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Job 19 / 19-27
Partage
texte : Job 19 / 19-27
premières lectures : Genèse 22 / 1-14 ; épître aux Hébreux 5 / 1-10 ; Évangile selon Marc 10 / 35-45
chants : 33-26 et 33-13
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Chers amis, à quel niveau allons-nous entendre ce texte du milieu du livre de Job ? Évidemment, d’abord comme exprimant ce que ressent le personnage central du livre, puisque c’est lui qui parle. Il constate, une fois de plus, dans sa longue plainte depuis le chapitre 3, depuis qu’il a tout perdu y compris son intégrité physique, que tous l’ont abandonné, que sa dignité sociale et l’affection à son égard ont disparu, que son corps lui-même le lâche. Une fois de plus, il en accuse Dieu, un Dieu qui persiste à ne pas lui répondre, à ne pas lui parler. Car telle est l’épreuve de Job à laquelle ce Dieu a consenti. Et c’est bien sûr sa douleur, sa souffrance, que Job exprime par ses cris… tout ce qu’il ressent comme une agression de la part de Dieu et de ses proches. Et comme Dieu est éternel, et comme Job ressent le silence de Dieu comme éternel, et sa propre déréliction comme éternelle, alors il proclame que son cri lui aussi doit être éternel : « Qu’avec un burin de fer et avec du plomb [mes propos] soient pour toujours taillés dans le roc… ! »
L’abandon, la souffrance et la mort seront-elles donc éternelles, toujours éternelles, pour chacun de nous, pauvres humains ? Mais pour moi, dit Job, non, la mort n’aura pas le dernier mot : après qu’elle sera passée, Job, la vie de Job, sera rachetée. De quoi, comment ? Job ne se pose pas ici la question. Dans le livre, ce sont ses amis, tellement prompts à l’empêcher de blasphémer au point d’en oublier sa souffrance, ce sont eux qui se posent ce genre de questions : Job n’est-il pas coupable de quelque chose, pourquoi n’a-t-il pas de courage face à l’épreuve surtout si elle est méritée, qu’a-t-il donc fait pour, etc. ? Job ne se pose pas la question, il exprime ici une conviction à mes yeux fondamentale : même dans la mort, dans le néant, il en est un qui est et reste vivant, qui « se lèvera le dernier sur la terre », et qui plus est, un qui a à cœur de racheter Job de ce qui l’a détruit. Et cette certitude le remplit… de quoi ? je ne saurais dire, mais qui le remplit, lui qui se sait vidé : « mon cœur languit au-dedans de moi… » Il sait qu’alors, Dieu ne sera plus son ennemi, mais au contraire son rédempteur, et qu’ils seront face à face, un face à face intime entre le rédempteur et le racheté, entre celui qui fait vivre et celui qui sera à nouveau vivant dans sa contemplation de Dieu.
La suite du livre ne semble pas tenir compte de cette certitude exprimée ici par Job, et la conclusion du livre, l’intervention de Dieu – enfin – et le rétablissement de Job, disent autre chose… Aura-ce été un simple élément de la folie de Job dans sa souffrance ? Je n’en crois rien. Mais, dans un judaïsme traditionnel, qu’on dira plus tard sadducéen, qui ne croit pas en la résurrection, ces versets ne font pas sens. Sont-ils alors prophétiques d’autre chose, extérieur au livre de Job ?
