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Ézéchiel 34 / 1-2. 10-16. 30-31
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texte : Ézéchiel 34 / 1-2. 10-16. 30-31
autres lectures : Première épître de Pierre 2 / 21b-25 ; Évangile selon Jean 10 / 11-16
chants : 80 et 31-32
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Le berger, figure royale dans tout le Proche-Orient ancien, et sans doute au-delà. Il n’est pas anodin que David lui-même ait dû reconnaître et chanter qu’il y avait un roi au-dessus de lui, et même que le seul roi, le seul berger d’Israël, ce n’était pas lui, David, pourtant choisi par Dieu, mais bien Dieu lui-même. Ce sera toute l’ambiguïté du titre messianique appliqué à Jésus, fils de David : est-il roi par onction (Christ) comme David, ou bien est-il roi en tant que Dieu lui-même, Fils du Père ? Est-il roi des Juifs comme Pilate l’a écrit sur la croix ? En tant qu’homme, il est un roi mort ! En tant que Dieu, il est le roi d’éternité. Mais en tant qu’homme-Dieu, en tant qu’il est lui, il est roi par sa mort et sa résurrection ! Pour nous aujourd’hui, il est roi parce qu’il est vivant par-delà la mort. Il est ressuscité, il est vraiment ressuscité !
Il est roi, il est donc berger de son peuple. Or il y a dans le peuple d’autres bergers, ceux que Jésus caractérise comme des « mercenaires », selon la traduction que je vous ai lue pour le récit évangélique. En français courant, ils sont « payés pour », ce qui explique qu’ils n’y jouent pas leur existence. Jésus dans ce texte ne porte aucun jugement sur eux, il constate simplement leur inaptitude. Mais Ézéchiel dit bien autre chose. Qui donc vise-t-il ? Pas le gamin qu’on avait placé sur le trône, et qui comme lui se retrouve exilé à Babylone, roi légitime tant que durera son existence, mais roi sans trône. L’oncle du gamin, que les Babyloniens ont placé sur le trône judéen, mais qui ne fera pas long feu, puisqu’il se révoltera et qu’avec lui périra Jérusalem ? Ou les prêtres, alors ? Qui le dira ? Tous, peut-être, sont concernés, tous les dirigeants d’un peuple saint dans lequel on ne distinguait pas politique et religion…
La leçon, de toute façon, est celle-ci : les bergers à qui Dieu avait confié son troupeau ont failli. Entendez bien que je suis mal à l’aise avec ce texte ! Pasteur (berger) par vocation, certes, mais aussi « payé pour » (entre guillemets, sans doute, car ma paie n’est pas un salaire), la prophétie d’Ézéchiel « sur les bergers d’Israël » n’est-elle pas aussi dirigée contre moi et mes collègues ? Serions-nous, nous aussi, coupables de n’être que les bergers de nous-mêmes, de ne faire paître que nous-mêmes ? Les brebis ont été disséminées de toutes parts, et si je veux comparer « le peuple » dont parle Ézéchiel et notre Église, le parallèle saute aux yeux : même s’il n’est pas légitime de dénombrer le peuple du Seigneur, vous voyez bien combien nous sommes… Où sont les autres ? Toutes les Églises font la même constatation, y compris les évangéliques, même si la plupart ont des Églises plus pleines que nous. Je vous l’ai dit à l’assemblée générale : 90 000 habitants sur le territoire paroissial… Combien sommes-nous au culte ce matin ?
