Évangile selon Luc 2 / 41-52

 

texte :  Évangile selon Luc 2 / 41-52

premières lectures :  Ésaïe 61 / 1-3. 9-11 ; première épître de Jean 5 / 11-13

chants :  32-15 et 32-08

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Étrange histoire que celle de la fugue de Jésus à 12 ans. C’est le seul épisode de sa vie qui est raconté, et seulement par Luc, entre les récits de sa naissance et la prédication du Baptiste quand Jésus aura une trentaine d’années. Des apocryphes tenteront de « boucher les trous » en parlant de son enfance, de  sa jeunesse, etc. Mais dans la Bible : rien, hormis cette histoire. Mais je vous rappelle que le but des récits évangéliques, c’est de nous dire quelle est l’identité de Jésus. C’était le but des « évangiles de l’enfance » autour de Noël et de l’Épiphanie, ce sera le but de tous les récits sur son ministère jusqu’à sa résurrection, c’est aussi le but du récit de ce matin. Jésus a 12 ans. Ce n’est pas l’âge de la « Bar mitsva », comme on le prétend parfois, et d’ailleurs le texte ne dit rien d’une telle cérémonie, qui de toute façon ne se passerait pas au Temple de Jérusalem ! Non, 12 c’est Israël : Jésus a l’âge d’Israël, l’âge d’être lui-même Israël. Tout Israël réside en lui, « l’enfant Jésus » de Nazareth… Pourtant il n’est pas encore temps que cela éclate aux yeux de tous : la fugue n’aura qu’un temps… Au retour, Jésus « était soumis » à ses parents. Comme la Transfiguration plus tard aux yeux des disciples, les dialogues au Temple à 12 ans n’auront été qu’un éclair, presque un rêve, mais pourtant bien signifiant !

 

Un premier indice : le lieu de Jésus – pas celui de ses parents – le lieu de Jésus, c’est Jérusalem, et le temps de Jésus à Jérusalem, c’est la Pâque, c’est 3 jours ! Autant dire d’entrée, à la fin de ce second chapitre, ce qui sera clair à la fin de l’évangile, et dans tout le Nouveau Testament : le lieu et le temps de Jésus, c’est la croix, c’est sa mort et sa résurrection ! Comme l’apôtre Paul l’écrira contre ceux qui prétendaient raconter autre chose ou se contenter de répéter un enseignement : « je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » (1 Cor. 2 / 2) D’ailleurs, surtout dans l’évangile de Luc, le Temple de Jérusalem sera le lieu de l’affrontement final, le lieu du choix. Le Temple, ou Jésus. L’ancienne religion, ou Jésus. Les œuvres de la Loi, ou Jésus ! Mais Jésus en mourra ; et puis, 3 jours : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, mais il est ressuscité. » (Luc 24 / 5-6) Oui, notre récit annonce déjà cela, il annonce déjà le centre de la foi chrétienne. Il le fait avec une histoire, sans en avoir l’air…

 

Jésus se laisse donc retrouver par ses parents « assis au milieu des docteurs », au milieu de ceux qui étudient et enseignent la Torah, cette Torah dont nous avons entendu dimanche dernier, au Temple de Jérusalem déjà, qu’elle était le passé de Jésus, le passé d’Israël, un passé désormais révolu. Siméon et Anne y avaient achevé leur prophétie, l’un dans la paix, l’autre dans l’évangélisation. Les parents de Jésus avaient l’air d’être restés étrangers à cette compréhension, contents parce qu’on parlait en bien de leur petit – comme tous les jeunes parents, sans doute… On en aura la confirmation aujourd’hui. En attendant, Jésus est donc au milieu des « maîtres ». Dans les évangiles, ce titre n’est appliqué ailleurs qu’à Jésus (sauf une fois par lui à Nicodème, peut-être par dérision). Et même ses opposants lui diront : « Maître, nous savons […] que tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité. » (Luc 20 / 21) Être maître, docteur, c’est donc cela : parler de Dieu en vérité, et non pas en vain. C’est être un exégète de la Torah, et non pas un répétiteur comme le sont les scribes. Faire sortir le sens des textes, afin de renvoyer non pas à la pratique des croyants, mais à celle de Dieu lui-même. Les « Dix commandements » le faisaient déjà, qui s’attachaient à l’œuvre de Dieu, à la libération que Dieu avait accomplie pour Israël et pour l’univers entier, en tête et au centre du texte : « Je suis l’Éternel, ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude », « En six jours l’Éternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié. » (Ex. 20 / 2.11)

