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Deutéronome 30 / 11-14
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texte : Deutéronome 30 / 11-14
premières lectures : Évangile selon Marc 10 / 17-27 ; épître aux Éphésiens 5 / 15-20
chants : 45-01 et 47-04
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« Tu connais les commandements », répondit Jésus au « jeune homme riche » qui voulait gagner le paradis… J’aurais pu vous relire les « Dix commandements », c’était un des autres textes bibliques prévus pour aujourd’hui. Mais, donc, tu les connais ! Jésus s’adresserait aux Pharisiens, il rajouterait « mais tu ne les mets pas en pratique… » L’apôtre Paul en parlerait, il nous dirait que Dieu nous les a donnés pour nous convaincre de notre péché, ce qui revient au même. Tout ceci est vrai, et fondamental. Mais pour le « jeune homme riche » comme pour les Pharisiens, l’observance des commandements est un moyen d’obtenir de Dieu ce qu’il a à nous donner. Jésus confirmera à l’homme sincère qui est venu le voir ce que celui-ci avait compris : ça ne suffit pas, ça ne marche pas… Moïse nous explique pourquoi, et c’est ce que nous allons tâcher de comprendre afin de progresser.
Il nous dit que le commandement ne nous est pas extérieur. C’est lorsque nous le posons comme tel qu’il nous devient inatteignable, impraticable. C’est lorsque nous en faisons une loi au sens juridique, un « truc » auquel on serait tenu d’obéir. Est-ce parce qu’il continuait à raisonner ainsi que l’homme venu vers Jésus « s’en alla tout triste » ? Cette religion est celle des mérites, des sacrifices. Dieu me devient favorable lorsque je fais ce qu’il demande, lorsque je suis pieux, lorsque j’offre les sacrifices prescrits, lorsque j’accomplis comme il faut les rites, lorsque je prie comme c’est prévu, lorsque je donne l’argent requis, lorsque je fais ce qu’il faut envers mes voisins, mes coreligionnaires, mes compatriotes, et mieux encore envers les pauvres, les étrangers, etc. Commandements rituels ou moraux, le principe est le même. Et lorsque je crois arriver au sommet de la montagne – encore faut-il essayer, pour le constater – alors je m’aperçois que le vrai sommet est encore plus loin, toujours plus loin, beaucoup plus loin, beaucoup plus haut…
Vous l’ai-je déjà raconté ? Un jour, dans mon jeune temps, j’étais au synode régional ailleurs qu’ici, au culte synodal, dans un temple immense, plein à craquer – parce que, là-bas, les gens de toutes les paroisses de la région venaient au culte synodal… Je n’étais pas face au prédicateur, mais sur le côté, et face à un gigantesque panneau comme on en faisait autrefois, portant le texte des « Dix commandements » et du « double commandement d’amour ». Cette position était passionnante – je n’ai rien retenu de la prédication, mais tout de ce panneau ! Expérience passionnante, car alors, le texte s’en grave bien dans l’esprit et même dans la mémoire. Mais expérience redoutable… Ce panneau qui était loin de moi, sur le mur d’en face, sur l’autre côté du temple, ce panneau qui me dominait m’annonçait précisément tout ce que je ne faisais pas – encore que je ne sache pas avoir assassiné qui que ce soit. Savoir… C’est le verbe qu’utilisait Jésus : « tu sais les commandements », pas « tu les connais intimement ». Tu sais. Ta tête sait. Tu les vois. Tu les lis ou les entends. Tu peux même les répéter. Ils sont devant toi. Et alors ? … Ils ne sont pas en toi, en fait tu ne les « connais » pas.