C’est bien ainsi, à un deuxième niveau, qu’il faut l’entendre. Ils sont alors plutôt une figure qu’une prophétie. Une figure de la Passion du Christ. Job présente aux lecteurs ce que sera, ce que vivra Jésus : la même douleur, la même souffrance, la même adversité, abandonné de ses amis et de Dieu lui-même : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? Mes paroles plaintives sont loin de me procurer le salut. Mon Dieu ! je crie le jour, et tu ne réponds pas ; la nuit, et je ne garde pas le silence. […] Et moi, je suis un ver et non un homme, le déshonneur des humains et le méprisé du peuple. Tous ceux qui me voient se moquent de moi. » (Ps. 22 / 2-3. 7-8a) Mais au cœur de la détresse, au cœur du psaume, Jésus sait lui aussi une chose : « Tu m’as répondu ! Je publierai ton nom parmi mes frères, je te louerai au milieu de l’assemblée. – Vous qui craignez l’Éternel, louez-le ! […] Car il n’a ni mépris ni dédain pour les peines du malheureux, et il ne lui cache pas sa face ; mais il l’écoute quand il crie à lui. » (Ps. 22 / 22c-24a. 25)
Ce psaume 22, prié par Jésus sur la croix, fait pour nous – comme pour lui ? – le lien entre Job et lui, entre la certitude de Job et la confiance de Jésus en son Père. Mais ce qui, dans le livre de Job, visait un futur eschatologique, une espérance pour la fin du monde, est pour Jésus un présent, une actualité certaine. Et c’est même cette certitude qui a guidé toute sa vie de sa naissance à sa mort, et dont la réalité s’est manifestée dans sa résurrection. C’est cette même certitude qui lui a permis d’affronter la croix, la souffrance et la mort. Celui que nous confessons comme notre Seigneur n’a pas gagné ce titre en prenant un quelconque pouvoir – comme en rêvaient Jacques et Jean ! – mais en donnant sa vie comme un sacrifice dont nous sommes les bénéficiaires. Comme le dit l’Apocalypse de Jean : « L’Agneau qui a été immolé est digne de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange. » (Apoc. 5 / 12) Car il nous a rachetés, nous aussi, il a été notre rédempteur par son sacrifice et non autrement. Rachetés de quoi ? Chacun le sait bien pour lui-même, quand péché et mort s’entremêlent dans nos existences, et que nous écoutons l’Accusateur plutôt que le Saint-Esprit ! Et comment il nous a rachetés, nous le savons : par sa croix elle-même !
C’est, bien sûr, le troisième niveau de lecture du texte de Job. Il n’est plus besoin, comme certains exégètes, de se demander si « mon rédempteur est vivant » et « je contemplerai Dieu » sont le même personnage ou pas. Car le rédempteur, y compris pour Job qui ne le savait pas, c’est le Christ crucifié, et il est Dieu, et en lui c’est le Père qui se donne à contempler dans la foi. La certitude de Job rencontre alors une conviction qu’il ne pouvait pas avoir, mais qui est la seule raison de ces quelques versets : c’est la conviction que celui qui nous rachète a vécu les mêmes douleurs, la même existence, que chacun de nous, en particulier des petits, des rejetés, des souffrants. Le rédempteur rachète ceux qui sont comme lui, humains pris dans les rets du diable. Aux prisonniers de la mort, il offre gratuitement la vie, la sienne, afin qu’ils puissent la vivre eux aussi : sa vie de ressuscité !
Ce qui nous amène directement au quatrième niveau, le nôtre ! Car c’est nous désormais qui sommes dans la situation de Job. Quand je dis « nous », je parle des croyants, bien sûr : de ceux qui sont capables de dire le texte. En particulier sans doute ceux qui sont persécutés à cause de leur foi, puisque comme vous le savez les chrétiens sont les gens les plus persécutés pour leur religion à travers le monde, même si ce n’est pas le cas dans notre pays. Ici, nous ne sommes qu’ignorés et confinés (même hors confinement sanitaire !). Vous savez combien ceux qui vivent les mêmes malheurs, la même situation que Job, savent aussi exprimer comme Job leur certitude que leur confiance en Dieu est fondée. Les chrétiens du Proche-Orient sont un exemple pour tous. Ici, il y a des gens qui perdent la foi quand il leur arrive ce qui arrive malheureusement à tout le monde. Là-bas, il y a des chrétiens qui gardent la foi quand il leur arrive en plus les malheurs qui n’arrivent qu’à eux à cause de cette foi.