 

« Au milieu des docteurs », le texte donne l’impression que Jésus pose des questions, comme un disciple à son maître. Mais la phrase suivante nous dit l’inverse : il donne, lui, les réponses, intelligentes et surprenantes. Surprenantes parce qu’il n’a que 12 ans ? Ou bien surprenantes parce qu’en rupture avec tout ce qu’on entendait ? « Quand Jésus eut achevé ces discours, les foules restèrent frappées de son enseignement, car il les enseignait comme quelqu’un qui a de l’autorité et non pas comme leurs scribes. » (Matth. 7 / 28-29) Jésus se manifeste donc comme le « docteur » par excellence. Chez les Pharisiens, le critère d’un bon rabbin, c’était de répéter ce qu’il avait lui-même entendu de ses maîtres. Le Talmud raconte que le grand Hillel lui-même n’a été agréé que lorsqu’il a pu dire qu’il tenait son enseignement de ses maîtres et non de lui-même… Jésus, c’est le contraire. Il n’est pas étonnant que les scribes et les tenants de la religion se soient levés contre lui ! Ce qui a surpris chez un enfant révoltera chez le même Jésus devenu adulte. Pour qui se prend-il ?! Mais maintenant Israël est encore dans l’attente, comme Siméon et Anne, et pas encore dans le rejet. Il y faudra la révélation que Jésus est ce qu’il est. Pour l’instant, ses parents sont seulement « saisis d’étonnement » …

 

Ils disent comme tous les parents : « pourquoi nous as-tu fait ça ? », à nous ! Mais au-delà de la psychologie à bon marché, ils nous révèlent ce que fut l’attitude de la plupart des Juifs devant Jésus : un sentiment d’abandon, de trahison, comme si Jésus avait quitté Israël, avait fugué non pas hors de la famille, ce qui est anodin, mais hors de la religion, hors de la commu­nauté. D’ailleurs, il sera bel et bien exclu, crucifié en-dehors de Jérusalem, comme le précisera l’évangile (Jean 19 / 17) ! « Ton père et moi, angoissés, nous te cherchons… » Le seul autre personnage des évangiles qui sera dit « angoissé », c’est le riche anonyme dans la fable du riche et du pauvre Lazare (Luc 16 / 24-25) ! L’angoisse, la souffrance, de s’être trompé de Torah, de religion, de pratique de la Loi. Est-ce donc cela qui étreint les parents de Jésus ce jour-là ? De tout avoir perdu en ayant perdu Jésus ? Ou bien de tout devoir perdre en le retrouvant ainsi, maître des maîtres alors qu’il n’est qu’un enfant, maître de la Torah non pas sous elle, mais au-dessus d’elle ? « Le shabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le shabbat, de sorte que le Fils de l’homme est maître même du shabbat. » (Marc 2 / 27-28) C’est bien la « maîtrise » de Jésus qui effraie ses parents, plus encore que sa disparition de leurs yeux. C’est bien la maîtrise de Jésus qui effraiera les religieux juifs, même si elle réjouira le petit peuple, selon les évangiles. Jésus sera ressenti comme un étranger, et non comme un fidèle.

