Épître aux Romains 12 / 1-8 (2)

 

texte :  Épître aux Romains 12 / 1-8   (trad. personnelle)

premières lectures :  Ésaïe 42 / 1-9 ; Évangile selon Matthieu 3 / 13-17

chants :  44-08 et 46-03

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La Réforme protestante en France au XVIe siècle a été fort mal inspirée sur quelques points particuliers, même si j’assume tout à fait son héritage pour l’essentiel – sinon je ne serais pas là ! Et là où elle a été le plus mal inspirée, c’est lorsque sa seule motivation fut l’anticatholicisme… Ainsi en est-il pour ce qui concerne le nom qui a été donné aux choses. Pour réserver le nom d’Église aux communautés locales, ou bien d’Églises au pluriel à leur union nationale, on a débaptisé les édifices où ces Églises se réunissaient, pour les appeler des temples. Il n’y a que les Réformés français à avoir fait ça ! Et pour ce qui se passait dans ces temples, on n’a plus parlé de « messe » (qui en évoquait la fin, l’envoi en mission) ni d’ « eucharistie » (« action de grâces » qui évoquait le repas du Seigneur qui n’était plus central), mais de « culte », ou, en allemand, de « service divin ».

 

Le problème, n’est-ce pas, c’est que nos pères ont ainsi remplacé des mots chrétiens, peut-être pas totalement adéquats, par des mots païens, eux totalement inadéquats ! Ainsi, le mot « temple » évoque soit le Temple de Jérusalem, soit les temples païens, l’un comme les autres étant des lieux de sacrifices… au moment-même où l’on proclamait que notre culte, y compris le repas du Seigneur, n’avaient pas d’aspect sacrificiel ! Quant au mot « culte » il évoque ce qu’on rend à Dieu, le moment ou la manière dont on l’honore et le sert. Or le culte réformé classique ne contient précisément pas cet aspect : il est un moment d’enseignement, d’écoute de la Parole de Dieu à travers une prédication biblique donnée par un ministre dont toute la formation est essentiellement universitaire, intellectuelle. La disposition traditionnelle de nos temples – comme le nôtre avant les modifications apportées par Pierre Vallotton il y a un peu plus de 50 ans – en témoignait bien : tous les fidèles tournés vers la chaire dominant l’assemblée, rien pour la vue sinon des versets bibliques, rien pour pouvoir s’exprimer corporellement…

 

On peut bien sûr regretter que le culte réformé ait eu cette allure – qu’il commence seulement à quitter un peu, parfois, puisque maintenant l’assemblée chante, des liturges interviennent, la cène est redevenue fréquente, les vitraux sont représentatifs ou au moins lumineux, il y a des animations et des décorations lorsque le culte est célébré autour des enfants quand il y en a, etc. Mais sur ce plan l’idée maîtresse de nos Réformateurs était fondée, comme nous l’avons entendu tout à l’heure : ce que nous célébrons au temple n’est pas un culte, parce que le culte – pour nous protestants réformés qui nous voulons fidèles à l’Écriture – le culte consiste en autre chose. Et c’est de l’apôtre Paul que nous tenons cette idée, qui n’est que la mise en forme de l’Évangile. Le culte que nous rendons à Dieu ne consiste pas en exercices religieux, mais en pratique fraternelle communautaire. Comme Jésus le dit dans l’évangile et les épîtres de Jean : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jean 13 / 34-35) Tandis que, comme Paul l’écrit ailleurs : « Ce que je ne loue pas, c’est que vous vous assemblez, non pour devenir meilleurs, mais pour devenir pires. » (1 Cor. 11 / 17)

 

Il y aurait ainsi deux « lieux » de culte : ce qui se passe dans le cadre liturgique ou ecclésiastique, et qui souvent n’est pas meilleur que ce qui se passe dans le monde, pour diverses raisons qui tiennent à la nature humaine ; et ce qui se passe dans le cadre du témoignage chrétien, où la foi et l’espérance prennent la forme obligatoire, inévitable, de l’amour mutuel désintéressé, au sens où Paul encore le décrivait dans le texte bien connu : « L’amour est patient, l’amour est serviable, il n’est pas envieux ; l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne médite pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’amour ne succombe jamais. » (1 Cor. 13 / 4-8) Car telle est « la volonté de Dieu, ce qui est bon et agréable et parfait. » C’est elle qu’il s’agit de mettre en œuvre, c’est cette mise en œuvre qui est un culte « raisonnable » ou « fidèle à la Parole » – on peut traduire des deux façons – bref : un culte chrétien !