Moïse nous dit : ce n’est pas ça ! Ces commandements extérieurs ne sont pas les commandements de Dieu. Dieu ne veut pas des esclaves qui obéissent à des ordres par peur, par servilité, par intérêt, voire par orgueil. Penser ça, c’est comme si ces commandements avaient été placés au ciel ou de l’autre côté de la planète, réellement loin de toi, afin que tu aies des efforts à faire non seulement pour les mettre en pratique, mais encore pour les découvrir. Le christianisme n’est pas non plus une gnose, une science ésotérique où le paradis se gagne par connaissance secrète et efforts surhumains. Il ne nous demande pas d’être des surhommes, mais des hommes et des femmes en communion avec notre Dieu qui nous aime. C’est ce que Paul aussi écrivait aux Éphésiens. Cela suppose un autre positionnement par rapport à Jésus, c’est ce que lui-même annonçait à l’homme qui ne l’a pas compris, non plus d’ailleurs que les disciples ! Cela suppose un autre positionnement par rapport à Dieu, à sa Loi, à ses commandements.
D’ailleurs, les Juifs ne parlent pas des « Dix commandements », mais, vous le savez, des « Dix paroles », du « Décalogue ». La différence est importante, même si ensuite le judaïsme parlera sans cesse des mitsvoth, des commandements… Quand nous entendons le mot « commandement », il est difficile de ne pas y voir un ordre. Quand nous entendons le mot « parole », il est plus facile de penser « dialogue », de voir cette parole sortir de la bouche d’un être vivant, et non pas d’un panneau remplissant le mur d’un temple. Et ce n’est pas pour rien si les premières « Tables de la Loi » furent brisées (Ex. 32 / 19), et les secondes enfermées dans l’Arche d’alliance (Ex. 40 / 20) : le vrai texte, l’original, gravé par Dieu lui-même, ne nous est pas donné à voir, la condamnation qu’il porte a été énoncée, puis brisée ou cachée. C’est déjà l’Évangile. La manière dont un texte nous percute et la manière dont une parole nous percute sont fort différentes. Ce n’est pas la Bible qui est parole de Dieu, mais le texte biblique nous permet d’entendre ce que Dieu nous dit vraiment, actuellement.
« Car tout près vers toi est la parole dans ta bouche et dans ton cœur. » Car une vraie parole, si elle ne se lit pas avec les yeux, ne s’entend pas non plus, en fait, avec les oreilles. Elle se mâche, on pourrait presque dire qu’elle se rumine. Certes nous ne sommes pas des ruminants, et pire : parfois nous faisons comme les chats, nous avalons « tout rond », quitte à mal digérer ensuite ! Alors au moins pouvons-nous tenter de mâcher, afin de casser les fibres du texte et de sentir la saveur qu’il prend pour nous, pour chaque personne qui le reçoit ainsi, la saveur enfin d’une parole personnelle et adressée. Alors seulement, nous pouvons l’avaler et la digérer, jusqu’à notre propre cœur, qui dans la symbolique biblique est le lieu non pas du sentiment, mais de la volonté. Ce que nous avons ainsi mâché, mangé, digéré, la parole qui était vers nous, nous devenons capables de la vouloir.
Mais vouloir la parole, si c’est nécessaire, ne suffit pas. Moïse nous dit que c’est, littéralement, « pour la faire ». Pour la transformer d’une parole reçue, puis voulue, en une parole agie. L’expression « mise en pratique » est malheureuse, elle recrée une distance entre la parole et nous, comme si à nouveau elle nous était extérieure, et que nous ayons à nouveau à obéir à une autre volonté. Or la parole existe, indépendamment de nous, mais en nous. Elle peut alors être réalisée, mise en une nouvelle forme qui vient de nous, qui est nous, qui nous engage mais toujours comme quelque chose d’intérieur à nous. La parole « mise en pratique », c’est moi quand je suis changé par la parole que j’ai reçue, mâchée, digérée, transformée en volonté puis en mouvement. C’est la parole agissante, performative, de Jésus quand il dit à celui qui en était incapable : « lève-toi et marche » (Matth. 9 / 5-6 etc.). Nous ne sommes pas Jésus, mais nous sommes le paralysé à qui Jésus parle, cet homme qui « fait » la parole, qui la « met en pratique ».
