Dieu, le vrai Dieu – non pas Ashshour, mais le Dieu de Jonas ! Car Jonas le sait – peut-être l’a-t-il vécu lui-même, d’ailleurs, on n’en sait rien – la Parole de Dieu, quand elle est reçue, touche les gens au plus profond de leur être et les change, les tourne vers Dieu, les éloigne de la préoccupation d’eux-mêmes qui constitue le péché et est mère de toutes les méchancetés. Et que fait Dieu dans ce cas-là ? La condamnation annoncée, qui a été le véhicule de la Parole de Dieu et de la conversion des auditeurs, cette condamnation est levée, la sentence n’est pas exécutée !
Et Jonas ne veut pas de ça, il le confessera à la fin du livre. Jonas n’aime pas les païens, il n’aime pas les méchants, et sans doute identifie-t-il les uns avec les autres, comme font encore aujourd’hui les gens qui ont peur ou qui sont vindicatifs sans mesure : ils condamnent les gens qui ressemblent à ceux qui font du mal avec ceux qui font effectivement du mal… Pourtant, dans sa fuite, à cause d’elle d’ailleurs, il va avoir affaire à des païens, par nécessité : ce sont eux qui arment les bateaux dont il a besoin pour fuir, en oubliant presque que la mer, dans l’imaginaire israélite, est le lieu de la méchanceté et de la mort. En fait, Jonas préfère souffrir d’être avec des païens et peut-être mourir à cause d’eux, plutôt que de risquer la conversion des méchants. Mais il n’a pas été envoyé aux matelots, il n’a rien à « proclamer sur eux », donc pas de problème, pas de risque de conversion ! Il fuit non seulement sa mission particulière à Ninive, mais même sa fonction de prophète. Il préfère se taire avant que de se terrer au fond du bateau, puis au fond de la mer et dans le ventre du « grand poisson » …
Évidemment cette stratégie ne marche pas avec Dieu. La fuite de Jonas était illusoire. Si Dieu n’est pas seulement le dieu d’Israël, mais qu’il a aussi des paroles pour Ninive, ne serait-il pas aussi le dieu des extrémités du monde ?! Mais dans le bateau, au milieu des païens, Jonas peut croire que Dieu n’est pas là. Or Dieu est là aussi ! Et aussi les autres dieux, à travers leurs adorateurs, les matelots. Ouf. Dieu n’est que le dieu d’Israël, il n’a pas pouvoir sur les « nations », comme disent les Juifs – c’est-à-dire les païens. Pourtant « même le vent et la mer lui obéissent », comme on le dira de Jésus lui aussi endormi au fond de la barque (Marc 4 / 41) ! Jonas n’est pas Jésus, ou plutôt si, un peu : il faudra sa mort pour apaiser la mer… Mais on n’en est pas là. Pour le moment, la compagnie des païens range et dérange tout à la fois notre fuyard. Elle le range dans sa certitude et son sommeil, et le dérange devant la demande de témoignage, finalement, de ses compagnons : « lève-toi, proclame vers ton dieu… » avec les mêmes mots que Dieu emploie pour son ordre de mission.
Et Jonas est obligé de confesser : « Je suis Hébreu et je crains l’Éternel, le Dieu des cieux qui a fait la mer et la terre ferme. » Obligé de confesser la contradiction flagrante : l’affirmation d’une religion particulière, et donc, implicitement, d’un dieu national, et puis l’affirmation, évidente dans la tempête suscitée par Dieu, que ce dieu est dieu de l’univers entier. Et cela va aboutir exactement à ce qu’il redoutait et ce pour quoi il avait refusé la mission à Ninive : les païens se convertissent, « ces hommes furent saisis d’une grande crainte », « ils invoquèrent l’Éternel », « ils offrirent un sacrifice à l’Éternel et firent des vœux. » Jonas, contre son gré, sème la conversion des païens, qui est le but de Dieu qui est affirmé dès les premières pages de la Bible (Gen. 12 / 3…) et jusqu’à la dernière (Apoc. 22 / 2). Jonas sème, mais il n’aime pas – si vous me permettez ce mauvais jeu de mots. Finalement, sa demande d’être jeté par-dessus bord est plus une nouvelle fuite – illusoire elle aussi – qu’une aide apportée aux matelots, dont Jonas a déjà montré qu’il n’avait rien à faire d’eux.
