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Évangile selon Jean 3 / 1-8
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texte : Évangile selon Jean 3 / 1-8 (trad. personnelle)
premières lectures : Ésaïe 6 / 1-8 ; épître aux Romains 11 / 33-36
chants : 21-04 et 22-08
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« Souffle, vent, esprit », trois traductions pour le même mot, quatre même si vous écrivez « esprit » avec soit une majuscule soit une minuscule. Quatre mots donc en français, un seul dans le texte et dans la Bible. Un souffle. Non pas une respiration, mais ce qui permet la respiration, l’air qui entre en nous et qui en ressort, mais qui entre temps a permis que nous respirions, donc que nous vivions… L’air aussi qui soulève les feuilles et tout ce qui est léger, et les emmène ailleurs. L’air dont on voit dans quel sens il souffle, justement, en regardant les nuages avancer, ou en levant un doigt mouillé, le meilleur des météorologistes… « Souffle, vent, Esprit ». Voilà. La prédication est finie… !
Non, tant pis pour vous, je vais continuer ! En ce dimanche de la Trinité, une semaine après la Pentecôte, on peut bien continuer à se demander ce qu’est, ou qui est, le Saint-Esprit. Eh bien notre texte y répond très bien ! Il va juste un peu au-delà de l’image, pour dire à Nicodème et à nous en quoi cela nous concerne en tant que chrétiens. Car en tant qu’êtres vivants, le souffle qui vient de Dieu est simplement le souffle qui permet la vie animale. C’est le psaume 104 qui utilise cette image, et pas seulement pour les humains : « Tu leur retires le souffle : ils expirent et retournent dans leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés, et tu renouvelles la face du sol. » (v. 29-30) La même image est reprise pour la vision des ossements desséchés dans le prophète Ézéchiel (37 / 9-10). Dieu est créateur et c’est lui qui, par son souffle, permet à tous les animaux de vivre – ou de revivre, quoiqu’ils fussent morts… On est donc déjà au-delà de l’image, il y a une affirmation claire de la puissance créatrice de Dieu, puissance contre laquelle la mort ne peut rien. Le vitrail de Pierre Rivier qui est derrière moi montre cette même puissance à l’œuvre par Jésus, qui guérit des invalides et des malades et qui ressuscite des morts.
Et c’est cela, semble-t-il, qui amène Nicodème le Pharisien vers Jésus. C’est avec la conclusion logique de ce que je viens de vous dire que Nicodème lance la conversation : « Personne ne peut faire ces signes que tu fais, si Dieu n’est avec lui. » Pour parler comme les théologiens, nous sommes là dans une « christologie basse » : Jésus est un homme agréé par Dieu et par qui Dieu « le tout-puissant créateur » agit. C’est le minimum d’une référence croyante à Jésus. Mais ce n’est pas une christologie « chrétienne » : les musulmans ne disent-ils pas la même chose de Jésus, et ceux des juifs qui veulent nous faire plaisir ? Jésus prophète et thaumaturge. Mais avec ça, nous sommes toujours dans la « nuit », comme Nicodème ! D’ailleurs, dans les récits évangéliques, les miracles accomplis par Jésus confortent la foi de ceux qui croyaient déjà en lui ; ses miracles étonnent les foules, qui souvent n’en font rien, sauf à vouloir en profiter aussi ; et ces miracles confortent les adversaires de Jésus et les convainquent de faire disparaître ce destructeur de la Torah…
Jésus va tenter d’éclairer la nuit ! Il commence en confirmant à Nicodème qu’il lui manque quelque chose pour voir, pour voir plus que des miracles, plus que des « signes » prophétiques. Et il le fait avec cette entrée lourde : « Amen ! Amen ! » que le texte biblique n’a pas traduit, contrairement à ce que nous faisons souvent. Ce « amen » qui désigne une certitude absolue, une solidité sur laquelle on peut s’appuyer pour avancer. Quand vous dites « amen ! », ne le dites pas en passant, sans y faire attention : il vous engage devant Dieu et les uns devant les autres… Plus même que de vous engager, il manifeste que vous êtes des créatures nouvelles ! Car « si on ne naît pas de nouveau, on ne peut voir le royaume de Dieu. » Et comment pourrions-nous dire « amen » sans avoir vu le règne de Dieu, sans vivre dans la foi, sans être « nés de nouveau » ? Ou bien faut-il dire « nés d’En-haut » ? Le texte joue peut-être sur l’ambiguïté du mot : Jésus parlerait de « naître d’En-haut », et Nicodème comprendrait « naître de nouveau », d’où sa réaction… Mais après tout, le sens est le même, « de nouveau » est seulement moins précis, car « naître d’En-haut », c’est bien « naître de nouveau », mais en précisant déjà un peu en quoi ça consiste – ce que Nicodème, toujours « de nuit », ne comprend pas.
