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Évangile selon Luc 2 / 22-40
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texte : Évangile selon Luc 2 / 22-40
premières lectures : Ésaïe 49 / 13-16 ; première épître de Jean 1 / 1-4
chants : 32-13 et 32-04
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Vous le savez, il y a au début de la Bible cinq livres de la Loi. Alors, comme il se doit, vous venez d’entendre dans le récit de Luc cinq fois le mot « Loi », « Loi de Moïse », « Loi du Seigneur ». La Torah – pour le dire en hébreu – est donc bien présente dans ce récit, et pas seulement pour l’avoir autant mentionnée. Elle définit le cadre du récit, elle en indique le sens, et au-delà des images d’Épinal, il nous faudra comprendre ce sens et le recevoir non seulement pour ce qu’il nous dit de l’histoire sainte, mais aussi pour l’Évangile qu’il nous annonce à nous autres aujourd’hui ! Car les deux sont liés, bien sûr : l’histoire biblique n’est sainte que parce que, par elle, Dieu nous parle à nous tels que nous sommes, pour notre propre foi, notre propre vie. Et je crois bien que ce qui nous est dit là nous est éminemment nécessaire, pour nous comme pour l’Église chrétienne.
Nous voyons donc les parents de Jésus accomplir les commandements rituels concernant ce qu’on doit faire après une naissance. Jésus vient d’être circoncis et nommé, et maintenant c’est la présentation au Temple de ce fils aîné, qui est donc consacré à Dieu, comme un rappel du salut d’Israël, de son Exode après la mort des premiers-nés d’Égypte sauf les enfants des Hébreux (Ex. 13 / 2). Tout ceci serait parfaitement anodin s’il n’y avait pas la suite du récit, qui se poursuit au sein du Temple de Jérusalem : la survenue de deux vieillards – si l’on suppose que Siméon était en âge « normal » de mourir, mais suspendu à son attente du Messie. D’autres textes parlent des enfants qui entourent Jésus, l’accompagnent ou lui sont amenés. Ici pas d’enfants, mais des « anciens », comme on dit pudiquement aujourd’hui. Et s’ils apparaissent ici, c’est grâce à l’Esprit. C’est lui qui y amène Siméon, et il est bien sûr dans Anne qui est dite prophétesse !
Voici donc tous les acteurs en place : la Loi et le Temple, qui caractérisent le judaïsme, et ceux qui précèdent Jésus : ses parents, Siméon et Anne. Jésus lui-même n’est pas un acteur du texte, même s’il en est le sujet principal ! C’est seulement au dernier verset qu’il « agit », en quelque sorte, puisque Luc nous dit qu’il « grandissait et se fortifiait ». Notre récit se situe donc, si l’on peut dire « avant » Jésus. Tout comme il dira un jour à la Samaritaine, dans un autre évangile : « le salut vient des Juifs », en parlant de lui-même (Jean 4 / 22). Jésus est né Juif, il n’y a nul doute là-dessus, même si notre imaginaire et l’iconographie classique le représentent comme un Européen rose et blond ! Comme Paul l’écrira, il est « né d’une femme, né sous la Loi » (Gal. 4 / 4). Ce n’est pas pour rien que, malgré Marcion au second siècle, l’Église chrétienne a conservé les Écritures d’Israël dans sa propre Bible. L’Évangile n’est compréhensible qu’avec l‘Ancien Testament comme fond, tout comme à nos yeux l’Ancien Testament n’a de sens qu’annonçant le Nouveau.
Pourquoi alors, ici, mettre en scène, au-delà du simple récit de ce qui s’est déroulé ce jour-là au Temple, cette rencontre avec ce qui précède Jésus ? Qui sont Siméon et Anne ? Ils sont les héritiers de cet Ancien Testament, justement, ils sont les héritiers de la prophétie, ils sont l’Israël « juste et pieux », comme l’évangéliste caractérise Siméon. Il faut bien se rappeler, comme Paul l’écrira, que « tous ceux qui descendent d’Israël ne sont pas Israël » (Rom. 9 / 6). L’Ancien Testament, « la Loi et les Prophètes » comme on l’appelait (Luc 16 / 16), était déjà une réaction, parfois violente, à ce qu’il présentait comme l’idolâtrie et même l’apostasie d’Israël. C’est contre la « mauvaise foi », dans tous les sens du terme, des dirigeants politiques, économiques et religieux de l’ancien Israël que les prophètes ont prophétisé, cette même « mauvaise foi » qu’on retrouvera au moment du procès de Jésus, notamment devant Pilate (p. ex. Jean 19 / 15). Siméon et Anne ne sont pas de ceux-là. Eux sont des fidèles, eux attendent l’accomplissement des promesses.