 

Bien sûr, ce serait plus simple de rendre un culte « religieux », ça notre intelligence sait faire, puisqu’au fond de nous reste la conviction que nous avons à marchander notre vie avec un Dieu tout-puissant qui doit être payé pour ses bienfaits. C’est le fondement de toute religion, de tout paganisme (que le divin soit un ou multiple ou qu’il s’agisse de génies de la nature ou des ancêtres défunts…). Toute la Bible nous apprend qu’un tel dieu est fantasmatique et parfaitement contraire au vrai Dieu ! Car ce Dieu-ci, le nôtre, est une personne qui donne et non qui prend, qui veut être reconnue pour ses bienfaits gratuits, ses dons désintéressés offerts en abondance à ceux qu’il adopte comme ses enfants, sa libération de ceux qui ne savent même pas crier vers lui leur misère… Ce Dieu nous a donné sa propre vie en son Fils Jésus-Christ, dont nous célébrons depuis Noël la venue en humanité avant d’en célébrer la mort ignominieuse mais victorieuse. Quel autre culte rendre à ce Dieu-ci, sinon une action de grâces éternelle, un « sacrifice de louange » (Hébr. 13 / 15), qui se manifeste dans une vie de témoignage à son tour offerte aux autres ?

 

L’essentiel du culte chrétien est dit là, et sera repris par Paul dans les versets qui suivent le texte qui a été lu. C’est bien notre « intelligence » qui doit être « renouvelée », transformée, retournée. Et quoi d’autre pour y arriver, sinon de laisser la parole de Dieu nous atteindre et produire de tels fruits ? Une « intelligence » tournée vers Dieu et donc vers les autres, plutôt que tournée vers la satisfaction de mes propres désirs, y compris en matière religieuse ! « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jean 4 / 20) Je vous le disais, il y aurait plus simple, plus facile. Mais depuis Jésus, et relisant en lui les Écritures d’Israël, il n’y a pas de doute : le culte fidèle à Dieu, c’est d’aimer. « Ayez un même amour, une même âme, une seule pensée ; ne faites rien par rivalité ou par vaine gloire, mais dans l’humilité, estimez les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. » C’est encore Paul dans une autre lettre qui écrivait ceci (Phil. 2 / 2-4).

 

Mais alors, et le culte, j’allais dire : à la maison – au temple, comme ce matin ; dans l’Église, comme dans toutes nos rencontres et activités quand il nous est loisible d’en avoir ? C’est la suite du texte qui le dit, et qui nous montre comment cet amour mutuel, cette volonté de Dieu pour nous, peut s’appliquer dans ce domaine très particulier. Et ce qui nous est montré, c’est que tout va bien quand chacun reste à sa place parce que c’est Dieu qui la lui a donnée, et que toutes sont articulées pour que « ça marche ». Il ne s’agit pas là de conservatisme, de dire que tout est immuable et que chacun est fait pour la place qu’il occupe de par sa propre nature une fois pour toutes. Loin de là. Il s’agit bien de discerner, c’est-à-dire de comprendre librement sous l’inspiration de l’Esprit et en dialogue avec les Écritures. On pourrait aussi dire, bien que le texte ne l’évoque pas : dans la prière, puisque la prière n’est pas demande, mais dialogue avec Dieu dans le silence.