Il faudra à Jonas une nouvelle conversion, à travers la mort symbolisée par la mer et par le poisson qui l’a englouti. Il lui faudra se tourner vers Dieu et le prier au lieu de le fuir – même s’il le fait à la manière des Juifs du Temple, sans souci des païens. Et c’est pour ça que Jonas se fâchera de la conversion des Ninivites qu’il sera bien obligé de constater. Pour Jonas, conversion à Dieu, mais pas à sa Parole, pas à l’efficace de la Parole de Dieu qui touche les cœurs et convertit les gens. Il est toujours facile de condamner les autres – je dois dire que ça ne m’est pas étranger… C’est plus facile de les condamner que de les aimer. Mais il est encore plus facile de les éviter pour ne pas avoir à dire cette condamnation que l’on pense pourtant, pour ne pas avoir à la recevoir soi-même en retour – c’est l’histoire de la paille et de la poutre (Matth. 7 / 3-5) … C’est plus facile d’éviter les méchants que de risquer qu’ils vous demandent pardon, et qu’on soit alors obligé de le leur donner.
Or Dieu fait tout le contraire de ça, tout le contraire de Jonas. Il prononce la condamnation sur les Ninivites – et accessoirement sur moi aussi. Et à cause de Jésus cette parole de rappel de la Loi de Dieu ouvre la possibilité d’entendre la parole de sa grâce. La conversion du prophète à sa mission, quand cela va au bout, fait des destinataires de sa condamnation ses frères et sœurs de péché et ses frères et sœurs de pardon. Et comme témoins, c’est bien à cela que nous sommes appelés. Nous ne sommes pas forcément, nous autres ici ce matin, des prophètes envoyés personnellement aux grands de ce monde, quels qu’ils soient. Enfin, je ne pense pas… Mais nous sommes plus modestement envoyés comme témoins de la Loi et de la grâce, porteurs de la parole qui condamne et de celle qui pardonne, ou, pour le dire autrement, témoins de la mort et de la résurrection de Jésus. Vouloir n’être témoins que de la première des deux paroles est une hérésie, une méchanceté, une lâcheté. Il en est de même lorsque nous prétendons être témoins seulement de la seconde des deux paroles : qu’y aurait-il à pardonner si le péché n’était pas dénoncé ? C’est pourquoi Jonas a fui. Prêcher la condamnation ne le gênait pas, mais prêcher le pardon, oui.
« Est-ce que je désire avant tout la mort du méchant ? – oracle du Seigneur, l’Éternel – N’est-ce pas qu’il se détourne de sa voie et qu’il vive ? » (Éz. 18 /23) Telle est la prophétie biblique. Pas dire qu’il n’y a pas de méchant. Pas dire non plus qu’il n’y a pas de pardon. « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu”, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur », écrira Jean, comme nous l’avons entendu tout à l’heure. Or, depuis Jonas et Jésus, le méchant est mon frère, ma sœur, dans le péché, et aussi dans le pardon s’il se tourne vers Dieu et moi avec lui. Prophète de la parole d’amour de Dieu et de la possibilité toujours offerte de se détourner du péché et de se tourner vers Dieu pour recevoir de lui le pardon et la vie. Prophète aimant de cet amour-ci, même s’il lui en coûte et que cela va contre son sentiment et même sa volonté. Tel est le prophète biblique, tel est le témoin de Jésus-Christ. « Prenez garde à vous-mêmes, dit Jésus. Si ton frère a péché, reprends-le, et, s’il se repent, pardonne-lui. Et s’il pèche contre toi sept fois dans un jour, et que sept fois il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. – Les apôtres dirent au Seigneur : Augmente-nous la foi.” » (Luc 17 / 3-5) Amen.
Senones – David Mitrani – 6 juin 2021