 

Il paraît que la religion est soumission, l’une des principales du monde le porte même dans son nom : « J’agrée pour vous l’islam comme religion », leur a dit Muhammad… (Coran, 5 / 3) Hélas cela ne la caractérise pas elle seule… Il y a une manière d’être croyant qui consiste à se soumettre à des règles, des dogmes, des commandements, des autorités spirituelles, des « maîtres » de papier ou de chair(e), avec ou sans « e » ! On croit se soumettre à Dieu en se soumettant à ceux qui le représentent, ou à des rites ou à une morale. Rappelez-vous : c’est tout ceci que la Réforme protestante a voulu bannir. « Mais ça, c’était avant… », et le protestantisme historique a bien vite renoué avec ce type-là de religion, de soumission. Puissions-nous nous aussi alors entendre cette question de Jésus, lorsque nous l’aurons trouvé : « Pourquoi me cherchiez-vous ? » Certes les croyants sont des « chercheurs de Dieu ». Mais c’est plutôt lui qui nous cherche, qui s’approche, qui se laisse trouver. Déjà les prophètes le disaient : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; Invoquez-le, tandis qu’il est près. » (És. 55 / 6), « Vous me chercherez et vous me trouverez, car vous me chercherez de tout votre cœur. Je me laisserai trouver par vous – oracle de l’Éternel. » (Jér. 29 / 13-14)

 

Le texte invite donc les parents de Jésus, et nous-mêmes, non pas à le chercher, mais à le trouver ! Et à le trouver là où il se tient, c’est-à-dire auprès de Dieu, en Dieu, « à la droite du Père ». L’identité de Jésus, c’est d’être transparent à Dieu : « celui qui m’a vu a vu le Père », dira-t-il à Philippe (Jean 14 / 9). Comment les parents de Jésus n’ont-ils pas pensé à le chercher au Temple de Jérusalem, lieu par excellence de la présence de Dieu sur terre, selon les Juifs d’alors ? C’est bien ainsi que rebondira cette question au moment de la Passion, cette rivalité entre le Temple et Jésus. Où faut-il chercher Dieu : dans la religion, ou bien en Jésus ? Il y aura – il y a toujours aujourd’hui – des gens pour ne retenir de Jésus que son enseignement, que son « sermon sur la montagne » par exemple, tout comme les mêmes ne retiennent de l’Exode que les commandements moraux des « Dix commandements » et non pas la libération de l’esclavage. Jésus prophète, Jésus humaniste, Jésus engagé, etc. Mais cela n’a de sens que dans la croix, dans l’affirmation qu’ « il n’y a sous le ciel aucun autre Nom donné parmi les humains, par lequel nous devions être sauvés » (Actes 4 / 12). Car beaucoup d’autres ont prêché la même morale que Jésus, et aujourd’hui il est à la mode de citer plutôt le Bouddha que Jésus. Mais le salut selon le Bouddha n’a aucun rapport avec le salut selon Jésus, par Jésus, en Jésus. Il « a porté nos péchés en son corps sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont la meurtrissure [nous] a guéris. » (1 Pi. 2 / 24)

 

Les parents n’ont pas compris, ils ne pouvaient pas comprendre. Comme dit ailleurs, « ses disciples ne comprirent pas cela tout d’abord ; mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent que ces choses étaient écrites de lui… » (Jean 12 / 16) Voici donc que nous avons à comprendre ce qui concerne Jésus à travers les Écritures, car « il a été glorifié », pour le dire comme l’évangéliste Jean. L’important dans Jésus, ce ne sont pas ses parents, ce n’est pas l’enseignement reçu des pères, ce n’est pas la religion, c’est Jésus lui-même, et le Dieu dont il rend témoignage, Dieu d’amour et de pardon. L’important dans Jésus, c’est l’accomplissement et la fin de la Torah et de toute recherche de Dieu. Car en Jésus Dieu se laisse trouver. Alors ne le cherchez pas dans la religion ni dans la morale, mais aidez-vous d’elles. Ne le cherchez pas dans la nature ni dans la famille, mais louez-le pour elles. Puisse cette simple étude biblique vous prêcher pourtant qu’en Jésus seul, le Dieu vivant se manifeste au monde, et aussi à la vie de chacun d’entre vous. C’est à lui qu’il faut regarder, c’est en lui qu’il faut espérer, c’est de son amour reçu dans la foi qu’il faut aimer. Il est le Fils du Père, il est à jamais le cadeau de Dieu aux hommes et aux femmes de ce monde. En lui Dieu s’est approché de l’humanité. En lui Dieu s’est approché de vous. En lui sont la vie et la liberté, pour aujourd’hui et pour toujours. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  3 janvier 2021

 

 

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