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Évangile selon Jean 21 / 1-14
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texte : Évangile selon Jean 21 / 1-14
premières lectures : Ésaïe 40 / 26-31 ; première épître de Pierre 1 / 3-9
chants : 34-26 et 47-10
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« Levez les yeux en haut et regardez ! » C’était l’ouverture de notre passage du prophète Ésaïe. Mais voilà ce que n’ont pas fait les quelques disciples repartis pêcher, après les apparitions de Jésus ressuscité. À la différence de Dieu tel qu’en parle le prophète, eux sont fatigués… Pierre écrira que Dieu « nous a régénérés, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour une espérance vivante. » Manifestement, ces disciples n’en sont pas encore là ! Pourtant, ils ne sont pas n’importe qui : Pierre, Thomas à qui Jésus vient de se manifester spécifiquement, Nathanaël l’un des premiers, Jacques et Jean (qui ne sont jamais nommés dans cet évangile) et deux autres, et parmi eux tous il y a « le disciple que Jésus aimait » … On pourrait dire : c’est la crème des disciples ! Mais voilà, on les voit ici désabusés, on les imagine les bras ballants, tels de ces ados dont parlait Ésaïe qui « se fatiguent et se lassent » de tout sans avoir rien vécu, alors que, s’il en est qui ne devraient pas, ce sont bien eux ! Ces disciples viennent, eux, de vivre des choses exceptionnelles, ils viennent d’être confrontés à la victoire de leur Maître sur la mort, et ils tournent en rond en ne sachant pas quoi faire. Ça me rappelle les « ouvriers de la onzième heure », vous savez, ceux que le patron de la parabole trouve en train de ne rien faire sur la place – « C’est que personne ne nous a embauchés » – et qu’il envoie dans sa vigne bien que la journée soit presque finie (Matth. 20 / 6-7).
Oui. Ça me rappelle nous aussi, en tout cas moi… Mais ce n’est que le début de l’histoire ! Par désœuvrement nos disciples vont donc faire ce qu’ils savent faire, normalement. Ils sont pêcheurs professionnels, rappelez-vous. C’est là, au lac de Tibériade, que Jésus les avait trouvés en train de travailler (Matth. 4 / 17-22). Début de l’histoire ? Oui, c’est comme s’ils étaient revenus au début, comme s’il ne s’était rien passé, sauf qu’ils n’ont plus le cœur à travailler ni, semble-t-il, le savoir-faire… Jésus est mort, ils n’ont plus cœur à rien. Mais il est ressuscité ! Oui, c’est vrai. et puis… ? Qu’est-ce que ça a changé ? Rien ? Ils ont vu Jésus et ont reçu de lui mission de pardonner les péchés. Thomas a confessé « mon Seigneur et mon Dieu » en reconnaissant en Jésus ressuscité celui qui avait été mort. (Jean 20 / 19-29) Et puis… ? C’est toujours la nuit. Et « cette nuit-là, ils ne prirent rien. » Jésus avait dit : « La nuit vient, où personne ne peut travailler. » (Jean 9 / 4) Sommes-nous donc, nous aussi, dans la nuit, non pas celle du « monde d’avant », où nous ne connaissions pas le Dieu vivant, mais dans la nuit où nous savons Christ ressuscité, et puis rien… ?
Jésus ne fait aucune remarque ni désobligeante ni paternaliste ni autre. Sauf qu’il les appelle « enfants ». Pas vraiment un titre de gloire, ni l’affectueux « petits enfants » – en grec, c’est un autre mot. Un enfant n’est pas encore adulte – voici une belle lapalissade ! Est-ce donc ce que Jésus leur suggère ? Qu’il leur manque quelque chose ? Mais quoi ? Il va être question de « manger ». C’est entre une question : « N’avez-vous rien à manger ? » et un appel : « Venez manger ! » que se déroule l’essentiel de la scène, là où il se passe des choses ! On passe de donner à manger à Jésus – mais on n’a rien pour ça – à recevoir de lui notre nourriture : voilà ce qui manquait ! On passe de devoir faire quelque chose pour Jésus à ce que Jésus fait pour nous : c’est tout l’Évangile, c’est passer de Marthe à Marie (Luc 10 / 38-42). Mais pour ce faire il y faut de la pédagogie – pas la nôtre, mais celle de Jésus ! Procéder autrement nous maintiendrait dans le devoir de faire, plutôt que de nous amener à la grâce de recevoir. Jésus va donc d’abord aider ses disciples à faire, c’est-à-dire à trouver du poisson pour satisfaire la demande du voyageur. Et malgré la proposition incongrue de simplement changer de côté, ils remplissent leur filet ! Moi, je ne suis pas pêcheur, mais il me semble qu’à 100 m du rivage on ne doit pas pêcher grand-chose, non ? Leur non-pêche de la nuit le confirme ! Eh bien ils l’ont fait : « 153 gros poissons » que Jésus leur a permis de trouver !