« Un jour de nuée et de brouillard », verset tristement fameux puisqu’il a été utilisé par Hitler pour justifier les camps d’extermination des Juifs… Mais plus sobrement ce jour, ou plutôt cette nuit, est venue sur nous sans crier gare, par étapes, des étapes que certains parmi nous ont cru bonnes : les Lumières, la Révolution, le Concordat, la Séparation, le marxisme, Mai 68, et maintenant une nouvelle loi qui va faire disparaître tout aussi tranquillement la liberté de culte et la liberté d’association… Nous sommes perdus dans le brouillard, devenus invisibles dans la société et à nos propres yeux, ne sachant même plus si nous devons nous en plaindre ou nous en réjouir. Mais non : c’est à pleurer ! Les philosophes, les politiques, les journalistes, en sont aujourd’hui responsables, la plupart d’entre eux, mais nous aussi, théologiens, pasteurs, anciens de « la pauvrette Église », pour le dire comme Luther. Nous avons d’ailleurs confessé notre faute à Dieu au début de ce culte, rappelez-vous, c’était notre prière : « Tu veux que nous proclamions que tu es le Dieu vivant, et pourtant nous avons peur de la mort ! Tu veux que nous manifestions ta lumière, et nous tâtonnons dans l’obscurité ! Tu veux que nous célébrions le mystère de ta présence, et nous restons prisonniers de nos habitudes ! … »
Pourtant, le texte de ce matin, dans le découpage qui nous est proposé, ne s’appesantit pas là-dessus. Il n’en reste pas à la constatation, qu’elle soit amère ou vindicative. Ézéchiel après tout n’était-il pas prêtre lui aussi ?! Il ne se sent guère concerné personnellement par sa prophétie. Mais il est vrai que celle-ci est une parole divine que lui, simple « fils d’humain », est seulement chargé de porter ; son avis n’est pas sollicité ! Sa prophétie comporte deux faces : le soin du troupeau va être enlevé aux bergers, et c’est Dieu qui va reprendre cette charge pour lui-même : « C’est moi qui ferai paître mes brebis, c’est moi qui les ferai reposer ! » C’est cette espérance que nous avons chantée avec David au début du culte (Ps. 23), c’est cette intervention de Dieu que nous avons sollicitée, par le chant encore, il y a quelques minutes (Ps. 80), c’est elle qui a été racontée par les deux autres textes bibliques.
Car si l’heure n’est pas au règne du Christ sur toutes les nations par tout l’univers – mais puisse Dieu faire que ce temps vienne ! – l’heure est par contre, pour chaque génération croyante depuis 2 000 ans, au règne du Christ sur l’Église et donc sur la vie de chaque croyant, puisqu’en lui nous sommes tous prêtres, que nous soyons ministres ou pas. Tous responsables donc, responsables devant lui seul, car lui seul est « le bon berger », le vrai pasteur. Vous savez, il y a des images qui parlent mieux que d’autres. Ainsi, nous dire sujets du roi ne nous parle plus aujourd’hui, quoique l’image dise bien ce qu’elle veut dire. Nous dire concitoyens n’est guère plus évocateur, quoique plus actuel. Gardons alors l’image des brebis, que ce soit avec les psaumes ou avec les textes bibliques de ce jour. Nous sommes des brebis perdues au cœur du brouillard, nous ne savons donc plus où nous sommes, où nous en sommes… Nous avons peut-être même du mal à nous apercevoir les unes les autres, et si nous savons qu’il y a plusieurs bergeries nous ne faisons rien de cette connaissance…
Mais en tant que brebis, il nous a été fermement annoncé la venue du pasteur. Et c’est une bonne, une heureuse nouvelle : « Je les ferai paître dans un bon pâturage. […] Je ramènerai celle qui était égarée, je panserai celle qui est blessée et je fortifierai celle qui est malade. » Cela ne concerne bien sûr pas l’au-delà de la mort, préoccupation qui n’était pas celle de l’Ancien Testament dans la plupart de ses textes. Cela concerne notre existence ici-bas, la vie du troupeau et de chaque brebis en particulier. Et cela se manifeste dans une nouvelle forme de religion : « Ils reconnaîtront que moi, l’Éternel, leur Dieu, je suis avec eux, et qu’ils sont mon peuple. » Et la prophétie s’adresse alors immédiatement aux gens concernés : « Vous, mes brebis, brebis de mon pâturage, vous êtes humains ; moi, je suis votre Dieu. » Comme si nous avions besoin de traduire l’image, que Dieu nous dise que c’est bien nous, les brebis, dans cette image : nous humains créés à son image à lui, lui notre Dieu, pas « Dieu » tout court, dans un ciel inatteignable, mais « notre Dieu ».
