Évangile selon Luc 1 / 67-79

 

texte :  Évangile selon Luc 1 / 67-79  

premières lectures :  Ésaïe 40 / 1-11 ; première épître aux Corinthiens 4 / 1-5

chants :  14-04 et 31-28

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Le choc des temporalités. Lorsque Zacharie parle de l’action de Dieu, il en parle comme d’un fait, ce que les traducteurs ont compris naturellement comme un passé. Et lorsqu’il parle de la vocation de son fils et de ce qui se prépare, il en parle naturellement au futur. Or dans sa première partie, il ne parle pas de ce qui lui est arrivé à lui : vous connaissez l’histoire, Zacharie qui ne croit pas à l’annonce qui lui est faite et qui est condamné à rester muet, sa femme Élisabeth enceinte malgré sa stérilité et son « âge avancé », la naissance de Jean et sa nomination, etc. Non, quand Zacharie retrouve enfin la parole et « prophétise », c’est à propos du salut opéré par Dieu, ce Dieu qui « visite son peuple » et le « délivre de la main de [ses] ennemis ». C’est à propos de l’Évangile, de ce qu’accomplira Jésus en mourant sur la croix – ce que Zacharie ne sait pas encore… Et pourtant il en parle comme d’un fait, pas comme d’un passé révolu, bien sûr, ni non plus comme d’un futur. Il n’y est pas question des actes de salut de Dieu dans l’histoire d’Israël, et d’ailleurs, à l’époque, Israël n’existe plus comme État, c’est une province romaine sous administration militaire, c’est un pays occupé. Son histoire est un échec, comme le disaient déjà les prophètes qui annonçaient au futur la délivrance, la délivrance par Dieu malgré les péchés de son peuple. C’est bien ce que chantait Ésaïe…

 

Mais le cantique de Zacharie n’est pas dans l’Ancien Testament, il est dans le Nouveau ! Le salut est là, même si sa manifestation ne saute pas encore aux yeux – c’est d’ailleurs à cause de cette discrétion que Zacharie ne pouvait pas y croire neuf mois plus tôt. Le salut est là, pour nous aussi : l’Évangile s’accomplit pour nous aujourd’hui. Et pourtant nous sommes « avant le moment », comme écrivait l’apôtre Paul. C’est toute l’ambiguïté, ou pour mieux dire la richesse, de notre célébration de l’Avent et de Noël. Nous célébrons l’action de Dieu comme un fait, non comme une histoire passée. Et pourtant nous en attendons la manifestation, et même, selon Ésaïe, nous avons à l’annoncer, à en témoigner. C’est en cela que se joue notre fidélité, et non en une quelconque morale – même si le témoignage chrétien ne peut guère se marier avec une existence immorale… Notre « administration des mystères de Dieu », comme dit Paul, consiste à proclamer sa venue. C’est ce que fait Zacharie dès que la parole lui a été rendue !

 

En quoi consiste cette venue, qu’avons-nous à annoncer qui est déjà un fait pour nous, et qui nous fait vivre ? Nous prendrons modèle sur Zacharie. Sa prophétie nous le dit en trois points : le salut s’opère par « le pardon de [nos] péchés », il nous « éclai­re », il « dirige nos pas ». Je vous invite à méditer sur ces trois aspects, qui ne sont pas des étapes différentes et successives, mais plutôt des manières différentes de dire ce que Dieu opère en nous, son peuple, par « l’Évangile [qui] est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit », ainsi que Paul l’écrira aux Romains (Rom. 1 / 16). C’est « l’ardente miséricorde de Dieu » qui opère cela, car son jugement n’est pas un jugement de condamnation, mais de miséricorde. Et s’il s’exerce sur son Église, cela signifie aussi qu’il s’exerce sur chacun de nous, même si, comme ce fut le cas pour Zacharie, Dieu a parfois besoin de nous secouer un peu pour que nous détournions nos regards de nous-mêmes pour les tourner vers lui et vers son salut.