Sur ce nombre je ne vous dirai rien. Je ne sais pas. Si vous cherchez sur internet vous trouverez des tas d’explications, mais aucune de convaincante. Allez-y si ça vous amuse… Alors, comme je ne sais pas, je vais me contenter du premier niveau de lecture : c’est simplement le caractère extraordinaire de cette pêche. D’autant qu’elle ne sert à rien pour manger ! Même s’ils vont l’apporter vers Jésus, c’est ce que lui aura préparé qu’ils vont consommer. Mais il s’en passe, des choses, avant ça… Le premier à réagir est le disciple anonyme, celui dont on nous a dit qu’au tombeau « il vit et il crut ». (Jean 20 / 8) Cette fois encore, sa confession de foi vient en premier, dès la pêche miraculeuse accomplie : « C’est le Seigneur ! » Ça y est, le lien est fait entre le tombeau vide et la présence du Ressuscité. En tout cas pour ce disciple. C’est une étape, mais elle est importante : « si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi votre foi », écrira Paul (1 Cor. 15 / 14). Les deux derniers chapitres de notre évangile montrent que cela ne se croit pas en une fois, qu’il y faut du temps, et qu’il y faut aussi le Livre !
On assiste alors à cette étrange scène où Pierre, qui « était nu », s’habille avant de sauter dans l’eau. Il ne réapparaît que lorsque les autres sont près de Jésus : là, il « monta », dit le texte, sans préciser où. Parmi les autres mentions bibliques de quelqu’un qui est « nu », j’en retiens trois qui ici peuvent nous dire quelque chose. La première, c’est celle de notre premier ancêtre : après avoir mangé le fruit – encore « manger » ! – il se cache et lorsque Dieu l’interroge il se défend : « j’ai eu peur, parce que je suis nu ; je me suis donc caché. » (Gen. 3 / 10) C’est l’arrivée du Seigneur qui produit cette réaction. Pour Pierre c’est pareil : la révélation du Seigneur lui fait cacher sa nudité. Et puis « il se jeta dans la mer » : comme Jonas ! N’est-il pas appelé parfois « Simon, fils de Jonas » (Jean 1 / 42) ? Est-ce parce que, comme Jonas, il n’est pas allé là où le Seigneur l’appelait ? Est-ce parce que, alors, il lui faut mourir à son « monde d’avant » pour avoir l’occasion de « monter » dans le nouveau ? C’est bien à un passage par la mort que nous assistons à propos ici de Pierre. Comme Jésus. C’est Jésus qui disait : « j’étais nu et vous m’avez vêtu » (Matth. 25 / 36). Pierre doit donc passer la même épreuve que Jésus, il doit lui aussi passer par la mort, en tout cas une certaine mort. C’est comme dans l’évangile de Marc, lors de l’arrestation de Jésus : « Un jeune homme le suivait, vêtu seulement d’un drap. On se saisit de lui, mais il lâcha le drap et s’enfuit, nu. » (Marc 14 / 51-52) La mort de Jésus nous déshabille littéralement, elle nous met à nu et nous avons honte et peur : sans lui, nous découvrons que nous ne sommes rien. Seule la mort peut nous cacher de Dieu, de « celui qui est » (Ex. 3 / 14). Mais c’est lui qui nous en fait remonter. La rencontre avec le Ressuscité, cette dernière rencontre, a donc littéralement ressuscité « Simon, fils de Jonas », comme Jésus va encore l’appeler quelques versets plus loin (Jean 21 / 15-17). Car comme Jonas, il a reçu une mission de la part de son Seigneur : non plus condamner les pécheurs, comme Jonas à Ninive, mais au contraire « pardonner les péchés ».