Ça semble facile, comme ça. Mais la réalité résiste. C’est l’apôtre Paul qui écrivait : « Ce que je veux, je ne le pratique pas, mais ce que je hais, voilà ce que je fais. » et aussi « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le mal que je ne veux pas. » (Rom. 7 / 15. 19) Pourtant, juste un peu plus loin, il concluait ainsi : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ! » (ibid. 24-25) C’est décliner les différents acteurs de l’affaire ! Dieu, Jésus, est celui qui parle. Dans la foi, je reçois sa parole et je m’attache à la laisser pénétrer en moi et me transformer de l’intérieur, jusqu’à transformer ma propre volonté. Mais alors, c’est Jésus lui-même, par son Esprit, qui doit encore agir, qui doit, si j’ose dire, « m’agir », moi. C’est précisément le rôle de cet Esprit de Dieu : que ma volonté se tourne non pas vers mes œuvres, seraient-elles devenues possibles, mais vers Dieu lui-même. C’est ce que nous avons tout à l’heure entendu l’apôtre Paul nous dire dans une autre épître : « soyez remplis de l’Esprit » !
Ça me fait penser à un tout autre texte encore, très connu, celui de la vision d’Ézéchiel des « ossements desséchés » (Éz. 37 / 1-14), qu’on lit souvent à Pentecôte. Sur le champ rempli de squelettes secs, la parole fait revenir tout ce qu’il faut pour en faire des vivants, mais il faut en plus que l’Esprit intervienne afin que ces vivants potentiels deviennent réellement vivants, pour qu’ils « fassent » la parole de leur résurrection, qu’ils se lèvent ! Nous arrêter en chemin est stupide : que gagnons-nous à être des cadavres quand nous étions des squelettes ?! Le but de la parole de Dieu, c’est que nous vivions ! Elle ne se réalise que lorsque l’Esprit de Jésus-Christ nous fait passer lui-même de la mort à la vie, à la suite de Jésus, cette suite que le « jeune homme riche » n’avait pas voulu prendre, resté préoccupé de lui-même…
Comme Paul l’écrivait aux Romains – ce que je vous ai fait réentendre il y a quelques minutes – je suis capable de vouloir mais pas de faire, car il y a une autre puissance, une puissance de mort, qui agit en moi, tout comme elle a prétendu mettre la main sur Jésus. Elle y a échoué, et elle est destinée à échouer avec moi aussi, avec vous, avec chacun de vous. Car la puissance supérieure de l’Esprit, la seule vraie puissance, s’y applique. À faire quoi ? À me rendre vivant, à me libérer de ce qui entrave mon être. Tel était déjà le but des « Dix paroles ». Mais Moïse, dans notre texte, disait au singulier « ce commandement », ce qui renvoyait par avance au « commandement nouveau » qui surgira dans l’Évangile selon Jean : « comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jean 13 / 34). Voilà l’agir de Dieu dans nos vies afin de nous rendre vivants, voilà la description de ce que font les vivants de vie éternelle. C’est inatteignable par nos propres forces. Il faut laisser Dieu faire en nous, il faut laisser l’amour de Jésus prendre corps en nous.
Comme je vous le dis chaque dimanche, c’est donc affaire de confiance. Marcheurs sur des routes chaotiques et sans but, nous devons nous laisser prendre en stop par ce conducteur dont nous ne savons pas où il va nous entraîner – ce qui peut légitimement, humainement, nous inquiéter. La foi est confiance : « Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme, Il me conduit dans les sentiers de la justice, À cause de son nom. Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi… » (Ps. 23 / 2-4a) Soyons attentifs à la parole, apprenons à ne pas la laisser extérieure à nous, comme une « lettre [qui] tue » (2 Cor. 3 / 6), mais à la manger de la meilleure manière possible afin que notre volonté soit transformée, pour finalement laisser l’Esprit divin nous transformer nous-même tout entiers et rendre à travers nous sa parole vivante pour d’autres, parole d’amour et de salut, parole de vie éternelle. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 11 octobre 2020