Mais pour nous, tout en relativisant nos malheurs et nos souffrances qui n’ont rien de comparable, mais qui peuvent être profonds, visibles ou invisibles, connus ou ignorés des autres, et qui parfois peuvent mener à la mort, oui pour nous aussi ce texte exprime et porte notre foi. Il porte nos cris et nos pleurs, nos refus et nos révoltes. Il porte aussi notre espérance et notre certitude : il y a quelqu’un, au fond du temps, au fond de la souffrance et de la mort, qui nous attend et qui nous aime. Et ce quelqu’un, c’est Jésus, le Fils du Père. « C’est lui qui, dans les jours de sa chair, offrit à grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort. Ayant été exaucé à cause de sa piété, il a appris, bien qu’il fût le Fils, l’obéissance par ce qu’il a souffert. Après avoir été élevé à la perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent l’auteur d’un salut éternel. » Ces mots de l’épître aux Hébreux sont justes. Je dois dire que, personnellement, je suis plus sensible à ceux de Job…
Car le texte de Job n’est pas explicitement une louange, ne porte pas de théologie savante, ni de connaissance relative au divin, connaissance bien futile pour nous humains… Il porte une attente, il est tendu vers une rencontre tellement fondamentale, tellement belle, tellement nécessaire… « C’est lui que moi, je contemplerai, que mes yeux verront, et non quelqu’un d’autre ! » C’est comme Saint Paul lorsqu’il tente de parler de ce qu’il a vécu lui dans cette même rencontre : « Je sais que cet homme – était-ce dans son corps ou sans son corps ? je ne sais, Dieu le sait – fut enlevé dans le paradis et qu’il entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer. » (2 Cor. 12 / 3-4) Car comment parler d’une telle rencontre, qui est le fondement de toute l’existence, d’une nouvelle naissance, d’une identité renouvelée, tout comme un coup de foudre pérennisé dans une union indissoluble… ?
Alors, plus rien d’autre ne compte. L’existence elle-même ne compte plus, le temps n’a plus de pertinence… Seule compte la proximité avec ce rédempteur, seule compte cette relation unique et fondatrice. On comprend bien l’opposition des amis de Job : leur religion n’est que droits et devoirs, commandements et morale… Quiconque vit tranquillement une telle religion ne rencontrera jamais son Dieu, n’aura jamais conscience de devoir et de pouvoir être racheté. Pourquoi devoir l’être si je fais ce que je dois ? Et comment pouvoir l’être si j’y ai manqué ? Dans cette religion, Dieu est une instance, pas une personne. Et moi, dans cette religion, je ne suis qu’un objet de droit ou de philosophie. Or je suis un être humain, un être de désir, un humain pécheur qui attend et compte sur l’amour de Dieu. « Mon cœur languit au-dedans de moi. » À la fois au sens de dépérir et d’attendre longtemps…
Et pourtant, à la différence de Job, je sais que « tout est accompli » sur la croix (Jean 19 / 30), que j’ai déjà été racheté, que le Christ est mort et ressuscité pour moi. Pourquoi vivre alors comme un esclave, soumis à tout ce qui m’arrive, soumis à ce qui prétend me déterminer, soumis à la difficulté du temps, soumis à mon corps et à ce qui l’atteint, soumis à mes désirs conformes ou pas à la volonté bonne de Dieu ? La certitude et l’attente de Job pointent vers une autre vie, mais une autre vie dès ici-bas, dès maintenant. Cette autre vie ne peut être fondée que sur la croix de Jésus, sur aucune morale, aucune philosophie, aucune religion humaine. C’est cette croix que nous devons avoir en ligne de mire, c’est de ses bienfaits que nous pouvons vivre, nous et entre nous. En elle – la croix de Jésus – en elle est notre salut. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 21 mars 2021