Pourtant, s’il est venu auprès de Jésus, c’est bien pour « voir le règne de Dieu », tout comme celui qu’on nomme d’après les autres évangiles « le jeune homme riche » (Marc 10 / 17-21), même si ni l’un ni l’autre n’utilise l’expression : c’est Jésus qui le décrypte ainsi. Comment « voir » en Jésus « le règne de Dieu » ? Comment voir qu’en Jésus, dans sa personne et à travers lui, Dieu règne ? Comment voir au-delà des « signes », des miracles, des belles paroles même, comment voir Dieu en Jésus, comment voir le tout-puissant Créateur dans cet homme cloué sur le bois d’infâmie, comme encore le montre ce vitrail : ce n’est pas le « Christ pantocrator » en position impériale qui trône au milieu du vitrail, c’est le Crucifié. Qui peut voir en lui le Dieu victorieux que chantent les psaumes, le Dieu inconnaissable à qui Paul rend gloire, le Roi, « *Adonaï Tsevaôth » qu’a aperçu Ésaïe ? Et si on ne voit pas Dieu en Jésus – si on ne voit pas le Père dans le Fils, comme Jésus le dira plus loin dans le même évangile – comment se dire et être chrétien, comment croire sans avoir contemplé le Christ vrai Dieu et vrai homme ?
On répondra : « en esprit » sans trop savoir ce que ça veut dire. Eh bien notre texte explique ce que ça veut dire, car cette réponse est le bonne, à condition que « en esprit » ne veuille pas dire « dans sa tête » ! La foi n’est pas un exercice et une invention intellectuels ou psychologiques. On n’est pas chrétien parce qu’on croit qu’il y a un dieu au-dessus de nous ! « Tu crois qu’il y a un seul Dieu, tu fais bien ; les démons le croient aussi et ils tremblent. » (Jacques 2 / 19) On est chrétien, comme le nom l’indique, parce qu’on croit en Christ, et comment croire en lui sans blasphémer sinon parce qu’il est Dieu ?! Et comment le savons-nous, lui que nous ne voyons que cloué sur la croix ? Comment avoir d’autres yeux que nos yeux pour voir en Jésus plus que ce que voient nos yeux ? « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? »
La réponse est évidemment non. On n’est ni dans la mythologie ni dans la magie ! Alors Jésus va plus loin : ce dont Nicodème a besoin, ce n’est pas seulement de « voir le règne de Dieu », en lui restant extérieur, en regardant de dehors, car là il n’y a rien à voir d’autre que la mort et le désespoir ! Ce dont il a besoin, comme vous et moi, c’est d’y « entrer » ! Et qu’est-ce que c’est qu’entrer dans le règne de quelqu’un, sinon reconnaître ce roi comme son roi à soi, l’adorer et lui obéir ? J’ai entendu au synode national un professeur de théologie qui disait qu’il fallait abandonner ces références à un système politique caduc, les traduire en langage plus actuel, plus républicain. Mais cela ne reviendrait-il pas à abandonner et l’adoration et l’obéissance ? Dieu n’est ni mon président ni mon camarade. Il est Dieu ! Il est mon Roi, quelles que soient mes conceptions de l’organisation politique de la société… « Entrer dans le règne de Dieu », c’est reconnaître Dieu en Christ, l’adorer et lui obéir, le suivre et être victorieux avec lui.