 

Ce salut consiste donc en « pardon des péchés ». Je vous rappelle que le péché n’est pas une faute morale, même s’il peut se manifester sous cette forme. Le péché, ce n’est pas non plus d’être méchant. Le péché, c’est la rupture de communion avec Dieu, rupture qui est dans notre nature – « tous meurent en Adam », écrivait Paul (1 Cor. 15 / 22). Le péché, ce sont les ténèbres qui nous tiennent loin de Dieu et qui nous tirent vers le bas. C’est « l’ombre de la mort » qu’évoque Zacharie et dont déjà parlait le psaume 23 (v. 4) : « quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort… » Y aurait-il parmi vous quelqu’un qui ne connaîtrait pas cela, quelqu’un qui serait tellement pur et saint qu’il n’aurait pas besoin d’être pardonné, pas besoin que le Père miséricordieux l’accueille dans ses bras et le relève ? S’il y en a, alors que la Bible pense le contraire – « il n’y a pas de juste, pas même un seul » (Rom. 3 / 10) – oui, s’il y en a quand même, moi, je n’en fais pas partie ! Je suis sans cesse tourné vers moi-même, ou simplement détourné de Dieu, quand bien même je sais son salut. Mais la religion, ce n’est pas de savoir, c’est de vivre !

 

Alors oui, pour vivre nous avons tous besoin de ce pardon, à la fois donné une fois pour toutes et sans cesse à recevoir de nouveau dans la foi, dans la confiance que ce Dieu est comme le père de la parabole du « fils prodigue » (Luc 15 / 11-32). Il n’y a pas de salut sans pardon des péchés. Certains diront que ce pardon est difficile à saisir. Si c’est le cas, il y a à cela deux raisons. La première, c’est que le péché, précisément, nous éloigne de Dieu, en tout cas à nos propres yeux. Nous écoutons alors la voix du satan, l’accusateur, qui nous accuse à nos propres oreilles, qui nous dit que nous ne sommes pas dignes du pardon de Dieu, que nous n’avons pas de vraies excuses à lui présenter, que nous sommes trop loin de lui… Il a raison, mais il a tort ! C’est bien parce que nous sommes pécheurs que nous avons besoin de pardon ! Comme je dis souvent, si nous avons des excuses, nous n’avons pas besoin de pardon, mais que nos excuses soient reconnues valables. Lorsque nous n’en avons pas, aucune circonstance atténuante, alors c’est le pardon qu’il nous faut, à nous qui sommes inexcusables. Mais nous savons-nous inexcusables ? C’est la seconde raison, et c’est encore l’œuvre du satan, qui cette fois accuse Dieu à nos oreilles, et nous souffle que nous avons des mérites et que Dieu ne les reconnaît pas… Or jamais Dieu ne nous considère en pesant nos mérites ou nos fautes, mais seulement ses mérites à lui, ceux de son Fils qui nous a acquis le pardon du Père définitivement. Non, le problème n’est pas du côté de Dieu, mais de nous autres. Pour recevoir le pardon de Dieu et en vivre, il faut se reconnaître pécheur en nous tenant devant le Père, appuyés sur Jésus qui est notre « avocat auprès du Père » (1 Jean 2 / 1).

 

Nous avons donc besoin d’être éclairés, c’est bien ce que Zacharie annonçait et que Paul écrivait aux Corinthiens. « Le soleil levant nous visitera d’en haut », disait Zacharie. Ne vous le représentez pas, le soleil se lève à l’orient et non au zénith. Mais il sert à nous orienter, et si nos boussoles indiquent le nord magnétique, les peuples anciens s’orientaient… eh bien, à l’orient ! Le salut pour nous, le pardon de nos péchés, c’est d’être à nouveau « orientés », c’est de regarder de nouveau du bon côté, c’est-à-dire « en haut », c’est de regarder à Dieu, plus « haut » que nous, plus haut que notre monde, plus haut que tout, y compris notre vie et notre mort, y compris notre péché… Et ce salut, cet « orient d’en haut », est « la véritable lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde », proclame le prologue de l’évangile de Jean (Jean 1 / 9). C’est bien sûr ce que nous proclamons en célébrant Noël. C’est la lumière dont le monde et nous-mêmes avons besoin sans cesse. Elle nous éclaire en « venant parmi nous » (Jean 1 / 11. 14).