Mais alors, que faisaient les autres ? On ne peut pas taxer par exemple les Pharisiens de ne pas être pieux, eux qui ont sacralisé toute l’existence des croyants, qui ont mis du rituel dans tous les actes de la vie quotidienne et pas seulement dans les grandes cérémonies du Temple. Le judaïsme d’aujourd’hui est leur héritier direct, même si la mémoire du Temple et l’attachement à la Terre y jouent aussi un rôle. Jésus leur reprochera suffisamment d’avoir rajouté des commandements à la Torah écrite, et d’y avoir mis de la casuistique pour relativiser certaines obligations légales ; c’est au même moment d’ailleurs qu’il leur dira : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte, car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes d’hommes. » (Matth. 15 / 3-9) Cette critique de la religion concrète des Israélites – de laquelle Siméon et Anne ne participent justement pas – cette critique nous concerne aussi. C’est la première étape de notre réception de ce récit : vivons-nous notre foi comme une religion de la Loi, une religion légaliste et morale, ou bien comme une religion de la prophétie, une religion où nous nous attendons à Dieu ?
« J’espère en l’Éternel, mon âme espère, et je m’attends à sa parole. », chantait le De profundis (Ps. 130 / 5). À l’image de Siméon et d’Anne, telle sera donc notre religion, une religion guidée par la parole de Dieu et l’espérance de sa venue, aussi bien dans notre propre existence que dans l’histoire du monde. Dans ce sens notre religion est un messianisme. Elle ne se satisfait pas de l’absence de Dieu, elle le réclame, elle affirme avoir besoin de lui, et qu’aucun rite, aucune règle religieuse ou morale, ne peut remplacer sa présence. Le nom de Siméon signifie l’écoute, « celui qui entend » ; c’était le nom du grand-prêtre par excellence 200 ans auparavant, ce sera le nom de l’apôtre Pierre. À la suite de Siméon, nous sommes à l’écoute de ce que Dieu a à nous dire, et non pas des esclaves de la lettre de la Loi. D’ailleurs Siméon est venu au Temple averti puis poussé par le Saint-Esprit. Comme Paul, encore, l’écrira : « la lettre tue, mais l’Esprit fait vivre » (2 Cor. 3 / 6). Il faut donc prendre garde à vivre selon l’Esprit, et non pas selon des croyances et des règles morales.
Mais Siméon ne se contente pas de venir au Temple selon l’Esprit. Ce qu’il dit alors est suprêmement important : « Maintenant, Maître, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut… » Celui qui avait entendu a maintenant « vu », et peut mourir « en paix ». Ce que Siméon représentait est donc terminé. L’attente du Messie est terminée. Pourquoi ? Parce qu’il est là ! L’Israël fidèle a accompli sa tâche, son rôle. Faut-il le dire ? La Loi a accompli son rôle, la « Loi du Seigneur », la Loi donné à Moïse par des anges – dira le judaïsme – cette Loi est celle du passé, du nécessaire passé, c’est la Loi de Siméon et d’Anne et des parents de Jésus. « La Loi a été un précepteur pour nous conduire à Christ » (Gal. 3 / 24). Quand Jésus sera manifesté en gloire, sur sa croix, la Loi sera caduque, elle au nom de laquelle il sera crucifié.
Qu’en est-il alors d’Anne, la deuxième personne improbable rencontrée par les parents de Jésus au Temple de Jérusalem ? Elle a 84 ans. Si vous savez compter, c’est 7 fois 12. 12 c’est Israël bien sûr, 7 c’est une semaine complète, une totalité. On pourrait encore jouer plus avant avec les nombres, je ne m’y risquerai pas. Il suffit de voir dans son âge une complétude pour Israël. Comme pour Siméon, elle est au bout, il n’y a rien pour Israël au-delà de 7 fois 12 ! Elle est parfaitement accomplie lorsque Jésus paraît. Son service, son culte au Temple, a donc pris fin. Désormais, finis « les jeûnes et les prières », le temps est à la louange et à parler de Jésus ! Son temps s’est arrêté à Jésus, non pas pour la mort, comme semble le dire Siméon, mais pour le témoignage de Jésus. Et c’est ici la seconde étape de notre réception du récit de ce matin : notre foi est-elle confinée au temple, c’est-à-dire à la religion, ou bien est-elle témoignage rendu à celui qui nous fait vivre ?
