Jérémie 29 / 4-7. 10-14

 

texte :  Jérémie 29 / 1. 4-7. 10-14

premières lectures :  Évangile selon Matthieu 5 / 38-48 ; épître aux Éphésiens 6 / 10-17

chants :  37-01 et 36-29

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Une fois de plus, l’actualité et la liste de lectures du dimanche collent parfaitement l’une à l’autre, et la cohérence est telle que déjà dimanche dernier j’avais cité au moins cet extrait de la lettre aux Éphésiens dans ma prédication… Mais faut-il s’en réjouir ? Non plus que, pour les chrétiens d’Asie mineure, d’avoir reçu une telle lettre, bien sûr ! C’est que les temps sont mauvais comme ils l’étaient alors, entre la pandémie de coronavirus, la politique illisible du gouvernement (à mon avis), et les attentats terroristes relayant des attaques frontales contre la France et contre le christianisme. Quelle attitude adopter alors ? Fuir un tel monde ? Pour aller où ? Même les déserts sont dangereux, peuplés de djihadistes ou de trafiquants – d’ailleurs ce sont les mêmes, là-bas comme dans les cités… Se révolter ? Contre qui ? Contre le virus ? Il s’en moque bien ! Faire les autruches, la tête dans le sable ? Nous l’avons fait depuis longtemps, les politiques en sont tentés, malgré leurs « coups de gueule » épisodiques pour redorer leur image – mais ça ne sert à rien non plus, tout nous le montre… Il reste donc deux solutions, qui ne sont pas incompatibles, pour nous simples chrétiens. Nous laisserons les autres possibilités, y compris celles qui sont encore à inventer, à nos gouvernants qui, après tout, ont été élus pour ça…

 

La première des solutions, c’est de croire ce que nous venons de chanter, c’est de savoir que notre Dieu est « un rempart, une invincible armure » pour nous autres, croyants. C’était d’ailleurs bien ce que la lettre de Paul exposait, avec d’autres mots, à ses paroissiens ! Mais savoir que Dieu nous est une armure ne suffit évidemment pas, encore faut-il nous en revêtir ! Sinon nous atteignent « les traits enflammés du Malin ». C’est un des problèmes de notre vie chrétienne, de notre « petite foi », comme Jésus qualifie parfois ses disciples. Or un des moyens de revêtir cette armure, c’est de suivre ce que Jésus enseignait « sur la montagne » dans l’évangile de Matthieu, dans le premier texte de ce matin. Étant bien entendu que ce n’est pas une voie pour les gouvernements, sinon ce serait catastrophique, mais bien pour les chrétiens. Comme le chapitre 13 de l’épître aux Romains nous le rappelait à travers certaines de mes dernières méditations de milieu de semaine, les gouvernants doivent exercer la justice sans faiblir, pour le bien de tous : ils y sont mandatés par Dieu, même s’ils ne le savent pas. Mais notre mandat à nous est autre : « ne pas résister au méchant », « aimer [nos] ennemis » … Difficile, oui… Mais ce n’est pas une lâcheté, c’est une protection. Car « c’est un rempart que notre Dieu ! »

 

La seconde solution – mais c’est la même, bien appliquée – c’est celle que Jérémie proposait aux Juifs exilés à Babylone tandis que lui vivait les derniers mois de Jérusalem : continuez à vivre normalement, et « recherchez la paix de la ville où [Dieu vous a] déportés ». Il y a donc ici une mission clairement exprimée, un refus tant du repli sur soi que sur des attentes de fin du monde. Nous sommes là où nous sommes, dans ce pays, dans cette époque-ci, pour y manifester qu’avec Dieu, non pas « nous ferons des exploits », comme le chante un cantique évangélique, mais nous pouvons vivre normalement, malgré le diable, malgré le virus, malgré le terrorisme, malgré la crise, et sous ce gouvernement comme sous n’importe quel autre. Et nous pouvons vivre ainsi non pas dans la rancœur, la soif de vengeance, la nostalgie d’un monde passé qui – rappelez-vous – n’était pas meilleur mais seulement plus confortable malgré les guerres ou grâce à elles et grâce aussi à une exploitation éhontée du reste du monde. Mais nous pouvons vivre selon l’exhortation du prophète grâce à notre confiance en Dieu. Si vengeance à exercer il y a, c’est lui qui le fera (cf. Rom. 12 / 19). Dieu est celui qui nous libère de devoir gagner et sauver notre vie, quoi que nous mettions là-dessous. C’est lui, dans la mort et la résurrection de son Fils, qui l’a fait pour nous, à notre place.

 

Cette certitude devrait nous conduire, nous aider à « tendre l’autre joue », non par lâcheté, mais par certitude de la victoire, et comme un clin d’œil ironique à celui qui nous agresse. Là encore, je ne le préconise pas pour notre pays, il l’a assez fait sans aucun résultat, et ce n’est pas son rôle. Mais je le préconise pour nous, là où nous vivons, comme nous y invitent les textes bibliques de quasiment tous les dimanches ! Celui d’aujourd’hui nous précise une autre raison : le bonheur de la cité dans laquelle nous vivons. Oui, c’est Babylone. Oui, ce monde est pourri. Vous pouvez le dire comme vous voulez. Mais Dieu nous y a placés, ici et maintenant, afin que nous « recherchions sa paix » et que nous priions pour lui. Car dans ce monde vivent les enfants du Père, pas seulement nous autres. Et qui les connaît ? Pas moi… Savez-vous qui Dieu a appelé, qui ne lui a peut-être pas encore répondu, mais qui a besoin d’un signe de notre part ? La cité des humains a besoin de nous, quand bien même elle nous mépriserait et nous persécuterait. C’est notre mission que d’y répondre en répandant la paix. Mais il nous faut l’avoir en nous, cette paix… Il faut nous laisser pacifier par Dieu, pour pouvoir devenir « artisans de paix » (Matth. 5 / 9).