 

Elle nous éclaire. Car je le répète, nous avons besoin de lumière pour éclairer, illuminer, nos ombres et nos obscurités. À Taizé, on chante : « La ténèbre n’est point ténèbre devant toi, la nuit comme le jour est lumière… » C’est un verset repris de David : « Si je dis : “Au moins les ténèbres me submergeront”, la nuit devient lumière autour de moi ; même les ténèbres ne sont pas ténébreuses pour toi, la nuit s’illumine comme le jour, et les ténèbres comme la lumière. » (Ps. 139 / 11-12) Ce qui pouvait être une mauvaise nouvelle au début de ce psaume – comme Victor Hugo l’avait compris à propos de Caïn poursuivi par « l’œil » de Dieu ou de sa culpabilité (in La légende des siècles) – cette nouvelle devient en Christ une merveilleuse nouvelle, reprenant Ésaïe : « Les ténèbres ne régneront pas toujours sur la terre où il y a maintenant des angoisses. […] Le peuple qui marche dans les ténèbres voit une grande lumière ; sur ceux qui habitent le pays de l’ombre de la mort une lumière resplendit. » (És. 8 / 23 – 9 / 1) Car nous savons avoir besoin de cette lumière, besoin que notre vie soit éclairée d’en haut et aussi du milieu de ce qui nous arrive.

 

Car sans cette lumière nous ne savons pas nous diriger, et tout devient encore pire. Celui qui ne bouge pas subit les ténèbres en n’y voyant rien. Mais celui qui doit avancer, bouger, les subit encore plus, en ne voyant plus ni ce qu’il doit faire ni où il doit aller. Certains qui sont dans ce cas-là prétendent pourtant guider les autres – c’est peut-être parfois mon propre cas – et c’est contre eux qu’il est écrit : « Si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans une fosse. » (Matth. 15 / 14) Il est donc infiniment périlleux pour soi et les autres de se passer de la lumière de Dieu, de la lumière du Christ. Que serait même notre religion sans cette lumière ? Un légalisme, une parole de condamnation, des réunions et des rites vains, bref : une œuvre de ténèbres… Zacharie nous le disait bien : le salut de Dieu en Jésus-Christ, sa lumière, est là « pour diriger nos pas dans le chemin de la paix ». C’était le psalmiste encore qui chantait : « Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier. » (Ps. 119 / 105)

 

La paix, ce n’est pas l’absence de guerre, vous le savez bien : une telle paix ne satisfait personne et est suspendue à la bonne volonté dont les humains ne font guère la preuve. Il ne s’agit pas de ne pas embêter son voisin. La paix, c’est ce que Jésus donne : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Moi, je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne s’alarme pas. » (Jean 14 / 27) La paix, c’est ce que la confiance en Dieu construit en moi et autour de moi. C’est ce que la lumière fait apparaître à la place des ténèbres de la guerre et de l’injustice, en moi et autour de moi. Cette paix reçue dans la foi par le pardon de Dieu m’ouvre, à moi comme à vous, et ouvre au monde à travers nous, un chemin de pacification, de pardon réciproque, de repos, de fraternité, d’amour mutuel, chemin que nous sommes incapables d’ouvrir, sur lequel nous sommes incapables de marcher, sans cette lumière, sans le pardon de Dieu scellé en Jésus-Christ.

 

Ce chemin, nous y aspirons, nous l’appelons de nos vœux, alors qu’il est déjà sous nos pieds. Zacharie ne s’était pas ouvert à la parole de salut de Dieu – alors qu’il était pourtant prêtre ! Mais lorsque cette parole est advenue, et pour lui ce fut la naissance de celui qui deviendra le Baptiste, alors elle l’a ouvert et il a proclamé la lumière qui vient, et qui déjà l’illuminait. Cette parole est advenue : c’est Jésus-Christ. Il nous l’a dit lui-même : « Voici, je fais toutes choses nouvelles. – Ces paroles sont certaines et vraies. – C’est fait ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. » (Apoc. 21 / 5-6) Croyons-nous qu’il « fait [en nous] toutes choses nouvelles » ? Alors, à la lumière de cette confiance, il nous faut le vivre et le proclamer, afin de rendre visible « le chemin de la paix » et d’y inviter les autres. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  13 décembre 2020

 

 

 

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