 

Le conseil de l’apôtre Paul est donc « de ne pas avoir de prétentions excessives et déraisonnables, mais d’être assez raisonnables pour avoir de la modération », comme traduit la « Colombe », ou « de n’avoir pas de lui-même une trop haute opinion, mais de revêtir des sentiments modestes », selon Louis Segond, ou encore « de ne pas s’exalter en pensée plus qu’il ne faut, mais de penser avec sagesse », comme je vous l’ai lu tout à l’heure en suivant à peu près André Chouraqui. Vous voyez bien ce dont il s’agit : d’être assez lucide sur soi grâce au miroir que la Bible nous tend lorsque nous cherchons à y entendre la parole de Dieu. Car cette parole est pour nous, elle ne sert pas comme encyclopédie historique ou scientifique, mais à nous reconnaître pécheurs, puis pardonnés, face à celui qui seul est Dieu et qui nous aime. Ce que Paul nous demande, c’est simplement ceci : d’être les uns devant les autres tels que nous nous voyons devant Dieu.

 

Et ce n’est pas un « banc des pénitents », mais c’est le seul moyen que, dans l’Église, on ne fonctionne pas comme dans le monde, selon ce que Jésus disait : « Il n’en sera pas de même parmi vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous sera votre serviteur et quiconque veut être le premier parmi vous sera votre esclave. » (Matth. 20 / 26-27) C’est bien ce que je vous disais tout à l’heure en parlant du vrai culte, l’exercice de l’amour fraternel. Il s’agit donc de vivre dans l’Église ce qu’il nous est demandé de vivre en toute circonstance, car il n’y a pas deux mondes distincts, et un temple chrétien n’a pas de murs… ! Aussi, dans l’Église, que chacun fasse ce pour quoi Dieu l’a doté des compétences nécessaires ou de la capacité à les acquérir. Et le fasse selon la foi de Christ, dont parlent tous les versets que je vous ai cités depuis le début de cette prédication. Chacun doit donc non seulement se savoir pécheur et pardonné, mais aussi chacun doit se demander au fil de son existence à quoi Dieu l’appelle maintenant – et le faire !

 

Celui qui pense mieux comprendre les Écritures est donc invité à en faire profiter les autres sans prendre ses propres pensées pour la Révélation, mais en les soumettant au jugement de l’Écriture et à la confession de foi de l’Église. Celui qui exerce un ministère est prié de l’exercer pleinement et de s’en tenir à lui : servir pour servir, et non pour en retirer du prestige, de la considération, sinon plus encore… Que l’enseignant enseigne puisqu’il a reçu ce don de Dieu, etc. Les trois derniers membres de la dernière phrase sont encore plus intéressants, puisqu’ils précisent des modalités : « simplicité », « empressement », « joie ». Et lorsque nous sommes ensemble, y compris pour ce que nous appelons couramment « le culte », c’est la même exhortation, que ce soit votre serviteur pour prêcher et présider, que ce soit les liturges pour prier ou lire à haute voix , que ce soit notre organiste pour jouer l’orgue, que ce soit vous tous pour être là côte à côte, pour écouter, pour chanter, pour prier en silence, et nous tous pour communier : « simplicité », « empressement », « joie », chacun à sa place afin que le « corps » ressemble à quelque chose, ou plutôt à quelqu’un : le Christ !

 

Et si nous apprenons vraiment à vivre le culte au temple avec ces sentiments-là, alors il ne restera plus qu’à s’en servir à l’extérieur, pour notre « culte raisonnable », raisonnable d’une raison fondée dans l’Évangile de Jésus-Christ et non dans des logiques ou des intérêts humains, mondains. Le culte au temple n’est pas « culte rendu à Dieu », mais c’est Dieu qui s’approche, qui nous fait entendre sa voix comme à Jésus lors du baptême au Jourdain. Et cette voix ne nous renvoie pas à nos tristesses ni à nos exploits, mais au Christ, au Christ seul. Notre vie individuelle et communautaire n’a pas d’autre raison d’être ni d’autre mode d’existence que le Christ, tout le reste mène à la mort. Armez-vous donc, au culte, pour vivre et témoigner du Christ dehors, c’est là-bas comme ici qu’il vous appelle à aimer. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  10 janvier 2021

 

 

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