Sommes-nous donc nus, comme Adam, comme le jeune homme à Gethsémané, comme Pierre au lac de Tibériade ? C’est qu’il nous faut nous aussi passer par la mort à nous-mêmes, être associés à celle de Jésus, tout perdre comme il a tout perdu, afin de ressusciter avec lui. Paul écrivait ceci : « Nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort par le baptême, afin que, comme Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie. » (Rom. 6 / 4) et dans la lettre à Timothée : « Cette parole est certaine : si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui. » (2 Tim. 2 / 11) Le baptême n’est-il pas une noyade ? Comme Jonas. Comme Pierre. Et pour vous et moi aussi. Ce que le baptême montre, Dieu le réalise. Ce n’est pas une généralité ou un symbole, mais un acte de Dieu qui concerne chacun de nous, quand même nous l’aurions reçu à un âge où nous ne nous en souvenons pas. Le baptême est une noyade dont nous remontons vivants, « en nouveauté de vie », écrit Paul. Et nous voyons bien maintenant Pierre « tirer à terre le filet plein ». Accomplit-il ainsi, symboliquement pour l’instant, sa mission de « pêcheur d’êtres humains », comme Jésus le lui avait annoncé dans un autre évangile (Marc 1 / 17) ?
Mais pour une telle mission, après être en quelque sorte « nés de nouveau », il nous faut nous sustenter ! Nous ne nous nourrirons pas de ceux que nous amènerons à Jésus, certes non : ce n’est pas pour notre profit que nous leur annonçons l’Évangile, mais pour le leur ; ce n’est pas au temple que nous voulons les amener mais à leur Seigneur et Sauveur ! Une Église qui voudrait faire du chiffre pour sa propre gloire ne serait pas loin d’être vraiment morte ! Non. Nous ne nous nourrirons pas de nos propres œuvres, seraient-elles éminemment chrétiennes et missionnaires. Mais nous avons – comme les disciples de notre texte – nous avons à nous nourrir de ce que Jésus a préparé pour nous : « il prit le pain et le leur donna… » Ce pain est celui de sa Parole, de sa présence vivante et vivifiante : « je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matth. 28 / 20) Il nous le donne comme et quand il veut. Mais il nous a promis que nous pourrions le recevoir à travers « l’enseignement des apôtres » (Actes 2 / 42), c’est-à-dire la prédication, et à travers la sainte cène. Puissions-nous donc recevoir non pas le faible discours du pasteur, mais le Christ lui-même qui se donne à connaître dans la faiblesse-même du discours. Puissions-nous donc recevoir non pas un peu de pain et un peu de vin, mais le Christ lui-même qui se donne en nourriture à notre foi dans l’insignifiance-même du morceau de pain et de la gorgée de vin.
« C’était déjà la troisième fois que Jésus se manifestait à ses disciples. » La troisième, nécessaire et désormais suffisante. Car maintenant « ils savaient que c’était le Seigneur. » Combien de fois le Christ a-t-il eu besoin de se manifester à moi, combien de fois aura-t-il encore besoin de le faire, jusqu’à ce qu’enfin je vive en lui comme un ressuscité ? Et pour vous ? Mais il n’attend pas que nous en soyons là. Rappelez-vous la finale de Matthieu : « Quand ils le virent, ils l’adorèrent. Mais quelques-uns eurent des doutes… » (Matth. 28 / 17) Ça n’a pas empêché Jésus de les envoyer en mission, de les envoyer comme témoins de l’Évangile, c’est-à-dire témoins de sa résurrection, afin que d’autres soient eux aussi plongés en lui par le baptême et ressuscités « en nouveauté de vie ». Dans cette mission, nous y serons nourris par lui, de lui, comme Élie lorsqu’il se réfugiait en Horeb : « L’ange de l’Éternel vint une seconde fois, le toucha et dit : “Lève-toi, mange, car le chemin serait trop long pour toi”. » (1 Rois 19 / 7)
Nous n’avons donc rien à craindre. Ni le désespoir d’Élie, ni la désobéissance de Jonas, ni le doute ou l’incertitude des premiers disciples même en présence de Jésus, rien de tout ceci ne peut le décourager de se rendre présent à nous et de nous envoyer vers les autres. Vous le savez, des prophètes ont tenté sans effet de trouver des arguments pour ne rien faire, pour ne pas y aller. Rien n’écarte Dieu de son projet, rien n’écarte le Christ de la route où il vient nous rencontrer, nous sauver, nous ressusciter – pas même la mort ! Il aurait pu laisser ses disciples s’embêter à pêcher le reste de leur vie. Il ne l’a pas fait. Il ne nous laissera pas nous non plus croire en lui sans rien en faire, en continuant comme si de rien n’était, coincés à mi-chemin entre la mort et la vie nouvelle. « Enfants, n’avez-vous rien à manger ? » Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 11 avril 2021