Comme le clame et le proclame cette affirmation, c’est donc actuel, c’est réalisé, et nous le savons bien, puisque c’est en Jésus-Christ que cette prophétie est réalisée, c’est en lui que Dieu est devenu réellement, concrètement, notre Dieu à nous, dans la foi, et que par elle nous sommes son peuple, ceux qui reconnaissons sa voix et qui le suivons. La foi y est donc nécessaire. Le temps n’est plus où, comme dans le royaume de Juda détruit à l’époque d’Ézéchiel, on faisait partie du peuple saint parce qu’on y était né. Le temps n’est plus où l’on était chrétien parce qu’il n’y avait rien d’autre et que c’était comme ça. Ce temps a-t-il jamais existé d’ailleurs ? On est chrétien parce qu’on fait confiance au « bon berger », qu’on « écoute sa voix » et qu’on le suit. Alors, à travers cette confiance, on est nourri « dans de gras pâturages », on est « reposé », « restauré », « fortifié » … Mais évidemment, cela ne se vit pas en Église, mais dehors, dans la vie de tous les jours.
J’enfonce peut-être des portes ouvertes – car, oui, la porte est ouverte, nous sommes libres, enfin ! – mais la foi chrétienne concerne tous les aspects de l’existence. Les théologiens de la mission, il y a 50 ans, parlaient d’annoncer « tout l’Évangile à tout l’homme ». Rien dans l’Évangile n’est réservé qu’à quelques-uns. Rien dans l’Évangile n’est réservé qu’à l’Église. Rien dans l’Évangile n’est réservé qu’au domaine spirituel. L’Évangile s’adresse au corps, au cœur, à l’âme, à l’esprit, au porte-monnaie, à la famille, à l’économie, à la culture, à la vie sociale, à la vie nationale. « Découpez » l’être humain comme vous le voulez, l’Évangile s’adresse quand même à toutes ses parties ! Or c’est bien dans tous ces « lieux » où nous sommes et qui nous constituent que, souvent, nous avons mal, nous faisons mal, nous sommes dans le brouillard ou les ténèbres.
C’est donc bien là que Dieu vient nous chercher, qu’il l’a fait en Jésus-Christ, et qu’en lui il nous tend la main pour nous arracher à ce mal, à ce et à ceux qui nous font mal. Il vient nous appeler à la lumière, et il marche devant nous. Son « pastorat » s’exerce là où nous sommes, dans tout ce que nous vivons. Alors, comme disait le psalmiste : « Venez, prosternons-nous, courbons-nous, fléchissons le genou devant l’Éternel qui nous a faits. Car il est notre Dieu, et nous sommes le peuple de son pâturage, le troupeau que sa main conduit. Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur… » (Ps. 95 / 6-8a) Il convient alors que chacun s’examine soi-même pour repérer en quels lieux de son existence cette voix n’a pas encore pénétré, en quelles manières nous ne nous laissons pas complètement conduire par le Christ, notre Sauveur et notre Dieu, notre berger.
Pour dire l’indignité des bergers d’Israël, Ézéchiel disait qu’ils « se paissaient eux-mêmes ». C’est-à-dire à la fois qu’ils ne s’occupaient pas des autres mais seulement d’eux-mêmes, et qu’ils ne se laissaient guider que par eux-mêmes et non par Dieu. Double péché donc, atteinte au commandement d’amour de Dieu et du prochain. Il ne faudrait pas que nous encourrions le même reproche, à savoir que nous préférons être les maîtres de notre propre vie, sans nous occuper ni des autres ni de la voix de Dieu ! C’est seulement lorsque nous suivons le vrai berger que nous pouvons aussi être les bergers les uns des autres, ce à quoi nous sommes appelés dans l’Église de Jésus-Christ. Car nous avons besoin les uns des autres, c’est comme un troupeau fraternel que nous sommes appelés à suivre le Christ, et non chacun « dans son coin sombre », comme nous le chantions enfants… Lorsque cela se passe – et cela se passe ! – alors nous avons quelque goût du pâturage promis, nous pouvons goûter la nourriture spirituelle, l’amour du Père que nous communique le Fils par l’Esprit.
Bien sûr que vous y avez goûté déjà, sinon vous ne seriez pas là ! Ouvrez-vous donc à plus que ce qui est déjà là, apprenons ensemble à faire que chacun suive encore mieux l’unique berger, car il est notre Dieu, et nous sommes son peuple. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 18 avril 2021