 

C’est là qu’intervient la promesse, non pas comme une spéculation stérile sur la fin du monde, mais comme la garantie d’une espérance : « j’interviendrai pour vous, et j’accomplirai à votre égard ma bonne parole, en vous faisant revenir dans ce lieu », « vous me chercherez de tout votre cœur ; je me laisserai trouver par vous. » Certaines personnes pensent que cette prophétie est celle qui légitime l’État d’Israël actuel, le retour des Juifs à Jérusalem. Outre que je ne le pense pas, je crois bien qu’elle dit beaucoup plus, et qu’elle s’adresse à nous ! Nous n’émigrerons pas à Jérusalem quand cette cité-ci s’effondrera, ça n’a pas de sens. Mais c’est là, à la manière de Jérémie, la même annonce qu’on trouve avec d’autres images dans l’Apocalypse de Jean. C’est l’annonce d’un autre monde, d’une autre cité dans laquelle Dieu régnera, et où nous vivrons en sa présence, c’est-à-dire où nous vivrons de sa présence. Ce que d’autres auteurs bibliques appellent la résurrection ! La déclaration selon laquelle notre monde, notre corps, sont mortels – ce que nous savions bien tout seuls, encore que certains fassent comme s’ils l’ignoraient, se croyant dans leur orgueil eux-mêmes immortels – mais que notre monde, notre corps, sont promis à une nouvelle naissance en Jésus-Christ, à une nouvelle existence, dans laquelle « la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. » (Apoc. 21 / 4)

 

Et comme toujours dans la Bible, y compris dans l’Apocalypse, ce qui est annoncé au futur est à vivre dès maintenant par anticipation : ceux qui seront ressuscités par grâce sont appelés à vivre dès maintenant par grâce comme des ressuscités. Promesse et exhortation sont liées. Comment d’ailleurs savoir à quoi ressemblera la résurrection, la nouvelle cité, si nous ne l’expérimentons pas déjà ici et maintenant ? C’est ce que nous permet le Saint Esprit de Dieu, et le « sermon sur la montagne » en donne une bonne idée. En effet, en quoi des ressuscités auraient-ils besoin de rendre les coups, de se venger, etc. ? Pourquoi se laisseraient-ils démonter par l’économie, la maladie, le terrorisme, ou toute autre attaque ? Ils sont ressuscités en espérance ! Vous l’êtes, dans la foi de Jésus-Christ ! Rappelez-vous les dernières phrases du chapitre 8 de l’épître aux Romains (v. 28-39) :

 

« Nous savons, du reste, que toutes choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein. Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Que dirons-nous donc à ce sujet ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi tout avec lui, par grâce ? Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu est celui qui justifie ! Qui les condamnera ? Le Christ Jésus est celui qui est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous ! Qui nous séparera de l’amour de Christ ? La tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou le dénuement, ou le péril, ou l’épée ? – Selon qu’il est écrit : À cause de toi, l’on nous met à mort tout le jour. On nous considère comme des brebis qu’on égorge. – Mais dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car je suis persuadé que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent, ni l’avenir, ni les puissances, ni les êtres d’en-haut, ni ceux d’en-bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ notre Seigneur. »

 

« Je suis persuadé », écrivait Paul. Est-ce ce qui nous manque, au jour le jour, quand arrivent les attaques ? Les exilés de Babylone avaient besoin de l’entendre, de le réentendre. Nous aussi. « Notre Dieu est au ciel, il fait tout ce qu’il veut », chantait le psalmiste (Ps. 115 / 3). Ce qui pouvait déjà justifier notre confiance. Mais le Nouveau Testament nous dit plus que cela : « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu ; mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous… » (Jean 1 / 11-14a) Aux yeux de Dieu, il n’y a aucun doute sur nous, pécheurs : en Christ nous avons été rendus justes, il nous a pris comme ses enfants, nous n’avons plus rien à craindre de lui ! Alors, pourquoi craindre ce qui n’est pas Dieu ? « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme » (Matth. 10 / 28). La peur vient du souci que nous avons de nous-mêmes. L’amitié du Père nous libère de ce souci : la peur n’a plus d’objet ! Le coronavirus, les terroristes, les puissants, peuvent aller se rhabiller ! Nous, nous nous préoccuperons des gens qui nous entourent, nous nous préoccuperons de répandre la paix autour de nous. Même le confinement – que nous respecterons – ne doit pas nous arrêter, il ne doit pas tuer la vie sociale, et c’est à nous d’y veiller. Telle est la volonté de Dieu pour nous, telle est la paix de Dieu en nous ; et c’est ce qui nous rend libres. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  1er novembre 2020

 

 

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