Mais pour ce faire, il faut « naître de l’eau et du souffle ». J’ignore si l’eau renvoie ici à la naissance naturelle, évidemment indispensable, ou bien au baptême, ou bien encore à « la source d’eau vive » dont Jésus parlera à la Samaritaine au chapitre suivant (Jean 4 / 10-15), celle qui jaillira de la blessure de la lance sur la croix (Jean 19 / 34), ou dont Jésus parle encore dans l’Apocalypse (21 / 16 ; 22 / 1. 16) ; mais à part le renvoi à la naissance physique, toutes les autres « eaux » parlent de Jésus lui-même qui donne la vie ! Attachons-nous plutôt aujourd’hui à cet autre acteur de la naissance au règne de Dieu : « le souffle ». Et rappelez-vous maintenant les images que j’évoquais au tout début de cette prédication. Tout comme le souffle – l’air – nous permet de respirer un fois sorti de « l’eau » du placenta, de même « le souffle » – est-ce le même ou un autre ? – nous permet de respirer dans cette nouvelle naissance, dans cette nouvelle existence que nous menons désormais sous « le règne de Dieu » et non plus sous le règne de la chair, c’est-à-dire de nos besoins et envies naturels et naturellement égocentrés.
Sans ce « souffle », nous ne sommes que « chair », que des animaux – ce n’est pas péjoratif – à qui Dieu s’adresse mais nous ne recevons pas sa parole. Tandis que le « souffle » en question, « nous entendons sa voix », et cette voix est la parole que Dieu nous adresse, et qui nous montre que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, le Seigneur, et même, comme il le porte « sur son manteau et sur sa cuisse » selon l’Apocalypse, il est « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (Apoc. 19 / 16). Ce souffle nous fait entendre – « comme dans un souffle » ! – que Jésus est le Fils du Père. Il nous tourne vers Jésus et fait de lui notre roi, le roi de notre foi, le roi de notre vie, celui qui règne sur nous et nous fait vivre une vie que la mort ne peut pas atteindre, que la pauvreté ne peut pas appauvrir ni la richesse enrichir, une vie sur laquelle « la chair » n’a plus de prise, ni aucun gouvernement, ni aucun virus, ni aucune idéologie. Une vie libre parce que libérée sous le règne du Christ.
Telle est bien l’image de notre liberté, de notre légèreté, que Jésus montre à Nicodème. Celui qui est « né du souffle » va où le souffle souffle, où le souffle l’emmène, sur des chemins imprévisibles et qui ne sont conditionnés, déterminés, par rien et par personne, pas même par la gravité. Nicodème ne va pas comprendre, ne va pas pouvoir comprendre, c’est une idée trop insupportable ; la liberté est trop insupportable, l’esclavage est meilleur, il assurance une pitance « en ce bas-monde » comme lorsque « nous étions esclaves en Égypte » (Ex. 16 / 3). À vues humaines, « selon la chair », il vaut mieux avoir des attaches, des convictions, des rentrées d’argent, des valeurs à défendre, une famille à préserver, ou se battre pour se défaire de tout ça, mais ça revient au même. L’idée qu’alors nous ne sommes pas libres, prisonniers de « la chair », est elle-même insupportable. Or « le souffle » nous permet de vivre toutes ces attaches et autres dans la légèreté, « la liberté glorieuse des enfants de Dieu » (Rom. 8 / 21).
Il ne nous emmène pas au désert, sinon pour y être tentés (cf. Matth. 4 / 1). Il nous ramène dans la vraie vie, mais tout autrement. Il ne nous maintient pas dans des relations où « les autres » sont soit à notre service, soit inexistants, soit un danger pour nous. Mais il crée des relations où les mêmes autres nous sont donnés comme des frères et sœurs, comme des gens à qui vanter cette liberté qui nous a été offerte gratuitement. Nous rendant libres, il nous a institués de fait témoins de cette liberté. Car telle est notre mission. Alors, ce souffle, appelez-le comme vous voulez, c’est un « sacré souffle », ou pour le dire autrement un « Saint-Esprit », c’est le souffle de Dieu qui nous tourne vers le Christ et nous fait marcher – ou voler ! – à sa suite, comme témoins de sa victoire. Et là, comme une promesse que nous avons reçue de Dieu, nous pouvons dire joyeusement et sans crainte « amen ! »
Saint-Dié – David Mitrani – 30 mai 2021