« Lorsque Jésus sortit du Temple, un de ses disciples lui dit : “Maître, regarde, quelles pierres, quelles constructions !” Jésus lui répondit : “Vois-tu ces grandes constructions ? Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée.” » (Marc 13 / 1-2) Je dois dire que, la plupart du temps, nous sommes assez fiers de notre religion, moi le premier : nos croyances – bien meilleures que celles des autres, naturellement ! –, notre paroisse – qui est bien accueillante la plupart du temps, c’est vrai –, notre morale – ah ! le temps où les protestants avaient la réputation d’être plus honnêtes et travailleurs que beaucoup… et tant d’autres qualités, réelles ou imaginaires. Pourtant je n’arrive pas à la cheville de Siméon ou d’Anne. Et ils représentent le passé, l’avant-Jésus ! Et moi alors, et ma religion ? Est-ce que moi aussi, je suis « avant Jésus » ? Est-ce que je ne me préoccupe pas de lui, comme ceux contre qui les prophètes prophétisaient, est-ce que je suis pécheur comme ceux à qui la Loi le manifestait ? Ou bien est-ce que j’attends, moi aussi, « la consolation d’Israël », ou pour le dire chrétiennement la délivrance de l’Église ?
Mais l’heure n’est plus à cette attente. Et si, pendant le temps de l’Avent, nous nous sommes rappelé que la venue du Seigneur était aussi devant nous, il faut maintenant bien le redire, comme le fait ce cantique catholique que nous chantons parfois : « Christ est venu, Christ est né, Christ a souffert, Christ est mort, Christ est ressuscité, Christ est vivant, Christ reviendra, Christ est là ! » (n° 62-51 in Alléluia) L’heure n’est plus à attendre, encore moins à attendre la mort ! L’heure n’est plus aux « jeûnes et [aux] prières ». L’heure est à la louange et au témoignage. L’heure est celle de Jésus ! Et comme je vous le faisais remarquer d’entrée, le dernier verset du récit est le premier de tout l’évangile où Jésus agit. Viennent ensuite ses discussions au Temple à 12 ans où il se manifeste comme supérieur aux « docteurs de la Loi » (v. 41-52). Cet autre récit se termine alors comme le nôtre : « Jésus croissait en sagesse, en stature et en grâce, devant Dieu et devant les humains. » La foi ne se vit plus sous la Loi ou dans le Temple, mais « devant Dieu et devant les humains ». Les parents de Jésus ne le comprendront pas (v. 50).
Nous pouvons bien continuer à pratiquer notre religion : Jésus et ses premiers disciples, et Paul lui-même, l’ont fait. Mais nous ne pouvons plus nous laisser définir par elle ! Il nous faut bien avoir une existence morale, c’est-à-dire qui respecte les autres et nous-mêmes, sans quoi notre témoignage serait invalidé. Mais l’important n’est pas là, ça c’est notre passé, et notre passé voyage avec nous, bien sûr. Mais notre présent est à la louange et au témoignage, dont la pièce principale est l’amour mutuel. Notre présent, même à 84 ans et au-delà, c’est Jésus. Pourquoi aurions-nous fêté Noël sinon ? Notre présent c’est Jésus, et ceci doit se voir et s’entendre. Si nous, chrétiens, nous sommes en vie, ce n’est pas pour la gagner – Christ l’a fait pour nous – ni pour laisser quelque chose de nous – quoi donc ? notre tombe ?! – mais c’est pour témoigner de celui qui est, en nous et pour nous, la vie éternelle venue de Dieu, et qui offre cette vie à tous ceux qui lui font confiance. Adossés à notre religion, à notre temple, en quelque sorte, Jésus nous appelle vers en-haut et vers dehors. Suivons-le… Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 27 décembre 2020